Loin du battage médiatique d'Apple, l'Afrique innove
La présentation des derniers nouveaux produits informatiques de l'entreprise américaine au logo en forme de pomme a été l'occasion d'une marée médiatique mondiale ahurissante. Au même moment en Afrique, la jeune entreprise VMK crée de A à Z une tablette numérique, un smartphone et un téléphone multimédia à des prix accessibles : comment et pourquoi l'innovation informatique supposée est-elle captée par Apple, quand d'autres produisent de véritables solutions technologiques adaptées à un continent et restent dans l'ombre ?
A gauche, Vérone Mankou, PDG de VMK, à droite, Tim Cook, PDG d'Apple
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Way-C : la première tablette numérique entièrement conçue en Afrique
La technologie fait-elle perdre tout sens critique ? Cette question devrait se poser quand on observe l'espace gigantesque réservé par les média aux annonces de sortie des nouveaux produits d'Apple, et celui réservé à la tablette numérique Way-C, inexistant ou presque. Cette dernière est pourtant la première tablette numérique de conception africaine, de l'entreprise VMK créée en 2009 par un jeune entrepreneur congolais, Vérone Mankou. Quand des milliers de journalistes relaient le dernier "keynote" d'Apple pour la sortie d'un énième Ipad ou Iphone, plus lèger, plus fin, plus rapide, toujours plus…quelque chose, qui parle donc du premier smartphone africain, le Elikia entièrement conçu et produit par VMK ? Apple est-elle encore l'entreprise hyper innovante et inventive qu'elle fut ? Nombreux sont les observateurs de la firme informatique qui pensent qu'elle recycle et améliore avant tout des produits déjà vieux de plusieurs années tout en continuant de les faire payer au plus cher à ses clients. Comment en est-on arrivé là, et pourquoi Vérone Mankou, sorte de Steve Jobs africain, ne connait-il pas la renommée qu'ils mériterait, ainsi que ses produits technologiques congolais ?
Le doux ronronnement des fans de technologie
L'une des fameuses keynote d'Apple, présentation des derniers produits de la firme, ici le 15 septembre 2013 pour la sortie des Iphone 5C et 5S et d'iOS 7
L'univers d'Apple est avant tout celui d'un design hors-pair au cœur d'un écosystème informatique très efficace dont les fans ne tarissent pas d'éloge. Le problème n'est donc pas de critiquer ce qu'Apple produit en tant que tel, puisque l'entreprise est reconnue depuis longtemps pour concevoir le haut de gamme des appareils numériques et des systèmes d'exploitation. Le problème serait plutôt de questionner ce qui génère le manque de recul de la presse face à l'entreprise californienne, presse qui semble décalée vis à vis des besoins technologiques réels sur la planète et la possibilité ou non pour une grande partie de sa population d'en profiter. La technologie peut apporter des progrès concrets en termes économiques, sociaux, éducatifs, de santé, mais elle peut être aussi une sorte d'"escroquerie marketing", une forme de course absurde vers le "toujours plus", causant une addiction à des nouveautés qui ne sont généralement, en réalité, que de simples améliorations. Apple, avec ses smartphones et ses tablettes à 700$ et plus de 1500$ en Afrique, vend-elle du luxe avant tout ? Si innovation il y eut à la sortie du premier Iphone, du premier Ipad, nombre d'utilisateurs déplorent aujourd'hui ces vastes campagnes publicitaires destinées à faire acheter des produits qui amènent peu par rapport à d'autres produits plus anciens de la marque ou vis à vis de produits équivalents de ses concurrents. Mais la caisse de résonance Apple est pourtant toujours aussi importante, avec toujours autant de qualificatifs élogieux de la part de nombreux journalistes qui, semble-t-il, sont plus proches des fans de technologie ronronnant de plaisir devant les derniers jouets de la firme de Cupertino que de professionnels censés chercher à comprendre les enjeux véritables de technologies et d'appareils qui peuvent modifier sur de nombreux aspects les fonctionnements des sociétés du XXIème siècle.
Innover, c'est être proche des gens et de leur réalité
Publicité pour le premier et seul smartphone africain, l'Elikia au prix de 85 000 Francs CFA, soit 170$
La technologie doit permettre des progrès dans tous les domaines humains pour servir les individus et non l'inverse. Le continent africain a besoin de technologie autant que d'autres pour se développer, mais celle-ci doit être adaptée aux moyens, aux besoins et aux usages particuliers de ses habitants. Pour ce faire, la maîtrise dans la conceptions comme dans la production d'appareils numériques est nécessaire, ce qu'a parfaitement compris Vérone Mankou : sa tablette numérique comme son smartphone ont été pensés au Congo, et leur fabrication s'effectue pour l'heure en Chine dans la même ville où sont assemblés les matériels d'Apple ou de Hewlett Packard : mais une chose essentielle différencie la petite entreprise africaine d'un Apple ou d'un HP, l'adéquation de la technologie à l'Afrique. Le smartphone Elikia, comme le téléphone polyvalent multimédia Elikia Mokè, et la tablette Way-C de VMK sont à des prix abordables pour la clientèle africaine. Ce ne sont pas pour autant des appareils "low cost", de qualité médiocre, loin de là. Mais le principe central de Vérone Mankou est de développer des applications spécifiques pour sa tablette fonctionnant avec le système Androïd : un "store" particulier d'applications dédiées aux utilisateurs du continent a été créé, VMK Store, constitué d'applications développées en Afrique, dont 25% au Congo. Certaines sont génériques, d'autres très spécifiques permettant par exemple de géolocaliser les pharmacies de garde ou les boutiques du pays, accéder à un réseau social congolais ou encore un système de chat. Une communauté de développeur s'est formée autour du produit, d'autres applications pour la Way-C suivront.
Une politique commerciale adaptée à l'expérience utilisateur
Le dernier Iphone 5C, déclaré “low cost“ coûte tout de même 609 € en France, plus de 1500$ au Congo. Quelles innovations réelles pour ce smartphone estampillé Apple ?
Un Iphone coûte entre 1500 et 1700$ au Congo, et comme les tablettes les moins chères du marché ont un prix plus élevé d'au moins 50% que sur les autres continents, seule une élite fortunée peut se les payer. Vérone Mankou s'amuse de cette politique des grandes multinationales, comme celle pratiquée par Apple : "Ces firmes ne s'intéressent pas à l'Afrique, ils pensent que leurs produits ne seront achetés que par une toute petite minorité, les plus riches, donc ils les vendent très cher. En fait, c'est une bonne chose pour nous, puisque nos produits sont les moins chers du marché et de très bonne qualité. Avec en plus la fierté pour les acheteurs de soutenir un produit technologique entièrement africain". Le jeune entrepreneur n'a pas, pour autant, la volonté de recouvrir le marché africain de ses appareils sans pouvoir répondre aux attentes des utilisateurs, il s'organise donc pour cela : "l'expérience utilisateurs est très importante pour nous, il n'est pas question qu'en cas de problème un usager d'un de nos produits ne puisse pas avoir une réponse, un service après-vente correct. Il faut donc que des personnels soient formés pour répondre à ces demandes des clients, qu'il y ait des centres de maintenance et nous y travaillons. Une fois que cela sera fait, nous pourrons vendre en dehors du Congo, comme c'est déjà le cas au Sénégal." La tablette Way-C a séduit l'opérateur de télécom français Orange pour équiper les écoles du Niger, et les congolais sont de plus en plus preneurs des produits VMK. "Ce sont surtout les 18-34 ans qui s'équipent, mais toutes classes sociales confondues. Je sais que malgré le prix de 25 000 francs CFA, il y a des gens qui épargnent plus de trois mois pour se payer un téléphone multimédia Elikia Moké", conclut Vérone Mankou, très optimiste pour l'avenir de son entreprise. Le marché africain des smartphones et des tablettes est énorme : au Kenya, par exemple, la majorité des paiements s'effectuent aujourd'hui avec un téléphone mobile. L'Afrique est un continent jeune, au potentiel extraordinaire, et qui malgré d'immenses difficultés pour se moderniser cherche à entrer avec succès dans le XXIème siècle. Une entreprise comme VMK est là pour le démontrer : il ne reste plus qu'au reste du monde d'éclairer ces innovations africaines ainsi que ceux qui les portent. Et peut-être un peu moins relayer le marketing de plus en plus surfait d'un Apple, qui n'en a pas vraiment besoin.
Publicité pour le premier smartphone africain “Elikia“