
Fil d'Ariane
Plusieurs centaines de personnes ont manifesté samedi 18 février à Paris, Lyon et Marseille contre le projet de loi sur l'immigration et contre les centres de rétention administrative (CRA). Ils appellent notamment à leur fermeture.
À Paris, à Lyon, à Marseille, le même mot d'ordre est donné. Les manifestants des marches contre le projet de loi immigration ce samedi 18 février appellent tous à la fin des centres de rétention, ces lieux où sont enfermés des personnes exilées dans l'attente de leu renvois forcés. Les articles 9 et 10 du projet de loi immigration du ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin doivent être votés en avril prochain. Ils prévoient plusieurs mesures pour faciliter les expulsions des étrangers condamnés pour des "faits constituant une menace grave pour l'ordre public".
Une mesure crainte par les associatifs. "Nous nous attendons une augmentation du nombre de mesures d'expulsion et d'éloignement", explique Mathilde Buffiere, responsable du service rétention au Groupe SOS Solidarités-Assfam. Et implicitement, une augmentation du nombre détenus en centre de rétention. Mais comment ces centres fonctionnent-ils ?
Quand on entre dans une prison, on sait pour combien de temps et on sait pourquoi. Quand on rentre dans un centre de rétention, la durée n’est pas définie à l’avance, ni quelle en sera l’issue.Mathilde Buffiere, responsable du service rétention - Groupe SOS Solidarités-Assfam, qui travaille dans différents centres de rétention.
Une personne exilée ne peut, en règle générale, être retenu plus de 48 heures dans un centre de rétention. Mais cette durée peut être prolongée jusqu'à 90 jours par le juge quand le départ immédiat de l'étranger est impossible."Quand on entre dans une prison, on sait pour combien de temps et on sait pourquoi. Quand on rentre dans un centre de rétention, la durée n’est pas définie à l’avance, ni quelle en sera l’issue", explique Mathilde Buffiere.
Sur un plan juridique, la rétention administrative permet aux services publics de "maintenir dans un lieu fermé (centre de rétention administrative) un étranger qui fait l'objet d'une décision d'éloignement, dans l'attente de son renvoi forcé", détaille le ministère de l'Intérieur sur le site officiel de l'administration française. Elle est décidée par l'administration, autrement dit l’État.
Le problème, c’est que ces décisions d’expulsions et de renvoi forcé, ne dépendent pas de la décision du ministère de l'Intérieur français uniquement. Elles dépendent aussi de celle des pays d’origine. S'ils ne souhaitent pas réadmettre leurs ressortissants sur leurs territoires, les mesures d'expulsions et le temps passé en centre de rétention augmentent.
On observe souvent des gens qui ont des situations familiales en France, qui sont là depuis très longtemps, parents d’enfants français. Les consulats ne délivrent pas toujours de laissez-passer.
Mathilde Buffiere, responsable du service rétention - Groupe SOS Solidarités-ASSFAM, qui travaille dans différents centres de rétention.
Les périodes de rétention peuvent donc s’allonger bien au-delà des 90 jours. Il suffit d’attendre 7 jours après une première détention pour remettre un exilé en centre de rétention. "On observe souvent des gens qui ont des situations familiales en France, qui sont là depuis très longtemps, parents d’enfants français. Les consulats ne délivrent pas toujours de laissez-passer, explique Mathilde Buffiere. Ces personnes restent maintenues en rétention notamment lorsque la préfecture considère qu’elles représentent une menace pour l’ordre public. Elles restent 90 jours et quelques temps après peuvent être réinterpellées. Elles enchaînent parfois des périodes très longues d’enfermement."
Théoriquement, sans perspectives de renvoi, les personnes ne devraient pas être maintenues en rétention. "Mais, en pratique, quand il y a une menace pour l’ordre public, les préfectures demandent la prolongation des placements", assure la responsable du service rétention.
La crise de Covid a aussi diminué les laissez-passer vers les pays d’origine. "Depuis la crise sanitaire, on a des blocages avec plusieurs pays, notamment avec les pays du Maghreb", indiquait Gabriel Attal mercredi 10 novembre 2021 sur franceinfo. À titre d'exemple, l’Algérie avait délivré 31 laissez-passer consulaires entre janvier et juillet 2021 pour 7 731 obligations de quitter la France (OQTF) prononcées. Et dans le même temps, le temps moyen passé en rétention avait augmenté de plus d'un tiers, selon le rapport publié par plusieurs associations entre 2021 et 2021.
Pour ajouter à l'incertitude liée à la durée de rétention, les détenus ne comprennent pas toujours pourquoi ils sont enfermés. Il n’y a pas eu de condamnation de la part d’un juge, comme ce serait le cas en prison. Le motif du placement en rétention est lié au droit au séjour. "Les placements en rétention sont uniquement administratifs et pas pénales", rappelle Mathilde Buffiere.
Ainsi, une personne exilée peut être placée en rétention notamment dès lors qu’elle reçoit Obligation de quitter la France (OQTF) de moins d'1 an. L’OQTF oblige une personne exilée à quitter la France par ses propres moyens dans un délai de 30 jours. Dans des situations limitées, elle peut aussi obliger un exilé à quitter la France sans délai. Un recours est possible. La mise en rétention a lieu, en général, après une interpellation par la police, lors par exemple d'un simple contrôle d'identité.
Le motif d’enfermement est bien différent de celui d’un prisonnier. "Mais dans l’ambiance et dans ce qu’il se passe au quotidien, il y a des rapprochements qu’on peut faire", compare Mathilde Buffiere à partir des témoignages recueillis.
Quand on échange avec les personnes qui sortent de prison et qui arrivent en rétention, elles ont tendance à dire que la rétention est pire que la prison.Mathilde Buffiere, responsable du service rétention - Groupe SOS Solidarités-ASSFAM, qui travaille dans différents centres de rétention.
C'est un lieu sous surveillance policière, entouré de barbelés. "Quand on échange avec les personnes qui sortent de prison et qui arrivent en rétention, elles ont tendance à dire que la rétention est pire que la prison, pour des questions d’intimité, des absences de verrous sur les portes. On ne sait pas pourquoi et pour combien de temps on est là", confie Mathilde Buffiere.
La Cimade, France Terre d’Asile ou Assfam, font partie des cinq associations peuvent travailler à l'intérieur des centres grâce à une autorisation par le ministère de l’Intérieur. Elles ont "pour mission d’informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits", détaille le gouvernement. Elles ont des bureaux dans les centres mais elle n'ont pas accès aux lieux de vie."On a beaucoup de témoignages de personnes qui nous disent que les locaux sont délabrés, vétustes, et autres, détaille Mathilde Buffiere. Il y a beaucoup de personnes malades, beaucoup de personnes avec des pathologies importantes qui ne sont pas prises en compte par l’administration, ce qui renforce aussi les tensions dans les centres. Il y a de la violence entre personnes retenues, mais il y a aussi de la violence de la part des agents de police, des actes d’automutilation, des grèves de la faim."
Bruno Mengibar, secrétaire départemental du syndicat Unité SGP Police 34, attribue pour sa part l'augmentation des violences au profil des détenus, dans cet article de France Bleu et France 3. "Dernièrement, le gouvernement a rappelé, ce qui est tout à fait louable, qu'il allait donner priorité à l'expulsion et à la reconduite à la frontière des sortants de prison. Alors qu'avant, le pensionnaire habituel, c'était plutôt un ouvrier sans-papiers. Ce n'était pas des délinquants."
En 2021, plus de 42 000 personnes ont été enfermées dans les centres de rétention administrative, selon le rapport rédigé par les associations. Pourtant, le taux d’expulsion depuis les centres de rétention reste faible. Moins de la moitié des détenus avaient effectivement été expulsés.