Fil d'Ariane
Le Conseil Européen vient de valider la candidature officielle de l’Ukraine et de la Moldavie pour leur adhésion à l’Union Européenne. La suite de la procédure s'annonce longue et complexe, malgré l'urgence de la guerre avec la Russie.
« C'est une bonne chose de donner le statut à l'Ukraine. Mais j'espère que le peuple ukrainien ne se fera pas beaucoup d’illusions ». Edi Rama, premier Ministre albanais, accueillait ainsi la nouvelle de l’adoption imminente pour Kiev du statut de candidat à l’Union Européenne. La décision a été finalement rendue ce jeudi 23 juin au soir par le Conseil Européen, à la fois pour l'Ukraine et la Moldavie.
« La Macédoine du Nord est candidate depuis 17 ans, si je n'ai pas perdu le compte, et l'Albanie depuis huit ans, alors bienvenue à l’Ukraine », a-t-il ironisé.
Les procédures sont en effet souvent très longues, et Kiev n’a pour l’instant entamé que la première étape. Sa demande a été déposée en mars par le président Volodymyr Zelensky, peu après le début de l’invasion russe, et validée par la Commission européenne le 17 juin. Le Conseil européen vient de l’approuver à l’unanimité des États membres. "Le statut de candidat est une première étape très importante: cela signifie que l'UE se déclare prête à entrer dans un processus de négociation avec l'État concerné", commente Myriam Benlolo Carabot, spécialiste du droit européen.
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La candidature en elle-même a été traitée très vite. D’autres pays, comme la Turquie ou des États des Balkans, ont dû attendre des années avant de passer cette étape. Ankara avait par exemple présenté sa demande en 1987, mais les Européens ne l’ont reconnue qu’en 1999. Les négociations sont quant à elles toujours dans l’impasse.
Le statut d’État candidat ne change pour l’instant rien à la situation du pays en guerre. « L’Ukraine obtient un premier pas politique. Il n’y a pas d’assistance mutuelle possible en tant que candidat, non membre de l’OTAN. C’est évidemment ce que vise le président ukrainien, mais ce n'est pas une option réaliste. On lui donne pour l’instant un « ticket d’entrée », ce qui est déjà beaucoup. Le symbole est important, parce que Kiev le revendiquait depuis longtemps et qu’il a fallu de sérieuses discussions », analyse Florence Chaltiel-Terral, professeure de droit qui travaille notamment sur l’UE.
Lors de sa visite à Kiev, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen avait notamment pointé les efforts restants à déployer en termes de lutte contre la corruption. D’autres ont également évoqué les droits des minorités. « L'Ukraine est encore loin de remplir toutes les conditions. Les standards de l’Union sont très élevés en matière de démocratie, d'État de droit, de protection des droits fondamentaux. La négociation prendra du temps, si on veut une adhésion en bonne et due forme, comme les traités le prévoient », poursuit la juriste. Myriam Benlolo Carabot cite aussi la question économique, « la guerre accentuant une situation de pauvreté qui était déjà très préoccupante »,.
Pour adhérer à l’UE, les pays candidats doivent en effet remplir un certain nombre de critères, étudiés notamment pendant les phases de négociation. Il s’agit des « critères de Copenhague », un ensemble de conditions économiques et politiques établies en 1993, après l’effondrement du bloc soviétique. L’économie de marché, et une structure démocratique libérale en constituent les points incontournables.
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À cela s’ajoute la notion d’acquis communautaire. Cet acquis recouvre le fait d’adopter les législations européennes communes en vigueur. « C'est extrêmement lourd pour un État, surtout pour l'Ukraine dans sa situation ou lorsqu’elle sera en pleine reconstruction après la guerre. Des dérogations sur certains points pourraient être à prévoir », pour permettre une acquisition progressive, décrit Florence Chaltiel-Terral .
Dans le détail, les normes européennes sont négociées par « chapitres » et les législations des pays candidats évaluées de près, souvent pendant des années.
« Un chapitre ne peut s'ouvrir que quand d'autres ont été clos avec succès. Même si on parle d'une situation exceptionnelle pour l'Ukraine, certaines étapes devront nécessairement être respectées », précise Myriam Benlolo Carabot.
Une aide financière peut être accordée dans les phases de « pré-adhésion », pour aider le candidat à adopter les réformes nécessaires, notamment pour s’adapter aux « forces de marché » au sein de l’UE.
Le traité d’adhésion doit ensuite être approuvé par toutes les instances européennes, et par chaque pays membre. Les procédures peuvent être ralenties par certains États, plus tatillons sur le respect des critères et pas toujours favorables à l’élargissement de l’Union.
La dynamique d’adhésion s’est ainsi ralentie ces dernières années : le dernier pays à avoir rejoint l’UE était la Croatie en 2013.
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Un accord d’association, politique et économique, lie déjà l’Ukraine à l’Union Européenne. Signé en 2014 et entré en vigueur en 2017, il acte le libre-échange et différentes formes de partenariats pour rapprocher l’Ukraine de l’UE. Lors de sa signature en 2014, le président Petro Porochenko avait ainsi évoqué un « premier pas » vers l’adhésion de Kiev à l’Union.
Pour la suite, il n’est pas possible d’entamer le processus de négociations tant que le pays est en guerre, selon Florence Chaltiel-Terral. « Rien ne se fera tant qu'il n'y aura pas un cessez-le-feu. On peut donner des gages à l’Ukraine, des éléments de satisfaction, d'espoir. Mais tant que les Russes sont sur place et qu'on est en situation de guerre, on ne va pas pouvoir engager de négociations », assure-t-elle.
Le processus pourra peut-être être ensuite en partie accéléré, mais se comptera sans doute en années. Clément Beaune, le ministre délégué aux Affaires européennes, avait même parlé de « 15 ou 20 ans ». C’est ce que déplorent certains pays des Balkans, qui patientent depuis autant de temps pour pouvoir rejoindre l’UE. Si une procédure plus rapide était mise en place dans le cas de l'Ukraine, cela pourrait générer « des frustrations pour ces États qui négocient souvent depuis de longues années ».
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Une autre voie est possible si les Européens décident de se rapprocher encore de l’Ukraine, avant son adhésion pleine et entière, comme l’avait suggéré Emmanuel Macron. Le président français avait en effet suggéré en mai la création d’une Communauté politique européenne, permettant d’intégrer à la construction européenne des pays qui ne font pas (encore) partie de l’UE. « Cela permettrait de créer une sorte d'antichambre avant l’adhésion, pour marquer déjà une proximité plus forte. Cela peut se faire par des accords d’association. On peut innover, rappelle Florence Chaltiel-Terral. L’Union européenne se construit depuis le début par des innovations, surtout dans les moments de crises ».