Fil d'Ariane
En plein effondrement économique, le Liban a augmenté, dimanche 22 août, le prix des carburants de près de 70%. Cette hausse entérine une nouvelle réduction des subventions dans le pays. Le Liban est actuellement privé de devises étrangères tandis que les pénuries, notamment d’électricité, se multiplient sur fond d’hyperinflation.
+67 % pour le sans plomb 98, +66 % pour le sans plomb 95, +50 % pour la bonbonne de gaz ménager. C'est ce que mentionne la nouvelle liste des prix publiée, dimanche 22 août, par l’Agence nationale d’information (ANI).
These r the new #FuelPrices in #Lebanon. Who can afford them daily? Is it difficult to invest in public transportation clean equitable to all? #publicpolicies #safetynets #البنزين#المازوت #الشرخ_الاجتماعي pic.twitter.com/vFn1dZtpOR
— Rita Chemaly (@Ritachemaly) August 22, 2021
En l’espace de deux mois, depuis que la Banque centrale a commencé à réduire les subventions allouées aux importations, les prix des carburants flambent. Depuis juin, ils ont quasiment triplé dans le pays.
Pire, cette hausse vertigineuse impactera l’ensemble de l’économie. Les prix des produits de première nécessité dans les supermarchés grimpent presque chaque semaine. De son côté, la livre libanaise subit une dépréciation que rien ne semble pouvoir enrayer.
Conséquences des pénuries, de nombreuses stations essence restent portes closes. Des files d’attente interminables se forment devant celles acceptant des clients.
Les pannes de courant culminent à 23 heures par jour. En l’absence de fioul, les générateurs de quartier rationnent les foyers, les commerces, les supermarchés et les institutions.
En guise de justification, les autorités pointent du doigt la contrebande vers la Syrie voisine, où les carburants sont commercialisés à des tarifs bien plus élevés qu’au Liban.
L’armée enchaîne les perquisitions et les saisies de tonnes de carburant dans les stations et chez les fournisseurs accusés de les stocker à des fins spéculatives.
(Re)voir : Liban : pénurie de carburant, une situation explosive
La veille, les dirigeants libanais sont parvenus à un accord pour continuer de subventionner les carburants à court terme.
Le 11 août dernier, la Banque centrale (BDL) a annoncé stopper les aides sur les carburants. Une première coupe dans les dépenses, en juin, avait déjà entraîné une hausse de 55 % des prix à la pompe.
La présidence a déclaré, samedi 21 août au soir, que les autorités ont décidé de « demander à la Banque du Liban d'ouvrir un compte temporaire pour couvrir une subvention urgente et exceptionnelle aux carburants. »
Les importations d'essence, mazout et gaz domestique seront subventionnées à hauteur de 225 millions de dollars maximum jusqu'à fin septembre, a précisé la même source.
La décision a été annoncée à l'issue d'une réunion, au Palais de Baabda, entre le président Michel Aoun, le chef d’expédition des affaires courantes, Hassan Diab, les ministres sortants de l'Energie et des Finances, respectivement, Raymond Ghajar et Ghazi Wazni, ainsi que le gouverneur de la BDL, Riad Salamé.
(Re)voir : Liban : qui est le banquier Riad Salamé qui intéresse tant la justice ?
Depuis deux décennies, le taux de change officiel est toujours fixé à 1.507 livres (LBP) pour un dollar. Or, la monnaie nationale a perdu plus de 90% de sa valeur sur le marché noir.
La Banque centrale avait jusque-là fourni des dollars aux importateurs au taux de 3.900 LBP pour un dollar, et les prix étaient fixés par le ministère de l'Energie selon ce taux.
Désormais, le taux de change utilisé pour calculer les nouveaux prix de l'essence sera de 8.000 livres libanaises pour un dollar.
Pour l'économiste Nassib Ghobril, de la Byblos Bank Group, la solution annoncée samedi est une formule de « compromis » censée permettre aux importateurs de libérer leurs stocks et réduire les pénuries. « Mais cela ne va pas résoudre le problème, souligne-t-il. La solution est la levée totale des subventions, cela fera disparaître les longues files aux stations-service, et découragera la contrebande. »
Plus tôt dans la semaine, jeudi 19 août, le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, a annoncé le départ d’un « premier navire » iranien chargé de carburant vers le Liban. Et ce, en dépit des sanctions américaines visant la République islamique d’Iran.
Au cours de sa déclaration, prononcée à l’occasion des des commémorations chiites d'Achoura, il a prévenu « Américains et Israéliens » que, dès son appareillage, « jusqu'à son arrivée dans les eaux de la Méditerranée », ce navire « sera considéré comme territoire libanais. »
La cargaison du bateau doit permettre d'approvisionner « hôpitaux, usines de production de denrées alimentaires et de médicaments, boulangeries et générateurs », a-t-il souligné.
Ni le gouvernement iranien ni le gouvernement libanais n’ont confirmé les propos du dirigeant chiite. Ce dernier n’a donné aucune précision concernant le lieu et la façon dont serait déchargée la cargaison. Seulement a-t-il ajouté que « nous discuterons des détails techniques », une fois le navire en mer Méditerranée.
Dimanche 22 août, Hassan Nasrallah a promis de nouvelles livraisons de carburant iranien. Dans une allocation télévisée, il a confirmé que le premier navire voguait « en mer ».
« J'ajoute qu'un deuxième navire va appareiller dans les prochains jours, et il sera suivi par d'autres. Nous poursuivrons ce processus tant que le Liban en aura besoin, a-t-il expliqué. L'objectif est d'aider tous les Libanais » et non pas seulement « les partisans du Hezbollah ou les chiites. »
Le mois dernier déjà, M. Nasrallah disait le Hezbollah prêt à importer des carburants de son allié iranien. Une initiative impossible à prendre pour le gouvernement libanais qui, selon lui, fait face aux pressions américaines.
L'acheminement de pétrole iranien à l'étranger « est interdit par les sanctions (...) ce qui représente un danger pour le Liban » qui risque d'être « sanctionné ou attaqué », rappelle l'experte en ressources pétrolières, Laury Haytayan.
De son côté, la présidence du Liban a expliqué que les Etats-Unis ont « décidé » d’aider le Liban.
"Le président (Michel) Aoun a reçu un appel téléphonique de l'ambassadrice (...) l'informant de la décision de l'administration américaine d'aider le Liban à acheminer de l'électricité de la Jordanie à travers la Syrie", a indiqué la présidence libanaise.
Les Etats-Unis mènent aussi "des négociations avec la Banque mondiale pour assurer le financement de gaz égyptien" et son transport vers le Liban, via la Syrie, ainsi que des travaux d'entretien, selon la présidence.
Depuis l'automne 2019, le Liban traverse l'une des pires crises économiques au monde depuis le milieu du XIXème siècle, selon la Banque mondiale.
Depuis plusieurs semaines, la population éreintée vit de longues heures sans électricité et même les hôpitaux sont menacés par la crise énergétique.
Environ 78% de la population libanaise vit désormais sous le seuil de pauvreté, selon l'ONU.
(Re)voir : Liban : en plein naufrage, le pays traverse l'une des pires crises depuis le 19ème siècle