L'Institut kurde de Paris en difficulté : fin de l'histoire ?

Aujourd'hui au premier plan dans un Moyen-Orient en plein chaos, les Kurdes,  tout au long des années d'oppression, ont été soutenus, représentés, parfois sauvés par l’Institut kurde de Paris (IKP). Mais faute de subventions, cette fondation unique en Europe est condamnée, à moins que…  
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Façade de l'Institut kurde de Paris
L'IKP est installé au fond d'une cour du Xème arrondissement de Paris.
 
(©IKP)
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1991, fin de la première guerre du Golfe. Les Kurdes se soulèvent contre le régime irakien affaibli par la défaite. Alors Saddam Hussein se retourne violemment contre eux. Deux millions de Kurdes sur le chemin de l’exil se massent à la frontière entre l’Irak et l’Iran, qui restent désespérément fermée. Kendal Nezan, le président de l'IKP, se souvient : "Un millier de personnes mouraient chaque jour dans la neige. La diaspora était mobilisée et certains voulaient s’immoler place de la Concorde pour sensibiliser la communauté internationale, inerte... Alors j’ai contacté l’Elysée et Danielle Mitterand a initié une résolution au Conseil de Sécurité l’ONU pour créer une zone de protection des Kurdes, qui est maintenant la base du Kurdistan iranien. Là, nous avons véritablement sauvé les Kurdes d’Irak. Sans cette mobilisation, ils croupiraient dans des camps de réfugiés." Affable, courtois, le regard chaleureux, optimiste et résolu, le président de l’Institut kurde de Paris n’est pourtant pas du genre à en rajouter, mais c’est avec émotion qu’il évoque les moments forts de l’IKP.

Autorité morale, gestion exemplaire

A la fois lieu culturel, bureau d’aide social, plate-forme de médiation diplomatique et voix de la cause kurde à ses heures les plus sombres, l’Institut kurde de Paris fait figure d’OVNI dans le paysage politique, tant par l'autorité morale qu'il s'est forgé que par la gestion raisonnable de ses modestes fonds. "Je contrôle beaucoup d'organismes, mais ici, beaucoup de choses sont réalisées avec peu de moyens, y compris sur le terrain," disait aux responsables de l'IKP un contrôleur du Quai d’Orsay, par la suite devenu bénévole de la fondation.  

Kendal Nezan, directeur de l'Institut kurde de Paris
Kendal Nezan, directeur de l'Institut kurde de Paris, en 2014
IKP

"Jusqu’en 2006, nous avons fonctionné avec des subventions du gouvernement français, même modestes. Depuis, elles n'ont cessé de se résorber. Voici deux ans que l’Etat français promet une aide qui ne vient pas et notre situation est désespérée. Pourtant, nous n’aurions besoin que de 4% des fonds accordés à l’Institut du monde arabe, mais l’esprit de partage n’est pas là", explique Kendal Nezan. De 600 000 euros sous les gouvernements socialistes, l’aide de l’Etat français à l’IKP est tombée à 55 000 euros. Ce montant annoncé en décembre 2014 à la fondation ne lui permet pas de continuer à fonctionner. Si le gouvernement régional du Kurdistan a aidé l'IKP jusqu’à l’année dernière, il est aujourd’hui paralysé par les contraires financières. "Il fait la guerre aux djihadistes sur près d’un millier de kilomètres de frontières et doit gérer 1,5 million de réfugiés : il n’a plus les moyens de nous financer," explique Kendal Nezan.

L'IKP jouit d'une solide autorité au Kurdistan. Voici plus de trente ans qu'en l'absence d'ambassade et de représentant politique reconnu, il est au premier rang dans les périodes difficiles pour les Kurdes. De la défense des prisonniers d’opinion au salaire des instituteurs après l’exode de 1991, la fondation parisienne a beaucoup assumé, se bâtissant une notoriété qui lui permet de mener, sur place, une "bataille des idées" fondée sur l'égalité et la défense des droits humains. Une bataille nécessaire, pour Kendal Kenan, dans la lutte contre le djihadisme : "Voici trente ans que nous menons ce combat idéologique. Les moyens militaires ne suffisent pas à vaincre le djihadisme."

La bataille des idées

Le combat idéologique mené par de l'IKP a commencé par la traduction en kurde de la déclaration universelle des droits de l'Homme, diffusée à 60 000 exemplaires dans la diaspora kurde, puis à 50 000 autres au Kurdistan irakien. Dans la foulée, la fondation a contribué à la création d’une organisation des Droits de l’Homme au Kurdistan. "Imaginez que le premier gouvernement du Kurdistan comprenait un ministère des droits de l’Homme, souligne Kendal Kenan, et que le premier ministre des Droits de l’Homme d’Irak est un ancien étudiant de l’IKP.

Porte-parole d’une culture égalitaire, l’Institut kurde oeuvre aussi pour les droits des femmes. Au Sénat français, pour plus de retentissement, et en présence de grandes figures du féminisme  international, il a organisé les toutes premières conférences sur les violences contre les femmes. Objectif : encourager les femmes kurdes à mener cette bataille. A l’époque, elles étaient deux députés au Parlement du Kurdistan. Aujourd’hui, un tiers des députés à l’assemblée kurde sont des femmes. 

Expo Kurdistan
Exposition à l'Hôtel de Ville de Paris organisée par l'Institut kurde de Paris en 2004.
(©IKP)

Le supplément d’âme de la diplomatie française

L'IKP est né au début des années 1980 de la volonté d’intellectuels et de politiques de défendre la cause d'un peuple opprimé, dans l’esprit de la France des droits de l’Homme - le philosophe Jean-Paul Sartre, l'écrivain turc Yachar Kemal et celui qui était alors un jeune étudiant en physique, Kendal Nezan, comptent parmi ses membres fondateurs.

Avec l’IPK, un chapitre de l'histoire des Kurdes s'est écrit en France, grâce au soutien du gouvernement. Un gouvernement qui, dans les années 1980, "affichait la volonté de donner la priorité à la culture et une image humaniste à sa diplomatie : l'Institut kurde de Paris était le supplément d'âme de la diplomatie d'une France par ailleurs alliée de Saddam Hussein. Aujourd’hui, la vision du gouvernement français n’est plus politique, mais comptable et à court terme," explique son président.

Mobilisation

L'Institut kurde, alors, est passé à la mobilisation publique. Un appel a été publié dans le quotidien français Libération, signé par des personnalités politiques comme Jean-Marc Ayrault, Hubert Védrine, Christine Lagarde, Bernard Kouchner, entre autres, ainsi qu'une trentaine de députés.

Dans les milieux universitaires, la mobilisation dépasse largement les frontières de la France, car l'IKP possède la plus grande bibliothèque kurde du monde occidental. "Les chercheurs sont catastrophés à l’idée d’être privés de notre fonds documentaire, qui draine des étudiants en doctorat d’Allemagne, du Japon, des Etats-Unis. Avant l'apparition d'Internet, nous recevions aussi des délégations de l’Académie des sciences sociales de Chine et d’Union soviétique qui venaient se documenter sur les Kurdes," explique Kendal Nezan.

IKP bibliothèque
La bibliothèque de l'IKP : premier fonds documentaire du monde occidental sur les Kurdes.
(@IKP)

Et puis il y a aussi les citoyens de base qui nous envoient de petits dons et des messages très touchants. D'autres nous parviennent aussi d’Allemagne, de Suède, nous avons lancé des appels jusqu’aux Etats-Unis. "En 1986, dans une situation similaire, c’est le gouvernement suédois qui nous était venu en aide et nous avait permis de tenir en attendant le retour de la gauche en France. Mais à l’époque, personne ne connaissait l’IKP, aujourd’hui tout le monde connaît les services  diplomatiques et culturels que nous avons rendus à la France", dit Kendal Nezan.

Du terroriste à l'allié contre le groupe EI

Et puis loin de l'image de violence véhiculée par les mouvements kurdes terroristes, comme le PKK en Turquie, les Kurdes sont devenus des figures rassurantes, celles d'alliés des occidentaux contre le groupe Etat islamique. "Mais tous les mouvements de libération n’ont-ils pas été, dans un premier temps, qualifié de terroristes ?" rappelle Kendal Nezan. Voici encore deux ans, le principal parti kurde d’Irak figurait encore sur la liste des organisations terroristes aux Etats-Unis. "Mais quand ce bateau avec un millier de réfugiés est arrivé sur les côtes varoises, en 2001, il y avait des kilomètres de queue pour aider ces réfugiés. 74% des Français considéraient alors que les Kurdes étaient opprimés et qu'il fallait les aider".

"L’Institut kurde de Paris ne va pas se laisser mourir en silence," promet Kendal Nezan avec un sourire. Les Kurdes en ont vu d’autres et ils continueront de résister. Toujours est-il que le président de l'IKP  a noué des contacts en Allemagne, en Norvège, à Bruxelles… Car pour l’Institut kurde de Paris, l’heure est peut-être venue de passer à la dimension européenne...