70 ans après le départ des troupes allemandes de Paris, le musée Carnavalet fait revivre l'exposition photo qui s'était montée dans ses propres murs sur la Libération de la capitale quelques mois à peine après l'événement. Tous les clichés en noir et blanc sont remis en scène. Mieux encore, ils sont confrontés aux centaines d'autres qui, à l'époque, n'avaient pas été montrés aux visiteurs. Une relecture à froid d'une exposition qui s'était faite à chaud pour interroger en nuance cette page de l'histoire.
« C'est une exposition très politique qui est présentée en 1944 sur la Libération », résume Catherine Tambrun du musée Carnavalet. L'homme qui l'organise, François Boucher, est loin d'être neutre. C'est un résistant catholique de la première heure. « Alors que Paris est libéré le 25 août et que la guerre n’est pas finie, François Boucher lance, dès le mois de septembre, des appels dans la presse pour récupérer des photos de la Libération, raconte la commissaire. L’exposition est inaugurée le 11 novembre et remporte un vrai succès populaire. » Les photos proviennent alors des plus talentueux professionnels, tels que Robert Capa, Robert Doisneau, Jean Séeberger, mais aussi d'amateurs anonymes. Toutes mises au même niveau dans l'exposition de 1944 : « Aucune photo n'est signée, signale Catherine Tambrun. Elles sont d'abord montrées pour leur valeur historique » Et que montrent ces photos ? Le général de Gaulle en grand format bien sûr ! Des hommes, fusils au poing, derrière les barricades. Des résistants des Forces françaises intérieures (FFI) défilant la tête haute dans les couloirs de la préfecture. Des prisonniers allemands recroquevillés dans la cour carrée du Louvre… Des images de victoire, de bravoure et d'héroïsme.
Retouches et recadrages Dans cette exposition de 1944, on s'autorise aussi certains petits arrangements avec l'histoire. « Des images sont parfois recadrées ou retouchées pour les rendre plus dramatiques ou romantiques », signale la commissaire en pointant du doigt les planches-contacts retrouvées dans les tiroirs du musée. D'autres sont même détournées. Par exemple, « faute d'image de la réédition de Paris, on a utilisé, après recadrage, celle qui montre le général allemand von Choltitz signant une réclamation après la disparition de ses affaires personnelles à l'hôtel Meurice, siège des forces allemandes à Paris », décrypte Catherine Tambrun.
La légende officielle en 1944 : “La libération de Paris - Le général Von Choltitz, gare Montparnasse, 4e arrondissement, le 25 août 1944“ © Musée Carnavalet / Parisienne de photographie.
La photo originale non recadrée prise en réalité à l'hôtel Meurice, siège des forces allemandes à Paris. © Musée Carnavalet / Parisienne de photographie
Les oubliés de l'histoire immédiate Plus intéressant encore, avec le recul de l'histoire, le musée Carnavalet dévoile les photos qui n'ont pas été sélectionnées en 1944, celles écartées par l'histoire immédiate. « On se rend compte que les grands absents sont les soldats américains qui défilent pourtant en masse dans les rues de Paris », analyse la spécialiste. L'explication est simple : « Comme les gaullistes ne voulaient pas de commandement américain après le départ des Allemands, l'objectif était de montrer que le peuple de Paris s'était soulevé et libéré par lui-même », rapporte la commissaire. Autre image délaissée : les femmes en résistance. « On se contente de montrer des femmes qui soignent les blessées, ce qui est une position plus conventionnelle et acceptable », commente Catherine Tambrun. Le quotidien des Parisiens n’est pas non plus exposé. Qui, à la sortie de l’Occupation, aurait aimé voir ses propres souffrances ? Résultat, ce garçon au regard clair qui croque une baguette à pleine dents ne sort que maintenant des cartons. De même, les élégantes Allemandes faisant du lèche-vitrine dans les rues désertes de la capitale sont « inmontrables » en 1944.
Photo exposée en 1944 : “La libération de Paris - Anita d'Almeda, soins aux blessés, 21 août 1944.“© Fonds photographique René Zuber / Musée Carnavalet / Parisienne de photographie.
Photo non-exposée en 1944 : "Le premier pain blanc" 24 août 1944." © Agence Presse Libération F.F.I./ Musée Carnavalet / Parisienne de photographie
Des photos re-découvertes « En revisitant l’ensemble du fonds photographique que nous disposons sur la Libération pour remettre dans son contexte l’exposition de 1944, nous avons retrouvé des images rarissimes », souligne la commissaire. Comme celle d’un meeting collaborationniste au Vélodrome d’Hiver datée de 1941 ou encore celle du maréchal Pétain venu à Paris pour rendre hommage aux Français morts sous les bombes alliées. Il y a aussi cette photo de républicains espagnols en manteau noir. « Ils ont été oubliés par l’histoire. Pourtant ces combattants qui avaient lutté contre Franco dans leur pays ont participé à la Libération de Paris », rappelle Catherine Tambrun. Quelques autres clichés laissent apercevoir des soldats des troupes coloniales originaire du Maghreb ou du Liban car eux aussi ont libéré la capitale. Et seule une photo sur l’ensemble de la collection donne à voir un soldat noir escortant, aux côtés de résistants français, des prisonniers allemands avenue de l’Opéra. « C’est le reflet de la politique ségrégationniste des Etats-Unis qui ne voulaient pas de noirs dans les armées de Libération, explique Catherine Tambrun. C’est ce qu’on a appelé le "blanchiment". » Une politique qui a touché non seulement les troupes américaines mais aussi la Deuxième division blindée du général Leclerc (2e DB), entrée dans Paris le 24 août. Au fil des salles, se laissent ainsi entrevoir les strates de l'histoire. Exposition photo « Paris libéré, Paris photographié, Paris libéré », au musée Carnavalet à Paris, avec conférences et animations, jusqu'au 8 février 2015 (
programme en lien).
25 août "L'accueil fait aux soldats"© Rue des Archives/AGIP / Musée Carnavalet / Parisienne de photographie