Fil d'Ariane
L'espoir de la formation d'un nouveau gouvernement libanais s'est éteint une fois de plus avec le renoncement du premier ministre Saad Hariri le 15 juillet. Un peu plus de deux mois plus tôt, le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian s’était rendu à Beyrouth, le 6 mai 2021 , dans ce contexte de crise sociale et économique profonde au Liban. Une occasion pour la France de rappeler les liens culturels, historiques et institutionnels étroits qui la lient avec le pays du Cèdre. Mais le soutien français, qui s’est renforcé avec l’explosion du 4 août 2020, se heurte à l’attentisme de la classe politique libanaise.
[Mise à jour du 16 juillet 2021] Une fois de plus, le Liban se retrouve sans perspective de formation d'un gouvernement. Le 15 juillet, le premier ministre désigné il y a 9 mois, Saad Hariri, a décidé de renoncer à constituer un gouvernement, faute d'accord avec le président Michel Aoun. Parrainant les efforts internationaux pour une sortie de crise au Liban, la France annonce la tenue d'une nouvelle conférence d'aide internationale, avec l'appui de l'ONU, le 4 août, soit un an après exactement l'explosion dévstatrice sur le port de Beyrouth.
Malgré la pression internationale et la menace de sanctions de l'UE contre les dirigeants libanais, les tractations politiciennes ont entravé à plusieurs reprises l'accouchement d'un nouveau gouvernement censé lancer des réformes pour débloquer les aides internationales cruciales. Réagissant jeudi à l'ONU le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a lui évoqué une "autodestruction cynique", un peu plus de deux mois après sa visite à Beyrouth.
C’est à des Libanais à bout que le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian avait rendu visite le jeudi 6 mai. Dépréciation de la livre libanaise, explosion de la pauvreté et du chômage, érosion du pouvoir d’achat… "Après une révolution en 2019, la crise sanitaire et l’explosion de son port le 4 août 2020 à Beyrouth, le pays est dans une situation catastrophique, qu’il n’a jamais connu", déplore Stéphanie Baz, autrice du livre Le Liban, debout malgré tout. Il souffre d’une classe politique incapable de former un gouvernement stable et rongée par la corruption.
Alliée historique du Liban, la France met un point d'honneur à manifester son soutien et effectue régulièrement des visites chez son protégé. Le président Emmanuel Macron s'y est déjà rendu deux fois depuis août 2020, et a dû annuler la troisième, car positif au Covid-19.
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L’objectif pour Jean-Yves Le Drian : taper du poing sur la table, et faire une nouvelle fois pression sur les dirigeants libanais pour qu’ils s’engagent dans une transition devenue vitale. Le chef de la diplomatie française s’est donc rendu sur place pour annoncer de nouvelles mesures restrictives : l’interdiction d'accès au territoire français à ceux que la France juge responsable de ce blocage.
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La mise en place d’une meilleure gouvernance et de mesures de luttes contre la corruption, endémique au Liban, avait déjà été évoquée par le président français Emmanuel Macron lors de ses visites au Liban après l’explosion du 4 août. Mais malgré les menaces de sanctions, les dirigeants libanais n’ont rien fait, et ont laissé sombrer leur pays dans une crise catastrophique.
Jean-Yves Le Drian ne devrait même pas venir, car nos dirigeants sont des criminels et des voleurs, ça ne servira à rien.
Stéphanie Baz, autrice de Le Liban, debout malgré tout
Les tentatives de la France pour s’ériger en interlocuteur privilégié du pays se heurtent de plus en plus à la désillusion des Libanais. « Les réactions face à la visite de Jean-Yves Le Drian sont assez négatives, explique Stéphanie Baz, je lis beaucoup de tweets comme : Jean-Yves Le Drian ne devrait même pas venir, car nos dirigeants sont des criminels et des voleurs, ça ne servira à rien. C’est la première fois que j’observe cela. »
Pourtant la France, « tendre mère » du Liban, bénéficie d’un statut particulier auprès de son protégé. Leur relation remonte au XVIème siècle, lorsque les rois de France sont devenus protecteurs officiels des chrétiens d’Orient, et donc des maronites libanais. Puis, en 1920 la France est devenue puissance mandataire du Liban (désignée par la société des nations pour gérer administrativement le pays). Sous son mandat a été créé le Grand Liban, avec les frontières que nous lui connaissons aujourd’hui, ainsi que sa Constitution.
Depuis, les liens entre ces deux pays sont religieux, institutionnelles, culturels, universitaires, économiques et militaires même (la France a été la première puissance occidentale à alimenter les rangs de la FINUL - Force Intérimaires des Nations unies au Liban - en 1978). 40% des Libanais parlent français et le pays cultive encore tout un réseau d’écoles francophones. Cette année, 20 milliards d’euros ont été apportés par l’Etat français pour soutenir ces établissements, et une partie de la visite de JYLD ce jeudi leur sera consacrée.
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En France, la diaspora libanaise est également très importante. Pour Anne Gadel, analyste spécialiste du Moyen-Orient, et membre de l’observatoire Afrique du Nord - Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès, « c’est surtout ce lien entre la société civile française et la société civile libanaise qui importe et qui permettra de faire évoluer la situation. » Car même si l’explosion du 4 août a permis à Emmanuel Macron de rappeler la proximité entre les deux Etats, la place de la France n’est que secondaire dans la politique du Moyen-Orient. « La situation politique du Liban ne se décide pas à Paris, elle se décide à Ryad, à Téhéran ou aux Etats-Unis, » rappelle Anne Gadel.
D’autant plus que la France est dans une situation compliquée. « Elle est liée historiquement à la classe politique, qui n’a pas bougé depuis la révolution de 2019. Mais ces personnes-là font partie intégrante du problèmes, la solution doit venir d’ailleurs, de la société civile. » Jusqu’alors les interventions d’Emmanuel Macron avaient davantage légitimé la classe politique libanaise, exigeant que le changement vienne d’elle, avec la formation d’un gouvernement de mission notamment.
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Mais selon Anne Gadel « la visite de JYLD amorce un virage intéressant ». JYLD a en effet prévu de rencontrer ceux qu’il a nommés les « acteurs du changement ». Lors de sa visite à la fin de l’année 2020, le président Français avait fait un pas dans ce sens, en conviant dans une salle à côté de la résidence des Pins (où il avait prononcé son discours), des représentant de l’opposition et de la société civile.
À l’international également la volonté d’éviter la classe politique libanaise est manifeste : les aides financières post-explosion ont très fréquemment été versées directement à des ONG, sans passer par la case politique.
Contourner la classe politique donc, en espérant son renouvellement rapidement. Pour Anne Gadel, le salut politique du Liban pourrait venir des élections législatives de 2022, en espérant que d’ici là, l’opposition puisse gagner en force, suffisamment pour déboulonner cette classe politique « championne de l’immobilisme ».