Intervention en Libye, silence au Bahreïn
Le conseil de sécurité de l’ONU a adopté, le 17 mars, une résolution autorisant les Etats membres « à prendre les toutes les mesures nécessaires » afin de « protéger les civils et les zones peuplées de civils sous la menace d'attaques en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi, tout en excluant une occupation par la force ». Le Conseil a reconnu le rôle important de la Ligue des Etats arabes en ce qui concerne « le maintien de la paix internationale et la sécurité dans la région en ayant à l'esprit le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ». Le texte prévoit la mise en place « d'une zone d'exclusion aérienne de la Jamahiriya arabe libyenne afin de protéger les populations civiles ». Les membres du Conseil ont condamné « les violations systématiques des droits de l'homme y compris la détention arbitraire, les disparitions forcées et les exécutions sommaires » et ont rappelé « la condamnation par la Ligue arabe, l'Union africaine et le Secrétaire général de l'Organisation de la Conférence islamique des violations graves des droits de l'homme et du droit humanitaire international qui ont été commis en Libye ».Le conseil a également renforcé l’embargo sur les armes, étendu le gel des avoirs du gouvernement. UNE LIGNE DE DIVISION INHABITUELLE Ce texte a été adopté par dix voix avec cinq abstentions (Chine, Russie, Brésil, Allemagne et Inde), soulignant une ligne de division peu habituelle, les Etats arabes, la France et le Royaume-Uni étant favorables à l’intervention, l’Allemagne, le Brésil et l’Inde contre, les Etats-Unis s’étant ralliés à l’idée sur le tard. D’autre part, les pays africains se sont montrés souvent très prudents, l’Union africaine aussi. Pour le comprendre, il faut lire l’article publié par le New York Times du 15 mars, « Libyan Oil Buys Allies for Qaddafi ». Il démontre que le colonel, par son aide à de nombreux projets, par sa vision d’une union africaine, jouit d’un certain prestige, y compris dans les populations et que certains sont prêts à s’engager pour lui, non pas pour de l’argent, mais par conviction ! On peut certes le regretter, mais c’est ainsi... En revanche, les gouvernements arabes ont suspendu la Libye de la Ligue arabe : une première. Ils ont même appelé – à l’exception de l’Algérie et de la Syrie – à l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne. L'ÉCLAIRAGE DES EXEMPLES RÉCENTS Faut-il intervenir en Libye et sous quelle forme ? Si l’on met à part les pitreries de Bernard-Henri Lévy toujours prompt à prôner des expéditions militaires (surtout quand il se retrouve sur la tourelle d’un char israélien pour regarder l’écrasement de Gaza), la question est légitime. Les exemples récents dans l’histoire peuvent éclairer les difficultés. Ainsi, en 1979, le Vietnam est intervenu au Cambodge pour renverser le régime des Khmers rouges. Cette action militaire n’a pas obtenu l’aval de l’ONU (qui a conservé pendant des années le siège du Cambodge aux Khmers rouges !). Elle a pourtant mis un terme au génocide perpétré par le pouvoir et on ne peut que s’en réjouir. En 2003, les Etats-Unis sont intervenus en Irak contre l’un des plus brutaux dictateurs du Proche-Orient. Les raisons évoquées (armes de destruction massive) étaient fausses, mais le régime était tombé, ce qui ne pouvait que satisfaire la majorité de la population. Pourtant, huit ans plus tard, qui peut soutenir qu’une telle invasion, qui n’avait pas été acceptée par les Nations unies, a été bénéfique au peuple irakien ? Il ne fait aucun doute que le régime libyen est profondément impopulaire et ne dispose d’aucune base de masse. Bien sûr, c’est une appréciation en partie subjective, mais elle résulte d’une lecture attentive de ce qui s’écrit, y compris à partir de Tripoli, et d’un suivi des transmissions par les télévisions des images du terrain. DEUX POIDS DEUX MESURES Si une intervention occidentale sur le terrain est hors de propos et serait contre-productive, le texte du conseil de sécurité offre une autre perspective, peut-être plus efficace. On peut toutefois s’interroger : n’aurait-il pas mieux valu que la Ligue arabe, et en premier lieu l’Egypte, ouvre ses frontières à des armements qui permettraient aux rebelles de combattre ? D’autant plus que leur résistance avec des armes légères se poursuit, malgré les déclarations triomphantes du régime libyen. Mais le texte adopté par les Nations unies met en lumière aussi une politique du « deux poids, deux mesures » et le silence embarrassé de nombre de gouvernements face aux événements au Bahreïn. N’est-il paradoxal que l’Arabie saoudite se dise prête à user de la force en Libye pour faire tomber la dictature alors qu’elle intervient au Bahreïn pour écraser le mouvement populaire ? Cette décision a été prise par une famille royale dont les membres influents ont plus de 75 ans et qui s’inquiète aussi de l’évolution au Yémen. Elle n’arrive pas à comprendre les changements qui se produisent dans le monde arabe, y compris en Arabie, même si le roi devrait s’adresser à la nation ce 18 mars pour proposer des réformes. Cette invasion a nombreuses dimensions inquiétantes. Il est nécessaire de condamner avec force l’intervention des pays du Golfe, et en premier lieu de l’Arabie saoudite, au Bahreïn : l’arrestation d’opposants, la violente répression, le déploiement de troupes étrangères, ne peuvent que compromettre toute solution politique. Et ces recours à la violence sont un encouragement aux autres dirigeants du monde arabe (Yémen notamment) à suivre ce chemin.