Le ton est brusquement monté ce mercredi 13 juin entre Paris et Rome alors que quelques 629 migrants, ballottés en Méditerranée depuis dimanche sont enfin partis vers l'Espagne à bord de trois bateaux dont le navire humanitaire Aquarius. Si l'attitude de Madrid est saluée, le refus de l'Italie et de Malte de les accueillir fait polémique en Europe, tandis que la France s'est surtout illustrée par son silence.
Trois jours : c'est le temps qu'il a fallu à l'exécutif français pour sortir de son pesant silence sur les tribulations de l'
Aquarius. «
Nous sommes évidemment prêts à aider les autorités espagnoles pour accueillir et analyser la situation de ceux qui, sur ce bateau, pourraient vouloir bénéficier du statut de réfugié », a déclaré ce mardi 12 juin le Premier ministre devant l'Assemblée nationale. Il se dit «
heureux » de la décision de l'Espagne d'ouvrir le port de Valence aux indésirables rescapés.
L' «
évidemment » ne va pas de soi, tout comme laisse perplexe la complexe formule «
aider les autorités espagnoles pour accueillir et analyser la situation »... Il faut aujourd'hui s'en contenter comme marque d'intérêt de la première puissance méditerranéenne au sort de 629 naufragés, hommes, femmes et enfants recueillis par une organisation humanitaire française.
L'Union européenne, pour sa part, s'est noyée dans la mésaventure, marquant sa désunion face à la provocation italienne. L'extrême-droite au pouvoir à Rome depuis moins d'un mois peut à cet égard jubiler à double titre.
Indésirables
Rappel :
navire de 80 mètres utilisé depuis 2016 par l'association humanitaire française SOS Méditerranée pour ce type d'opérations, l'
Aquarius est devenu avec près de 30 000 sauvetages à son actif, symbole de la solidarité maritime face au drame des migrants naufragés dont des milliers ont péri en mer ces dernières années.
Selon le droit international, les rescapés sont pris en charge par le pays qui coordonne les secours, en l'occurrence, compte tenu de l'incapacité libyenne, l'Italie.
L
'Aquarius a ainsi repêché ou récupéré au large de la Libye, 629 naufragés dans la nuit du 9 au 10 juin. Conformément aux promesses de son nouveau gouvernement, l'Italie fait aussitôt savoir qu'elle n'en veut pas et leur fermera ses ports.
Malte, autre pays riverain des zones de secours, sollicité émet une réponse moins idéologique mais également négative : les sauvetages ont eu lieu dans la zone de recherche et de sauvetage libyenne. Ils dépendent du centre de coordination des secours de Rome. Malte n'a aucune obligation de prendre en charge ces migrants.
Indignation de l'UNHCR qui enjoint Malte et l'Italie à autoriser «
immédiatement » le débarquement des 629 migrants. La Commission européenne, elle, se borne à demander «
un règlement rapide », indiquant qu'elle n'est «
pas compétente » pour les sauvetages en mer.
La leçon espagnole
La surprise vient alors de l'autre côté de la Méditerranée. Au pouvoir depuis moins d'un mois, le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez déclare avoir donné «
des instructions pour que l'Espagne honore les engagements internationaux en matière de crise humanitaire »
. Elle propose de recevoir l'Aquarius dans son port de Valence
. «
Il est de notre obligation d'aider à éviter une catastrophe humanitaire et d'offrir un 'port sûr' à ces personnes », ajoute son communiqué en guise de leçon de savoir vivre. Homme fort du gouvernement italien et patron de la Ligue (extrême droite), le ministre de l'Intérieur Matteo Salvini feint de ne pas le comprendre ainsi, et exulte.
En Espagne, la proposition d'accueil de Pedro Sanchez fait peu polémique, acceptée de l'extrême gauche à la droite libérale de Ciudadanos. Les grandes villes portuaires, Valence et Barcelone, s'étaient déjà offertes par la voix de leurs maires. L'hospitalité espagnole n'est en la matière ni symbolique ni naïve. Le royaume est de longue date, bien avant l'Italie, la terre d'asile de nombre de naufragés. Elle reste la première destination de l'immigration africaine.
Les autorités espagnoles ne sont d'ailleurs pas les seuls à avoir manifesté leur solidarité ou simple sens du devoir envers les rescapés de l'Aquarius. En Italie même, de Palerme à Naples en passant par Messine, plusieurs cités portuaires se sont déclarées prêtes à les accueillir mais elle n'en ont pas le pouvoir.
Discrétion française
En France, seule la Corse s'est manifestée en ce sens par la voix du président de son Conseil exécutif Gilles Siméoni. «
Une position, n'étant pas aux responsabilités, qui est facile », rétorque sans s'avancer d'avantage Jean-Baptiste Lemoyne, Secrétaire d’État, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères.
Dans l'opposition, droite et extrême-droite applaudissent l'Italie. «
Accepter que les bateaux de migrants accostent crée un appel d'air irresponsable! Il faut qu'ils retournent d'où ils viennent », déclare Marine le Pen. «
Aucun port français, ni Corse, ni Nice, ni Marseille », lui fait écho le député (LR) Eric Ciotti. «
L'Aquarius a une destination toute trouvée : il faut qu'il retourne vers les côtes libyennes ».
A gauche, on s'indigne à l'inverse de la passivité française :
«
L’humanité et le respect du droit international en matière de sauvetage en mer sont venus de l’Espagne qui accueille l’Aquarius. Honte à la France dont le silence vaut complicité avec l’Italie et Malte », tweete lundi le député insoumis Eric Coquerel.
On a, il est vrai, connu la tête de l'exécutif plus diserte. Ce n'est que le lendemain que le chef du gouvernement évoque le sujet à l'Assemblée nationale.
En écho à son Premier ministre «
prêt à aider » les Espagnols, Emmanuel Macron fait - indirectement et discrètement - connaître mardi son appréciation par le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux : «
la France prend sa part » aurait-il estimé, dénonçant le «
cynisme » et l' «
irresponsabilité » du gouvernement italien.
Réplique de ce dernier: «
l'Italie ne peut accepter de leçons hypocrites de pays ayant préféré détourner la tête en matière d'immigration (...) Nous avons reçu un geste inédit de solidarité de la part de l'Espagne. Ce même geste n'est pas arrivé de la France, qui de plus a adopté à maintes reprises des politiques bien plus rigides et cyniques en matière d'accueil » des migrants. Et Matteo Salvini de réclamer des excuses de la France (13 juin).
Faute de quoi, a-t-il menacé, il vaudra mieux annuler, aussi, la rencontre prévue vendredi à Paris entre Emmanuel Macron et le chef du gouvernement italien Giuseppe Conte: « Si les excuses officielles n'arrivent pas, le Premier ministre Conte fera une bonne chose en n'allant pas en France ».
Trouble
De mauvaise foi ou non, l'ironie italienne sur les leçons de Paris vise juste alors qu'un certain trouble a gagné en France jusqu'aux rangs de la majorité. Une trentaine de députés LREM (parti d'Emmanuel Macron) l'ont ouvertement exprimé : ils dénoncent une «
France paralysée dans sa solidarité », dont le devoir «
aurait été (...) de proposer d'accueillir » les migrants concernés.
«
J'aurais aimé que la France puisse être dans la droite tradition qui est la sienne, d'accueil et de réponse aux situations humanitaires d'urgence », a déploré sur BFMTV le vice-président de l'Assemblée nationale, Hugues Renson.
Les migrants, eux, poursuivent leur périple. Soulagé par deux bateaux italiens qui ont pris à leur bord une partie de ses passagers, l'
Aquarius a mis ce mardi soir le cap vers Valence.
Il lui faudra, à neuf noeuds de moyenne, près de quatre jours pour l'atteindre. On peut
ici suivre sa route en temps réel.[mise à jour le 13 juin 17 h sur la polémique franco-italienne]