L’opéra, un art universel ?

Alors qu’ont lieu, ce week-end, les journées européennes de l’opéra, coup de projecteur sur cet art et sa diffusion à travers le monde. Au delà de l’opéra « à l’occidentale » d’autres déclinaisons existent : certaines sont très anciennes, d’autres -plus récentes- mêlent codes classiques et traditions locales.
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L’opéra, un art universel ?
Timothy A. Leary - AFP
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Désuet, "vieille Europe", fait pour et par les Européens, telle est l’image souvent apposée à l’opéra. Pourtant, à y regarder de plus près, il est plus international qu’il n’y paraît. Pour mieux comprendre comment cette forme artistique s’est propagée, et sous quelles formes, un voyage à travers les époques et les pays s’impose. Naissance et essor de l’opéra européen Né en Italie au début du 17ème siècle, très vite, l’opéra conquiert l’Europe où il fait fureur. En France, c’est Lully qui l' établit durablement à la cour de Louis XIV. Au fil du temps, cet art se développe avec des traditions différentes. Christophe Ghristi, Directeur de la dramaturgie à l'Opéra national de Paris, dénombre trois grands courants : une tradition méditerranéenne (très forte en Italie, en Espagne et en France où l’on recense de nombreuses scènes lyriques), une tradition germanique en Allemagne et en Autriche et une tradition issue des pays de l’Est. « L’opéra est aussi au centre de l’activité culturelle en Europe Centrale : en Hongrie, en République Tchèque, en Slovaquie, en Pologne des œuvres se jouent quasiment tous les jours », précise-il. L’art lyrique est également très présent dans les pays baltes, en Ukraine et bien évidemment en Russie, pays qui a vu naître de nombreux compositeurs et dont le répertoire est très riche.
L’opéra, un art universel ?
Pelleas et Melisande - Debussy - m.en s.: Robert Wilson
L’art Lyrique et les Amériques Partout où ils le peuvent, les Européens amènent avec eux cet art. Assez rapidement, les émigrés issus du Vieux Continent l’introduisent en Amérique du Nord. En 1883, le Metropolitan Opera de New-York est inauguré. Peu à peu, des compositeurs lyriques locaux émergent. « Aujourd’hui, l’opéra fait partie intégrante de la culture nord américaine », insiste Christophe Ghristi. Au 19è siècle, il s’implante également en Amérique du Sud où la tradition lyrique demeure très forte. Toutes les grandes capitales sud-américaines possèdent un opéra. Le Colon à Buenos Aires est l’un des plus réputés au monde. Si dans cette région les classiques européens tiennent le haut de l’affiche, certaines créations originales locales y ont vu le jour. Par exemple, El Matrero (1925), de Felipe Santiago Boero. Inspiré d’un drame écrit par le poète uruguayen Yamandú Rodríguez, cette œuvre inclut des éléments (danse, chant) de la culture traditionnelle gaucho. Plus récemment l’opéra, en espagnol, Florencia en el Amazona, du compositeur méxicain Daniel Catán, est une adaptation de L’amour aux temps du choléra de l’auteur colombien Gabriel Garcia Márquez.
L’opéra, un art universel ?
Bintou Wéré au Théâtre du Châtelet - Paris - 2007 AFP
Afrique, Orient, un opéra renouvelé ? Au XIXe siècle, le cinéma n’existant pas encore et l’opéra étant « Le spectacle » où se réunit la bonne société européenne, des scènes lyriques sont construites  par centaines. Certaines sont érigées dans les grandes villes nord-africaines et proche-orientales alors sous influence française et britannique. La plus fameuse est celle du Caire où fut créé Aïda, l’opéra de Verdi, en 1871. Aujourd’hui encore, ce lieu demeure le plus grand opéra du Monde Arabe, juste devant ceux d’Oman et de Bahreïn, (inaugurés respectivement en 2011 et 2012) sans oublier celui de Damas. Cependant, aucune de ces scènes lyriques ne programment d’opéra en langue arabe. En avril 2013, Nafas (le souffle), composé par l’algérien Tarik Benouarka, s’est joué au Théâtre national d’Alger. Cette création originale, classique, qui mêle les univers de l'Orient et de l'Occident, est considérée comme le premier opéra écrit en langue arabe. En Israël, où l’activité lyrique est assez riche, en 2011, le compositeur israélien Ofer Ben-Amots présenta Le Dibbouk , un opéra en hébreu basé sur une pièce écrite en 1914 par Shalom Anski, une première.   En Afrique du sud, l’Opéra du Cap est le seul de tout le continent africain à proposer une programmation annuelle. Réservé aux Blancs jusque dans les années 90 en raison de l’apartheid, l’opéra y était perçu comme un divertissement « vieille Europe » pour Blancs fortunés. Mais les choses semblent évoluer. Dans ce pays où le chant est très présent, l’opéra connaît un succès populaire croissant. Depuis une dizaine années, naissent des œuvres lyriques locales. Créé en langue Zoulou au tournant du XXIe siècle, Princess Magogo kaDinuzulu est souvent présenté comme le premier opéra africain. Plus récent, Africansong book, est un opéra sur la vie de l’ancien président, Nelson Mandela. Il mélange chansons populaires xhosa, jazz de Sophiatown et musique populaire occidentale. En 2011, suivra Winnie, l’opéra, une œuvre en anglais et xhosa retraçant la vie de son ex-épouse.

L'opéra en Afrique du Sud

14.05.2013Par France Ô
Opéra sahélien En 2007, l’opéra du Sahel met lui aussi en scène œuvre contemporaine composée et interprétée par des Africains : Bintou Wéré . Il ne s'agit pas à proprement parler d'un opéra selon les codes précis du genre, mais plutôt d'un spectacle musical né de la collaboration d'artistes originaires des pays du Sahel. Le livret, en quatre langues (wolof pour le Sénégal, bambara pour le Mali, malinké pour la Guinée et créole africain pour la Guinée-Bissau et les anciennes colonies portugaises), est l'œuvre du Tchadien Koulsy Lamko. Dans la forme, Bintou Wéré est basé sur les multiples traditions musicales du Sahel et dans le fond, il est ancré dans l'actualité du continent noir puisque son thème est l'émigration des Africains en Europe, fantasmée comme un Eldorado. Cependant, en Afrique et au Proche-Orient, ces formes émergentes d’art autochtone n’en sont, pour l’heure, qu’à leurs prémices. Ce qui n’est pas le cas, de l’art lyrique turc… Les années suivant la proclamation de la République par Atatürk connurent un certain essor du point de vue culturel et notamment de l’opéra. En 1934, Ahmet Adnan Saygun compose Özsoy, un classique turc. Par la suite, plusieurs compositeurs issus du conservatoire d’Ankara, dont Cetin Isiközlü, enrichiront le répertoire. Sous l’influence russe, certaines nations d’Asie centrale et du Caucase se passionnent pour l’opéra. L’Azerbaïdjan avec 52 représentations organisées par an se classe au 39e rang mondial, selon les statistiques d’operabase. Uzeyir Hajibeyov, l’auteur azéri le plus connu, est également le premier auteur musulman d’opéra. Leyli et Majnun (1907), son œuvre la plus célèbre, constitue le premier opéra en langue azéri. Mais, en Asie, la tradition de l’opéra est encore bien plus ancienne…
L’opéra, un art universel ?
Pansori Traditionnel - Korea Cultural Heritage Foundation
L’Asie entre tradition et modernité Vieux de plus de 600 ans, l’opéra chinois est différent de l’opéra européen. Il se compose de différentes formes d’art lyrique qui ont évolué avec le temps et varient d’une région à l’autre. Créé au 14e siècle, le Kunqu est la plus vieille forme d'opéra classique chinois qui soit encore jouée. En février dernier, le théâtre du Châtelet a programmé le Pavillon aux Pivoines , une épopée composée en 1598 par le poète Tang Xianzu. Depuis 2001, le Kunqu est inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco. De même que le Pansori , une forme d’opéra traditionnel provenant de Corée. Il s'agit d'un récit chanté, accompagné au tambour. Également inscrit au patrimoine culturel mondial, l'opéra tibétain, est une autre forme d’opéra traditionnel. Cet art mêle chansons folkloriques, danses, récits, psalmodies, acrobaties et rites religieux. Si le Japon n’a pas une tradition d’opéra mais plutôt de théâtre (le nô, par exemple), l’opéra à l’occidentale est très apprécié dans le pays. A Tokyo, en particulier. Cet engouement a saisi également la Chine où une cinquantaine de scènes lyriques ultra-modernes se sont construites au cours des dernières années. Elles accueillent des opéras classiques occidentaux mais aussi des opéras en mandarin de compositeurs chinois contemporains. Pour cette puissance émergente, ces constructions représentent une attraction touristique aussi bien pour les Chinois que pour les étrangers. Elles sont également un moyen de montrer aux yeux du monde la richesse de la Chine. Enfin, avec son opéra emblématique de la ville de Sydney, l’Australie, le pays du bout du monde, se hisse au 15e rang des pays qui proposent le plus de représentation d’œuvres lyriques. Vous avez dit un art « vieille Europe » ?

“Un genre qui s’est installé partout “

Question à Christophe Ghristi, Directeur de la dramaturgie à l’Opéra national de Paris

“Un genre qui s’est installé partout “
« On peut dire que dans le monde entier, dans chaque civilisation, une forme d’art, correspondant à l’Opéra, existe. C’est à dire une forme artistique qui se déroule sur une scène avec un récit chanté et de la danse. Chacun l’appelle comme il le veut, mais chaque civilisation a connu cela. Dans tous les cas de figure, les artistes commencent par jouer sur scène puis la musique est ajoutée.   Dans le monde entier, il existe une curiosité pour ce genre-là, parce qu’il réunit la musique, la poésie, les décors, les costumes et les chanteurs aux voix fascinantes. Aujourd’hui, des opéras existent aux quatre coins du monde. En Australie, en Chine, évidemment au Japon, sur les deux Amériques, au Cap, en Afrique du Sud... C’est un genre qui s’est installé partout.   Outre les questions culturelles, je pense que le développement ou non de l’opéra dans un pays est une question de finances. Il s’agit d’un genre qui, par nature, coûte cher. Qui dit Opéra, dit orchestre, cœur, costumes, décors : c’est un art qui demande des moyens et, malheureusement, tous les pays n’ont pas la possibilité de s’offrir de tels investissements.»