Aucun mal à recruter
Un autre drapeau est accroché sur le mur, celui de l’Armée Syrienne Libre. Le conflit syrien est au cœur des combats à Tripoli. "On se bat contre les suppôts de Bashar el-Assad." Car si les affrontements entre les deux quartiers ne datent pas d’hier, la guerre en Syrie est venue les raviver. Tripoli est devenue une ville miroir de ce qui se passe en Syrie. Et ici comme là-bas, les groupes sunnites radicaux prennent de l’ampleur. A Bab el Tebbaneh, les combattants disposent pour le moment d’armes légères. Mais le cheikh Bilal se dit prêt à aller bien plus loin. "Nous n’avons pas besoin d’armes, nous avons des dizaines de volontaires pour aller se faire exploser chez eux. (Le Hezbollah chiite)". Le religieux n’a aucun mal à recruter. Pauvreté, frustration politique, les habitants de Bab el Tebbaneh n’ont plus aucune confiance ni en l’état, ni en l’armée. A ce niveau la situation est la même des deux côtés de cette rue devenue zone de guerre. Un terreau fertile pour faire de ces jeunes de nouveaux combattants.
Dans la petite rue sous son appartement, des dizaines de jeunes paradent sur leurs mobylettes. Plusieurs d’entre eux sont blessés et exhibent fièrement leurs cicatrices. Abu Bakr et Abu Nar ont 20 et 18 ans. Ils n’ont pas de travail, comme la majeure partie des jeunes de ce quartier de la ville, une des plus délaissées économiquement. "J’ai été touché par un sniper d’en face. Je vais porter les armes et me venger. On défend notre terre, notre honneur." Juste à côté le cheikh prête l’oreille, et acquiesce en souriant.
Le cheikh Assir et le cheikh Bilal se défendent tous les deux d’attiser la haine anti-chiite. Mais dans les faits, c’est bien le risque encouru dans un Liban déjà sur la sellette. A l’Institut de Recherches et d’Information Libanais, à Beyrouth, Rafi Madayan se dit "chrétien de gauche". Pour lui, la situation est extrêmement inquiétante. "Les groupes comme celui d’Ahmad Assir sont instrumentalisés par l’extérieur et essayent de créer l’explosion entre les sunnites et les chiites du Liban. Il se pourrait que dans les semaines a venir, l’opposition armée syrienne et les salafistes de Jabat el Nosra transférent leur guerre de la Syrie vers plusieurs régions du Liban, surtout les régions chiites pour confronter directement le Hezbollah."
Si le Hezbollah a pour l’instant choisi de laisser l’armée libanaise gérer la situation, la possibilité d’une confrontation directe se rapproche. Hassan Nasrallah, chef du parti, l’a d’ailleurs confirmé lors d’un discours le mois dernier. Le parti chiite possède pour le moment la supériorité des armes. Mais l’intention affichée par certains groupes sunnites comme celui du Cheikh Bilal d’utiliser la technique des attentats suicide pourrait changer la donne et replonger le Liban dans un nouveau conflit civil. Une chose est sûre, le conflit syrien a déjà largement dépassé ses propres frontières.