« Le pays est quasi en état de cessation de paiement. Il faudrait au moins restructurer la dette libanaise à hauteur de 40 milliards de dollars », décrit l’économiste Samir Aïta, président du Cercle des économistes arabes. «
Le pays ne peut pas s’en sortir seul. Nous sommes entrés dans une forme d’emballement de la dette », ajoute-t-il.
Une crise de l'endettement
Le Liban croule en effet sous une dette de plus de 86 milliards de dollars, soit un peu plus de 150 % du PIB. Ce taux est comparable à celui de la Grèce en 2010 lors de la crise de la zone euro. D’où vient cette crise de la dette ? La classe politique libanaise, selon Samir Aïta, est responsable de cet emballement.
« L’Etat a eu des dépenses exagérées. Le gouvernement central emprunte aujourd’hui pour rembourser ses emprunts. L’Etat n’a pas été géré de manière professionnelle. Des lois de finances sont votées par le parlement.Ces lois qui programment dépenses et ressources de l’Etat ne sont jamais appliquées. Pire, les budgets ne sont ni clos, ni publiés. Nous ne savons pas depuis plus de 10 ans comment est dépensé l’argent public. Personne n’a accès à l’exercice comptable budgétaire de 2018, par exemple, de l’Etat central », avance Samir Aïta
.
«Cette mauvaise gouvernance, ce manque de transparence est à l’origine de la crise de la dette du pays », dénonce Samir Aïta.
«Les créanciers se méfient et donc l’Etat libanais doit payer des taux d’intérêts élevés pour financer sa dette ».
Cette crise de la dette entraîne également une crise de liquidités. Avec l’endettement du pays, la monnaie nationale est en effet fragilisée. Les Libanais craignant donc une dévaluation et un effondrement de la livre libanaise se sont rués dans les guichets de banque pour convertir en dollars leurs avoirs libellés dans la monnaie nationale. Les banques débordées et sans réserves de changes limitent l’accès au dollar, pilier des transactions au Liban. Un contrôle des capitaux s’est installé. Le citoyen libanais ne peut pas ainsi dépenser librement son argent. Il consomme moins et l'activité économique du pays ralentit.
Le taux de pauvreté pourrait passer de 35% à 50% de la population si rien n’est fait pour juguler l'inflation,
Jad Chaaban, économiste libanais.
Une crise économique conjuguée à une crise sociale
Cette crise de liquidité entraine également une crise sociale. L'économie du pays tourne autour du dollar. Et le dollar se fait rare. Il est pourtant nécessaire à la vie quotidienne
. «Le pays importe 85% de ses besoins en biens d’équipements et en denrées alimentaires. Les commerçants doivent payer ces importations en dollars. Or le dollar n’est pas accessible auprès des banques. Un marché informel autour du dollar s’est créé. Le taux fixe du dollar est de 1500 livres libanaises. Sur ce marché secondaire, le prix du dollar monte. Il est passé à 2500 livres.. Les commerçants répercutent cette hausse du dollar sur les denrées alimentaires », explique Jad Chaaban, économiste libanais à l’université américaine de Beyrouth. C’est ainsi que le lait importé a augmenté de 30% en novembre. Les prix ont monté de 15% en novembre.
« Si les prix continuent à grimper à ce rythme, la pauvreté va exploser. La Banque mondiale estime que le taux de pauvreté pourrait passer de 35% à 50% de la population si rien n’est fait pour juguler cette inflation », s'inquiète Jad Chaaban.
La presse libanaise rapporte chaque jour des suicides causés par les difficultés financières. Un tailleur de pierre de 40 ans aurait notamment été retrouvé pendu, le 1er décembre, dans la plaine de la Bekaa. C’est le fait d’être incapable de donner à sa fille les 1 000 livres (0,60 euro) nécessaires à l’achat d’une galette au thym, qui aurait poussé l’homme à se donner la mort, raconte la presse locale .Cette montée de la pauvreté intervient au moment où le pays connait une grave crise de ses services publics.
Les caisses de l' État sont vides et le réseau électrique n'est plus entretenu. Les coupures électriques sont fréquentes dans le pays. Cette crise de l'électricité s'ajoute à celle du traitement des déchets. En 2015, une série de manifestations a mobilisé plusieurs dizaines de milliers de Libanais protestant contre l'échec du gouvernement à traiter les ordures accumulées après la fermeture de la plus grande déchèterie du pays. Au Liban, où il n'existe que deux décharges, la crise des ordures n'a jamais cessé depuis.
Un pays dépendant de l'argent de la diaspora
Depuis les années 50, le pays dépend des transferts d'argents de la diaspora, selon l'économiste libanais Jad Chaaban.
« Le Liban n’a pas de pétrole mais il jouit d’une autre forme de rente, celle des transferts d’argent de la diaspora. Plus de 700 000 Libanais travaillent à l’étranger, notamment dans les pays du Golfe. Ils envoient de l’argent à leurs familles». Mais cette dépendance fragilise l'économie libanaise, selon l'économiste.
«L'arrivée de l'argent de la diaspora constitue une forme d'argent assez facile. On préfére importer, consommer plutôt que d'investir ou produire localement», ajoute Jad Chaaban.
Ces dernières semaines, la diaspora a perdu confiance dans le système bancaire libanais et a limité ces transferts d’argent. Cette méfiance accentue la crise économique du pays.
La solution est-elle politique ?
Comment sortir le pays de la crise économique dans l’immédiat ? L'économiste Jad Chaaban dénonce les liens entre les mileux d'affaires et une partie de la classe politique
. « La crise de la dette est liée aussi au fait qu’une partie des milieux d’affaires du pays ne paient pas d’impôts. Il y’a une forte interconnexion entre le secteur privé et le secteur politique. Un député, qui a fait fortune dans l’immobilier, fera tout pour que justement son secteur ne soit pas trop imposé. Les intérêts privés l’emportent sur l’intérêt général », explique Jad Chaaban. La spéculation immobilière, en effet, une des sources de richesse des plus fortunés au Liban, n’est pas taxée.
«Ce système fiscal est perçu comme injuste car les ménages les moins aisés eux sont imposés. Le début du mouvement populaire est parti d’une révolte contre la mise en place d’un impôt sur l’utilisation d’une application de téléphonie mobile, WhatsApp», rappelle l’économiste Samir Aïta.
La solution est donc politique, estime de son côté Jad Chaaban.
« Il faut que la confiance revienne dans l’Etat, le système bancaire et la classe politique pour que l’économie puisse repartir et que l’Etat se désendette. Et pour cela il faut changer les pratiques politiques actuelles, remettre en cause les liens entre le monde des affaires et la classe politique», estime Jad Chaaban. La communauté internationale semble faire la même analyse.
Réunie à Paris le 11 décembre, elle subordonne l'octroi d'une aide financière à la concrétisation de plusieurs réformes, d'une plus grande transparence des transactions publiques à l'indépendance de la justice.
En avril 2018, les pays donateurs s’étaient engagés lors d’une autre conférence à Paris à accorder des prêts et des dons de plus de 11 milliards de dollars, en contrepartie de ces réformes. Les montants n’ont jamais été débloqués. Pour l'instant, le Liban n'a toujours pas de gouvernement. Le Premier minstre démissionnaire Saad Hariri vient d'appeler ce jeudi 12 décembre une aide d'urgence du FMI et de la Banque mondiale.