Fil d'Ariane
C’est la dernière ligne droite d’une campagne législative qui a commencé sur le terrain il y a plusieurs mois. Dimanche 6 mai 2018, les électeurs libanais choisiront leurs nouveaux députés, pour la première fois depuis neuf ans. A travers le pays, les candidats, avant de faire campagne pour leur liste, ont dû expliquer aux citoyens le nouveau mode de scrutin.
Car s’il s’est passé près d’une décennie sans que les Libanais ne se rendent dans l’isoloir pour choisir leur Parlement, c’est faute d’un accord sur une nouvelle loi électorale. Les députés ont prorogé trois fois leurs mandats ces cinq dernières années, officiellement à cause de risques sécuritaires. La loi a finalement été votée en 2017. Désormais le scrutin sera proportionnel et non plus majoritaire. Sur le papier, ce nouveau système semble laisser un espoir aux indépendants et aux petits partis d’entrer dans un Parlement jusqu’ici largement dominé par des grandes familles politiques libanaises. Mais dans les faits, la loi reste plus complexe.
En cause : un autre volet de cette loi qui impose un seuil électoral minimum. Pour qu’une liste soit qualifiée, elle doit obtenir un pourcentage du nombre total de voix. “Dans certaines circonscriptions, si 100.000 ou 200.000 électeurs se déplacent massivement pour soutenir un grand parti politique et que le quota est à 10%, il faudra un minimum de 20.000 voix pour pouvoir concourir aux sièges. C’est énorme pour les petits partis” poursuit Bachar El-Halabi.
Selon plusieurs observateurs, les grands partis politiques déjà au pouvoir devraient continuer à s'imposer, comme ceux de Saad Hariri ou encore le Hezbollah. Selon certaines prédictions, ce dernier pourrait gagner deux tiers des sièges du Parlement, ce qui lui permettrait d'en contrôler la plupart des décisions.
Au Liban, pays régi par un système confessionnel, l’attribution des sièges parlementaires répond à un strict partage communautaire. Par exemple, dans la première circonscription de Beyrouth, majoritairement chrétienne, les huit sièges à pourvoir seront partagés entre des arméniens-orthodoxes, des arméniens-catholiques, des grecs-orthodoxes, des grecs-catholiques, des maronites, et une minorité religieuse. Les électeurs de la deuxième circonscription de Beyrouth, majoritairement musulmane,voteront pour des sièges sunnites, chiites, druzes, protestants et grecs-orthodoxes. Chaque liste présente donc un éventail de candidats représentatifs du tissu confessionnel propre à sa circonscription.
Aujourd’hui, des voix s’élèvent contre un système qu’elles estiment dépassé. Depuis la crise des déchets en 2015, à l’origine de grandes vagues de manifestations contre le gouvernement, de nouveaux acteurs tentent de s’imposer sur la scène politique : les militants de la société civile. Leurs chevaux de bataille : la corruption, ou encore la laïcité.
Pour la première fois, des coalitions civiles organisées se présentent aux élections. La plupart souhaitent évoluer vers un système laïc, même si aujourd'hui leurs candidats doivent concourir sous l’étiquette de leur confession, comme l’exige la loi. Au total, plus d’une quinzaine de listes sur les 77 qui concourent dans le pays sont composées d’indépendants ou de mouvements politiques de la société civile. L’alliance réformatrice la plus importante, “Koulna Watane” (“Nous sommes tous la patrie” ) est présente dans plusieurs circonscriptions.
Les observateurs politiques semblent s’accorder sur un point : il n’y aura pas de grande percée pour ces partis indépendants, qui devraient décrocher seulement quelques sièges, moins d’une dizaine sur les 128 du Parlement. Pas suffisamment donc pour peser sur les décisions législatives, mais assez, peut-être, pour faire entendre leurs voix et se créer une expérience de terrain, qui parfois manque cruellement à ces nouveaux politiciens. “Certains candidats n’ont pas de vision claire, d’agenda politique précis, ils essaient juste de combler le vide des partis politiques actuels, et se présentent comme une alternative. Ce n’est pas suffisant, les électeurs les trouvent parfois encore trop obscurs et vagues.”, reprend Bachar El-Halabi, analyste politique.
Des limites, dont se disent conscients les candidats de ces listes indépendantes. Ibrahim Mneinmeh concourt pour la liste “Kilna Beirut” (“Nous sommes tous Beyrouth”) dans la deuxième circonscription de la capitale. L’année dernière, il était candidat sur la liste alternative aux municipales “Beirut Madinati”. Il raconte : “Nous ne pouvions pas ignorer l’opportunité que représentent ces élections. Nous essayons de faire au mieux. Les législatives sont une étape, nous pouvons parler avec les citoyens, développer notre réseau, développer nos compétences.”
Pour se faire entendre, ces candidats de la société civile investissent les réseaux sociaux. Car pour faire campagne au Liban, il faut beaucoup d’argent : un passage à la télévision est facturé plusieurs milliers de dollars par les chaînes. Un luxe, que ne peuvent pas se permettre les petits candidats.
Ils tentent donc de séduire la jeune génération sur Internet. Impossible de prévoir comment les plus jeunes vont voter. En l’absence de législatives ces neuf dernières années ans, les Libanais âgés de 21 à 29 ans n’ont jamais élu leurs députés, ils restent la grande inconnue de cette élection. Ils représenteraient plus de 600.000 électeurs potentiels. C’est la première génération qui a grandi après la guerre civile qui va s’exprimer dans les urnes. Va-t-elle suivre le traditionnel vote communautaire ou témoigner d'un désir de changement par son vote? Les candidats de la société civile attendent en tout cas beaucoup de ces jeunes électeurs, et espèrent avant tout qu’ils ne vont pas s’abstenir.