Fil d'Ariane
S'il n'est pas découvert aujourd'hui, le danger se précise et le niveau d'alerte augmente. Pour la première fois, des dirigeants du monde entier s'alarment ouvertement du problème des superbactéries résistantes aux antibiotiques, qui rendent de plus en plus de maladies, comme la tuberculose ou les maladies sexuellement transmissibles, extrêmement difficiles à soigner.
Une réunion de haut niveau, rassemblant des chefs de gouvernement et responsables de la santé de nombreux pays, est organisée en marge de l'Assemblée générale de l'ONU - où les sujets de santé sont rarement abordés.
Ils devraient notamment s'engager à renforcer l'encadrement des antibiotiques, à mieux diffuser la connaissance sur ce phénomène, et encourager les traitements alternatifs, selon un texte qui devrait être soumis aux responsables.
Des engagements dont l'OMS espère qu'ils déclencheront des investissements coordonnés tant publics que privés et des efforts dans tous les pays pour endiguer ce fléau.
Les autorités sanitaires mondiales mettent en garde contre le danger de ce phénomène grandissant, surtout dû à un mauvais usage des antibiotiques, qui en continuant au rythme actuel pourrait rendre la médecine impuissante face à des infections banales et renvoyer le monde "au Moyen Âge de la médecine".
"Le problème est connu des professionnels de la santé depuis longtemps et pourtant il ne fait que s'aggraver", a expliqué à l'AFP Keiji Fukuda, représentant spécial du directeur de l'OMS sur cette question de la résistance antimicrobienne. "Nous sommes en train de perdre notre capacité à traiter les infections: non seulement le nombre de morts menace d'augmenter mais toute notre capacité à traiter les patients est menacée. Cela menace aussi notre capacité à produire suffisamment de nourriture", puisque l'agriculture et l'élevage sont aussi très largement touchés.
Une récente étude britannique a estimé que le développement de ces superbactéries hyper-résistantes pourrait être à l'origine de quelque 10 millions de morts par an dans le monde d'ici 2050, soit autant que le nombre annuel de victimes des différentes formes de cancer.
Actuellement, on estime que la résistance aux anti-microbiens est responsable de 700.000 morts dans le monde, dont 23.000 aux Etats-Unis.
Selon le docteur Fukuda, ces chiffres ne sont qu'une estimation, et les informations manquent dans de nombreux pays pour mesurer le phénomène précisément. Mais ils ont le mérite de montrer au public de façon très parlante l'ampleur du problème.
Le danger vient d'une sur-utilisation ou d'un mauvaise utilisation des médicaments antimicrobiens - les antibiotiques étant les principaux - un phénomène observé dans le monde entier. Chez les humains comme dans l'agriculture et l'élevage, où les antibiotiques sont souvent massivement utilisés, non seulement pour soigner les animaux mais aussi pour favoriser leur croissance.
Les bactéries super-résistantes qui se développent ainsi chez les animaux peuvent se propager chez l'Homme par la contamination de l'eau ou les déjections. Ils peuvent aussi voyager par les exportations de viande.
Bien qu'anticipé dès les années 1950 par le découvreur de la pénicilline Alexander Fleming, la résistance antimicrobienne a atteint des niveaux de plus en plus inquiétants ces dernières années, facilitée par l'absence d'antibiotiques nouveaux, explique le responsable de l'OMS.
"Cela fait au moins 20 ans que nous n'avons pas vu de développement de nouvelles classes d'antibiotiques", dit-il, la recherche étant trop risquée en termes de retour sur investissement pour les laboratoires pharmaceutiques.
"Nous sommes en train de perdre notre capacité à traiter les infections, et pas seulement des infections ésotériques mais des infections de tous les jours", souligne le Dr Fukuda, citant notamment les infections de la peau, du sang, ou de la voie urinaire.
Parmi les infections les plus difficiles à soigner figurent la tuberculose - quelque 480.000 personnes développent une forme de la maladie résistante aux antibiotiques chaque année, selon l'ONU - les infections nosocomiales contractées à l’hôpital et certaines maladies sexuellement transmissibles, comme la gonorrhée.
M. Fukuda se félicite néanmoins d'une meilleure prise de conscience du problème ces dernières années, y compris dans les pays en développement, comme la Thaïlande.
Il cite aussi en exemple certains pays, scandinaves notamment, qui ont diminué substantiellement l'utilisation d'antibiotiques. La Norvège a ainsi réussi à "éradiquer l'utilisation des antibiotiques dans les élevages de poissons", au profit de la vaccination.
Les infections résistantes aux antibiotiques pourraient d'ici 2050 avoir des effets dévastateurs sur l'économie mondiale, d'une ampleur comparable à ceux de la crise financière de 2008, met de son côté en garde la Banque mondiale qui appelle à l'adoption de mesures urgentes.
Cette étude de l'organisme international de développement publiée lundi, au premier jour de l'Assemblée générale des Nations unies à New York, conclut que la résistance microbienne pourrait accroître la pauvreté en touchant surtout les pays les plus démunis.
"L'ampleur et la nature de cette menace économique pourraient effacer les gains de développement économique durement obtenus et nous éloigner des objectifs visant à mettre fin à l'extrême pauvreté et à accroître la prospérité", a déclaré le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim.
"Les nations les plus pauvres n'ont pas les moyens du coût de l'inaction et nous devons agir au plus vite pour éviter une crise potentielle", a-t-il insisté.
Cette étude montre que selon le pire scénario, la résistance microbienne aux antibiotiques et à d'autres antibactériens pourrait entraîner une chute de plus de 5% du PIB dans les pays à bas revenus et précipiter jusqu'à 28 millions de personnes dans la pauvreté d'ici 2050.
A la différence de la crise financière de 2008, la plus grave depuis la grande dépression des années 1930, il n'y aurait pas de possibilité de reprise cyclique à moyen terme puisque l'impact coûteux de la résistance microbienne aux traitements persisterait, souligne la Banque mondiale.
Les conclusions du rapport sont basées sur les projections économiques mondiales de l'institution allant de 2017 à 2050.
Ces chiffres indiquent aussi que d'ici le milieu du siècle, le PIB global de la planète diminuerait de 1,1% selon un scénario de faible impact de la résistance microbienne et de 3,8% dans le pire des cas.
Le rapport conclut également que les dépenses de santé mondiales pourraient augmenter de 300 milliards à plus de mille milliards de dollars par an d'ici 2050, selon les différents scénarios de perte d'efficacité des antimicrobiens.
La résistance aux antibiotiques pourrait également provoquer une baisse annuelle d'entre 2,6% à 7,5% du volume de bétail et de la production de viande, prévoit la Banque mondiale.