L’Iran à l'assaut de l’alcoolisme

L’Iran a banni la vente d’alcool de son espace public depuis 1979. S'il est interdit d’en acheter, il est également totalement proscrit d’en boire, sous peine d’amende, de coups de fouets et parfois, de pendaison. Pourtant, après presque quarante ans de répression, l’Iran n’a jamais eu autant la gueule de bois qu’aujourd’hui. Le gouvernement iranien, conscient de la consommation inquiétante d’une frange de sa population, semble adopter une nouvelle stratégie, tournée vers la prise en charge et le soin.
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Une bouteille de boisson non alcoolisé en vente dans un commerce du centre de Téhéran, Iran, le 22 Août 2015.
©Sebastian Castelier pour TV5MONDE
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Le 10 novembre 2015, en déplacement diplomatique en France, Hassan Rohani refuse un dîner à l’Elysée. La présence de vin rouge à la table des négociations gêne le président iranien. Un acte hautement symbolique tant l’alcool, en Iran, cristallise de nombreux enjeux politiques, sociaux, religieux et surtout, sanitaires.

Son interdiction la plus stricte depuis la révolution islamique il y a 37 ans n’a pas permis d’exclure totalement la boisson des mœurs iraniennes. Pire, elle semble exacerber la consommation de certaines couches sociales iraniennes qui en écouleraient, soit dans de mauvaises conditions, soit par pure bravade vis-à- vis du pouvoir.

 
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Sous un pont orné des drapeau de la République islamique d'Iran, des véhicules circulent sur un axe routier de la banlieue nord-ouest de Téhéran, le 8 août 2015.
©Sebastian Castelier pour TV5MONDE
Surtout présent dans les grands espaces urbains iraniens, l’alcool concernerait principalement les couches populaires et la classe jeune et riche iranienne. Le cardiologue Nader Dejagah a travaillé dans un quartier aisé de Téhéran en tant que médecin généraliste pendant six ans. Selon lui, l’addiction à l’alcool serait effectivement très localisée : « L’alcool n’est pas un problème pour tout le pays entier, mais davantage pour les quartiers riches et jeunes des villes importantes. » Les études médicales sur le sujet ne peuvent encore donner d’indications claires selon lui : « Les cirrhose de foie, les problèmes de reins et cardiaques ne pourront être identifiables avant plusieurs années. Moi, j’ai surtout constaté le accidents de motos, de voitures, spécialement la nuit, dans ces quartiers », rapporte Nader. Selon lui Isphahan, Shiraz et Téhéran seraient les plus exposés à ces excès.

« L’alcool provoque des soucis de santé avec une très grande consommation sur le long terme. Nous ne pouvons encore parler de problème sanitaire dans le sens où il faut une consommation régulière sur plusieurs dizaines d’années pour que par exemple, nous puissions trouver des dégâts sur les foies », précise Nader.

Alcool à désinfecter

Malgré ce manque de données révélatrices, le gouvernement iranien s’inquiéterait grandement des ravages de l’alcool chez une minorité de sa population. Selon une étude de l’OMS datant de 2010, les 4 % d’iraniens de plus de 15 ans ayant bu de l’alcool durant les douze derniers mois, ont consommé, en moyenne, 12 litres d’alcool pur de plus que les 95 % de Français de la même tranche. Chahla Chafiq, sociologue iranienne exilée en France, sait, via des relais locaux qu’elle entretient sur place, que secrètement « on peut demander discrètement, dans certains cafés, au serveur de mettre du whisky dans le coca qu’on commande. » « Pour certains jeunes, boire c’est aussi défier le pouvoir en place. »

 
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Mohammad, 36 ans, prépare de la bière artisanale, à base de bière sans alcool, le 20 août 2015, dans son appartement du nord-ouest de Téhéran, Iran.
©Sebastian Castelier pour TV5MONDE
Malheureusement, il arrive que certains alcools frelatés, ou certaines boissons alcoolisées via des mélanges réalisés avec de l’alcool à désinfecter, causent des décès. « Ce phénomène a surtout existé juste après l’arrivée au pouvoir de Khomeini qui avait rendu très difficile le trafic et donc la vente », tempère Chahla Chafiq.

Minoo, 23 ans, jeune étudiante en sociologie à Téhéran, a tendance à sortir faire la fête souvent. Elle ne boit que l’alcool que lui apporte les « Saghi » (dealer d’alcool, ndlr). Ces bouteilles de vodka et de whisky aux marques occidentales s’achètent environ le même prix qu’en Europe selon ses dires. « L’alcool fait maison est dangereuse, je le sais. C’est pourquoi j’évite. En Iran, les gens qui la consomment sont ceux qui n’ont pas les moyens de s’en acheter. » Davantage exposées aux erreurs de dosages, les classes populaires urbaines sont également plus souvent susceptibles d’être interpellées. Leur cadre privé étant plus restreint que celui de la classe aisée. En mai 2012, Baqer Larijani, ancien ministre de la santé, affirmait : « Nous recevons parfois des rapports inquiétants d’hôpitaux et de médecins sur la consommation d’alcool dans les quartiers du sud de Téhéran. Y vivent des gens à faibles revenus. » 

Centres de désintoxication

De mars 2015 à mars 2016, Abbas Jafar-Abadi, procureur général de Téhéran, cité par l’agence de l’autorité judiciaire Mizan, aurait recensé « 2.900 conducteurs en état d’ébriété. » Les contraventions pour état d’ivresse au volant, ou tout état d’ébriété ou de consommation d’alcool prises sur le fait accompli, seraient, selon l’AFP, punis d’une amende de 2 millions de rials (61 euros, ndlr), soit 15% du salaire moyen mensuel en Iran. Au bout de trois interpellations, l’Etat iranien requiert, selon l’article 179 de la charia, la condamnation à mort. Le texte de loi est très explicite : « Celui qui a subi à plusieurs reprises le châtiment réservé aux buveurs de boissons alcoolisées sera condamné à mort pour la troisième récidive ».

 
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Des bouteilles contenant de la bière alcoolisé sont exposées le 19 Août 2015 dans l’appartement de Mohammad, 36 ans, dans le nord-ouest de Téhéran, Iran.
©Sebastian Castelier pour TV5MONDE
Mais les pendaisons pour ce motif restent sporadiques et l’Etat iranien semble préférer trouver des solutions de prévention et de soins aux condamnations. Dans la capitale iranienne où les problèmes liés à l’alcool sont plus fréquents, la municipalité a décidé d’agir. « Elle a ouvert un centre de désintoxication. Les personnes concernées peuvent désormais venir librement et soigner leur addiction à l’alcool comme ils l’entendent », affirmait Farzad Hooshyar, directeur général des services sociaux du département de Téhéran, sur Mehr News. Mais ces infrastructures restent rares et sont encore méconnues du grand public.

Cité dans un article de YJC, Alireza Norouzi, directeur général du département de prévention des addictions, soutient que l’Iran progresse dans ce domaine : « Nous sommes toujours en train d’apprendre à notre personnel dans les centres de désintoxication comment lutter contre cela. Mais cela est en bonne voie. Nous avons une sélection de docteurs et de lieux pour faire face à ce problème. En tout, pour l’instant, nous comptons huit centres du genre et nous espérons en construire 140 avant mars 2017. » Entre la corde, la cirrhose et la cuite, Téhéran semble préférer la cure.