Après avoir annoncé sa démission fin 2012, le président du Conseil italien Mario Monti a finalement décidé de faire ses débuts sur la scène politique pour les élections législatives du 23 et 24 février 2013. Cet économiste a été nommé à la tête du gouvernement en 2011 pour sauver l’Italie de la crise. En lice pour cette élection majeure, a–t-il relevé les défis de sa mission, dirigée par l’Europe, qui prône l’austérité comme remède à tous les maux ?
Le revenant n'est pas forcément celui que l'on croit. Dans la course aux élections législatives italiennes anticipées, qui se tiennent les 23 et 24 février 2013, il n’y a pas que Silvio Berlusconi qui fait son grand retour sur la scène politique nationale à grands coups médiatiques. Mario Monti, président du Conseil, revient sous les feux des projecteurs pour faire ses premiers pas en politique. Après avoir exclu de se lancer dans la campagne, il a finalement décidé de se présenter en décembre 2012 à la tête de son propre parti : "Choix civique, avec Monti pour l’Italie", une coalition de centre-droit. Son but, a-t-il justifié, étant de préserver les réformes accomplies pendant les treize mois qu’il a passé à la tête du gouvernement, entre le 16 novembre 2011 et sa démission, le 22 décembre 2012. "Nous sommes les seuls à avoir montré notre capacité à gouverner. Et il y aurait un grand risque de faire repartir le grand incendie financier si les Italiens prêtaient l'oreille à Berlusconi et à ses promesses illimitées", a-t-il déclaré mi-février. Ancien de Goldman Sachs, ex-commissaire de la Commission européenne de Bruxelles et professeur d’économie surnommé “El professore”, Mario Monti jouit d’une très bonne réputation auprès de nombreux dirigeants européens. En 2011, l’Italie fait face à une grave crise économique. Le pays est sommé par l’Europe de redresser la barre. C’est Mario Monti qui est appelé à la rescousse, nommé par le président italien Giorgio Napolitano. Il occupe, sans avoir été élu, le poste de président du Conseil le 16 novembre 2011.
Etat d’urgence
"Il a été nommé en catastrophe dans un moment très difficile pour l’Italie", explique Francesco Saraceno, économiste à l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques (OFCE). "On était décrié en Europe. Berlusconi avait complètement perdu le contrôle de sa majorité. Probablement qu'à ce moment-là, on ne pouvait pas se permettre de s’embarquer dans une campagne électorale, même courte. On était dans l’urgence." En pleine crise économique européenne, Mario Monti reprend les rênes du pays des mains du “Cavaliere” Berlusconi, afin de parer aux menaces financières contre l’Italie. Fin 2011, Mario Monti forme un gouvernement de technocrates pour redresser le pays après les mesures d’austérité insuffisantes prises par Silvio Berlusconi à l’été 2011. Au début de son mandat, le professeur d’économie fait presque figure de héros ; en quelques mois, il restaure la dignité de la troisième économie européenne au prix d’une cure d’austérité préconisée par la Banque Centrale Européenne (BCE), le fonds monétaire international (FMI) et la Commission européenne. "Monti a été appelé pour sauver la patrie et il l'a très bien fait," poursuit l’économiste Francesco Saraceno. "Il a rassuré les marchés, donné de la crédibilité à l’Italie en passant trois, quatre mesures d’urgence qui ont comblé les comptes publics italiens en déroute à ce moment-là. La phase initiale, qui va de sa nomination, en novembre, à janvier 2012, est plutôt positive après la phase catastrophique que l'on venait de traverser. »
Réformes en série
Un premier plan de 63 milliards d’euros sur trois ans, nommé "Salva Italia", est adopté le 4 décembre 2011. Mario Monti réduit drastiquement les dépenses publiques, réforme le régime des retraites avec un allongement de la durée des cotisations et un recul de l’âge de départ en retraite, qui pourrait atteindre 70 ans en 2015. Puis le 20 janvier 2012, un nouveau plan "Cresci Italia" doit restaurer la croissance et renforcer la compétitivité du pays (lire l’analyse de
Corinne Deloy pour la fondation Robert Schuman). Le gouvernement Monti mène également une réforme pour lutter contre l’évasion fiscale. Il augmente aussi les taxes sur les biens immobiliers et met en place un impôt foncier sur la résidence principale alors que 80% des Italiens sont propriétaires. La réforme du marché du travail a soulevé plus de mécontentements encore. Elle prévoyait d’éliminer des contrats précaires et de faciliter les procédures de licenciement en modifiant l’article 18 du Code du travail. Cette réforme a provoqué l’insatisfaction du principal syndicat des travailleurs (CGIL) mais aussi de la Confindustria (confédération des entreprises italiennes).
“Ca aurait pu être nettement pire”
Bilan "plus qu’honorable", pour
Marc Lazar, professeur des universités à Sciences Po Paris et à l’Université Luiss à Rome, interviewé par la Fondation Robert Schuman. "Son action est saluée par les marchés, le spread [l’écart de rendement entre le taux de prêt italien et allemand, ndlr] a bien diminué, l’Italie a retrouvé sa crédibilité." S’il aurait pu faire mieux, il s’en est déjà bien sorti, considèrent de nombreux observateurs. "Il a réussi à rétablir la confiance," reconnaît Paolo Modugno, enseignant de civilisation italienne à Sciences Po Paris. "C’est déjà un très bon résultat, ça aurait pu être nettement pire. Il est clair qu’on ne peut pas, en très peu de temps, avoir des résultats spectaculaires." Ces mesures d’austérité sont tout d’abord plutôt bien accueillies par la population italienne, en dépit de la taxe foncière imposée. "Dans un premier temps, il y a une sorte d’état de grâce incontestable qui a duré trois mois, entre novembre 2011 et janvier 2012," explique Marc Lazar, dans un entretien à la fondation Robert Schuman. "Le gouvernement avait de très bons indices de popularité. Mais assez rapidement, étant donné les effets de la thérapie de choc, la population italienne a commencé à critiquer les mesures d’austérité qui la touchaient de plein fouet." Les Italiens sont restés très pacifistes, peut-être par résignation face à l’enlisement de leur pays dans la récession (voir notre encadré sur les chiffres clés). "Il n’y a pas eu de révoltes comme en Grèce ou ailleurs", souligne Paolo Modugno, enseignant à Sciences Po Paris. "Il y a quand même eu une certaine acceptation, car les gens étaient tout de même conscients de la gravité de la situation, et qu’il fallait faire quelque chose."
Plus belle l’Italie
C’est l’image donnée par l’Italie à l’étranger, embellie au début de la prise de pouvoir de Monti : "Avec l’arrivée du technicien Monti au pouvoir, les Italiens étaient satisfaits de ne plus avoir l'image catastrophique que Berlusconi donnait à l’étranger", se souvient Ana Maria Merlo, correspondante en France du quotidien italien
Il Manifesto. "Au début, Mario Monti était bien vu. Après la campagne, il a révélé un nouveau visage, avec ses liens avec la finance catholique, il est devenu un homme politique comme les autres… un intriguant." Puis la situation s’est compliquée. L’économiste Francesco Saraceno pointe le manque de légitimité de Mario Monti à son poste pour régler des questions politiques sans avoir été élu par le peuple. "Tout ce qu’il a fait depuis le mois de janvier - par exemple la réforme du marché du travail, la réforme de la retraite - sont proprement des choix politiques qui n’ont rien à voir avec l’état d’urgence pour lequel il a été appelé," insiste l’économiste de l’
OFCE Francesco Saraceno. "On ne peut pas le faire avec un gouvernement qui vient de nulle part. C’est vraiment une suspension du processus démocratique." Pour l’économiste, ce gouvernement de techniciens est resté trop longtemps au pouvoir, Monti aurait dû démissionné plus tôt. "Tout ce qu’il a fait a enfoncé l’Italie dans la récession, ça ne nous a pas fait du bien. Une politique différente aurait été nécessaire." Le gouvernement technique n’a pas résisté à l’épreuve de la complexe réalité économique du pays.
Doctrine européenne
Si pour certains, Mario Monti a fait ce qu’il a pu dans des conditions économiques nationales et européennes catastrophiques, la recette de l’austérité n’a clairement pas porté ses fruits. Pourtant le président du Conseil nommé s’est attelé à faire respecter une doctrine en laquelle il croit depuis qu’il a occupé les fonctions de commissaire européen. Mais l’austérité n’a ni relancé la croissance, ni recréé des emplois, ni réduit la dette du pays (votre notre encadré des chiffres clés, ndlr). "Le problème principal, aujourd’hui, n’est pas italien, mais européen," considère Francesco Saraceno. "La faute de Mario Monti a été de ne pas avoir su ou voulu - car probablement il adhère à cette vision - contraster une doctrine qui base la croissance sur l’austérité. Il a été un acteur de cette doctrine, à mesure qu'elle a été construite et formée. Maintenant qu’on la met en pratique, c’est catastrophique." L’Italie, comme les autres États européens, ne pourra résoudre seule sa crise par une politique d’austérité. L’économiste souligne que seule l’Europe pourra dans son ensemble changer quelque chose. "Si n’importe quel autre gouvernement avec une majorité remet en cause l’austérité en cavalier seul, il va se faire massacrer, car tous les décideurs politiques vont l’attaquer et il va immédiatement s’attirer les foudres des marchés. Avec une dette comme celle de l’Italie, on ne peut pas se le permettre."
Biographie de Mario Monti
Les chiffres clés de l'économie
Récession Fin 2012, l’économie italienne a connu un sixième trimestre consécutif de récession, soit la plus longue période des vingt dernières années. Entreprises 104 000 sociétés italiennes ont mis la clé sous la porte en 2012(étude Cerved). Chômage Le taux de personnes sans emploi a atteint un nouveau chiffre record de 11,2% en décembre 2012. Il a atteint 36,6% chez les 15-24 ans. Dette La dette publique italienne atteint les 2 000 milliards d'euros.
Calendrier des élections italiennes
24 et 25 février 2013 : quelque 51 millions d’Italiens sont appelés aux urnes pour élire leurs 630 députés et 315 sénateurs. Ensuite, sous quelques jours, le président de la République, Giorgio Napolitano, donnera mandat à un chef politique pour former le gouvernement. Mai 2013 : le 12e président de la République italienne sera élu par une assemblée de 58 grands électeurs composée de l’ensemble des sénateurs et députés ainsi que trois délégués pour chaque région italienne. Le président est élu à la majorité des deux tiers mais à la majorité simple après le troisième tour. Dans ce régime de démocratie parlementaire, le rôle du président de la République reste honorifique. L’actuel président, Giorgio Napolitano a annoncé à plusieurs reprises qu’il ne se représentera. Son mandat dure sept ans.
Les autres candidats
Le moins charismatique : Pier Luigi Bersani, donné favori par les sondages pour devenir le prochain chef du gouvernement italien, est un ex-communiste teinté de libéralisme. En 2009, il devient le patron du Parti Démocrate (PD). Ancien ministre de l'Industrie, des Transports et du Développement économique, il est apprécié dans les milieux économiques et industriels. Il promeut une vague de privatisations dans des secteurs aussi différents que l'électricité ou la vente de médicaments en supermarché. Le revenant : Silvio Berlusconi, se représente aux élections pour continuer de bénéficier de l’immunité parlementaire, affirment ses opposants, alors que le procès Rubygate a été reporté. Dans ce procès, le "Cavaliere" est accusé d’avoir rémunéré des prestations sexuelles à une mineure : Karima El Mahroug surnommée "Ruby la voleuse de cœurs". Plus d’un an après sa démission de son poste de président du Conseil, il repart en campagne et réalise une remontée spectaculaire dans les sondages avec plus de 20% d’intentions de votes. A 76 ans, il écume les plateaux de télévision et assure une omniprésence médiatique bouleversée par l’annonce du retrait du pape Benoît XVI de ses fonctions. Le comique populiste : Beppe Grillo, reconverti en politique, est devenu la grande préoccupation des principaux leaders italiens. Son Mouvement 5 Etoiles, porté par un rejet massif des partis traditionnels, grimpe dans les intentions de vote. Sorte de Coluche à l'italienne, cet électron libre de la politique transalpine, blogueur de 64 ans, rejette les médias traditionnels, et préfère s'exprimer à travers les réseaux sociaux et son blog, le plus lu d'Italie. Il refuse souvent de parler aux grandes chaînes de télévision italiennes, exigeant de ses élus la même attitude.
L’Eglise, parti pris des élections ?
Aux frasques de Berlusconi, le Vatican préfère le rigoureux professeur catholique, Mario Monti. Seul problème : l’alliance possible entre le parti du "Choix civique" de Mario Monti et le parti centre-gauche démocrate (PD) très laïc de Pier Luigi Bersani leur fait peur. Ce parti serait prêt à voter des réformes allant dans le sens de l’évolution de la société, comme l’euthanasie. Pour certains membres de l’Eglise, Mario Monti n’aurait pas assez défendu, pendant la campagne, les valeurs chrétiennes traditionnelles de la famille.