Liban : qui est le juge Tarek Bitar qui défie l'ensemble de la classe politique ?

Le procureur général du Liban a décidé ce mercredi 25 janvier de poursuivre le juge chargé de l'enquête sur l'explosion meurtrière en 2020 au port de Beyrouth. Une riposte à sa propre mise en accusation sur fond d'un bras de fer judiciaire qui menace d'occulter les investigations. Mais qui est donc ce juge indépendant Tarek Bitar qui avait décidé lundi 22 janvier à la surprise générale de reprendre son enquête quitte à se mettre à dos plusieurs personnalités libanaises de haut rang ? Portrait.
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Tarek Bitar, juge libanais de l'affaire de l'explosion au port de Beyrouth. Capture sujet 2021
L'une des rares photos du juge Tarek Bitar, en charge de l'enquête sur l'explosion de 2020 sur le port de Beyrouth (Liban).
© Capture TV5MONDE
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En décidant de défier l'ensemble de la classe politique, le juge Tarek Bitar, chargé de l'enquête sur l'explosion au port de Beyrouth en 2020, franchit toutes les lignes rouges au Liban et interpelle par son audace.

Ce discret magistrat de 48 ans avait dû interrompre il y a plus d'un an, en raison d'énormes pressions politiques, son enquête sur ce drame qui a défiguré Beyrouth et fait plus de 215 morts.

Mais il a décidé de son propre chef de la reprendre lundi 23 janvier, s'appuyant sur une jurisprudence, et d'inculper des responsables politiques, de sécurité et judiciaires, dont le procureur général, une première dans l'histoire du pays. Le parquet a rejeté mardi toutes ses décisions.

Avec sa réputation de juge incorruptible, le juge Bitar incarne pour beaucoup le symbole d'une justice indépendante, un des derniers piliers du Liban sur le point de s'effondrer. "Il est courageux, audacieux même, au point de faire face au pouvoir tout entier qui obstrue l'enquête depuis deux ans et demi", affirme à l'AFP Cécile Roukoz, l'une des avocates des familles des victimes de l'explosion, qui a elle-même perdu son frère.

Il est courageux, audacieux même.

Cécile Roukoz, avocate, à propos du juge Bitar

Car ce juge calme et discret jouit de la confiance inébranlable des familles des victimes du drame, causé par le stockage d'énormes quantités de nitrate d'ammonium, sans mesures de précaution.

Mais il dérange une grande partie de la classe politique qui, liguée contre lui, a causé l'interruption de son enquête en décembre 2021. "Il sait qu'il est menacé, mais il n'a pas peur. Il veut aller jusqu'au bout car il est mû par sa conscience. Il fait partie des juges qui ne se soumettent pas au pouvoir politique", ajoute Cécile Roukoz.

Le juge Bitar s'est notamment mis à dos le puissant Hezbollah pro-iranien qui exige depuis plus d'un an son remplacement, l'accusant de partialité et de vouloir politiser l'enquête. En octobre 2021, une manifestation organisée par le Hezbollah et le mouvement Amal, son allié, pour exiger le départ de Tarek Bitar avait tourné au drame: des tirs contre le rassemblement près du Palais de justice avaient fait sept morts, et rappelé le souvenir de la guerre civile.

Manifestation contre le juge Bitar Liban octobre 2023
Le 14 octobre 2021 à Beyrouth, un militant du Hezbollah chiite brandit une pancarte contre le juge Tarek Bitar.
© REUTERS/Mohamed Azakir

Menaces croissantes

Dans un pays où l'allégeance communautaire prime souvent, le juge n'a pas d'affiliation politique connue, alors que beaucoup de magistrats se réclament des grands partis représentant leur communauté religieuse.

Selon l'une de ses connaissances, c'est un homme "très calme" mais déterminé. "Il répète qu'il ne va pas s'avouer vaincu malgré les pressions et qu'il n'abandonnera pas l'enquête", assure cette source.

Selon ses proches, le juge Bitar fait face à des menaces sécuritaires croissantes et prend des précautions lors de ses déplacements. Ce juge chrétien s'est forgé au cours des années une réputation de magistrat "intègre et incorruptible", de l'aveu même de ses détracteurs.

Il répète qu'il ne va pas s'avouer vaincu malgré les pressions et qu'il n'abandonnera pas l'enquête.Un proche du juge Tarek Bitar

Sûr de lui, voire arrogant selon certains, il évite de se montrer en public et de parler à la presse. "Lorsqu'il a été chargé de l'enquête, on a eu du mal à trouver une photo de lui", affirme un proche du juge.

Austère et au sourire rare, il décline toutes les invitations et évite toutes les occasions sociales de peur d'être accusé de complaisance. Né en 1974 dans le village d'Aydamoun au Liban nord, il est marié à une pharmacienne et a deux enfants.

Après un diplôme de droit à l'Université libanaise, il a commencé sa carrière au Liban nord, s'y affirmant comme un magistrat indépendant, avant de présider la Cour criminelle de Beyrouth.