L'Union européenne dans l'ombre du doute

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L'Union européenne dans l'ombre du doute
Dessin du caricaturiste italien Mauro Biani
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Dans un continent toujours globalement malade de sa crise économique, l'Europe aux couleurs de Bruxelles peine à susciter l’enthousiasme populaire et la campagne des élections européennes fait l'objet d'une couverture souvent minimale des grands médias. Alors que s'ouvre, ce lundi 12 mai, la campagne officielle des élections européennes, la mobilisation électorale s'annonce assez faible et, dans plusieurs pays, le vote anti-européen semble devoir prendre des proportions inédites.

Désamour

C'est une question embarrassante pour les services publics mis en cause, mais surtout un peu cruelle pour l'Europe. Qui diffusera le 15 mai prochain le débat au sommet organisé à Bruxelles entre les représentants des cinq grandes listes des élections européennes dont l'un présidera demain la Commission ? En France où le sujet fait l'objet d'une polémique amère, seule la petite chaîne privée d'information continue iTéle (groupe Canal +) s'est portée candidate en plus du canal parlementaire Public-Sénat (Tv5monde le retransmettra aussi sur son antenne et sur ce site … mais c'est un média international, de même qu'Euronews qui a diffusé le premier débat en direct – et en anglais - de Maastricht).

Les grandes chaînes s'y refusent y compris celles, publiques, de France-Télévision (France 2 et France 3), en dépit des pressions multiples, dont celle du Conseil supérieur de l'audiovisuel. « France Télévision ne doit pas censurer le débat européen » protestent dans un texte commun une trentaine de candidats de diverses tendances, parmi lesquels plusieurs têtes de listes. Réunissant près de 10000 signatures, une pétition initiée par un collectif proche du Parti socialiste et intitulée « sauvons l'Europe » s'émeut : « Qui en veut à l'Union européenne ?». « Alors que 50 % de nos lois proviennent de ce grand ensemble (...), la télévision française se regarde le nombril », s'indignent-ils. «  France Télévisions ne se sera jamais autant mobilisé pour des Européennes », proteste son patron Rémy Pflimlin, faisant valoir les multiples émissions consacrées au sujet sur France 2 et 3 (1). 

Pour française qu'elle soit, la querelle dépasse d'une certaine façon l’hexagone. Le débat au sommet du 15 mai - qui concerne 820 millions d'Européens - peine également à trouver preneur auprès des grandes télévisions du reste de l'Union, publiques ou commerciales. Et sauf à qualifier tous les diffuseurs dédaignant l'événement de masochistes, ce jeu de mistigri continental exprime une réalité : le sujet des élections européennes n'est, dans l'ensemble, pas le plus populaire qui soit comme le confirme, à peu près partout, la faible participation prévisible aux scrutins. Il y a, bien sûr, des nuances. L’atmosphère des différentes campagnes électorales reflète les enjeux et perceptions respectives.
 

Allemagne

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Affiche de “Alternative für Deutschland“

Europhile entre toutes les nations, l'Allemagne dispose du plus grand contingent de députés (96) et domine économiquement le continent. Ce n'est pourtant pas celle qui vote le plus : 56,7 % d'abstention en 2009, à peine moins que la France (59,4 %). Les sondeurs s'attendent pour 2014 à un chiffre du même ordre, bien que le scrutin européen soit couplé, dans une partie des Länders, à des élections locales. La campagne y est calme, suivie avec intérêt plus que passions. Sujets majeurs: la situation ukrainienne ainsi que plus récemment, le futur traité transatlantique (TTIP/TAFTA) que l'on découvre. Dominé par les deux grands partis au pouvoir, le pays reste à l'écart de la montée de l'euroscepticisme. Un consensus tout de même troublé par le parti de gauche die Linke (plutôt « eurocritique », peut-être 10 % des voix) et par un nouveau venu Alternative für Deutschland, qui milite pour la sortie de l'euro et pourrait recueillir 6 à 7 % des suffrages. Et localement, les « Freie Wähler » (« liste libre »), souvent de droite modérée et populiste, forment également une petite force anti-européenne.
 

Grande-Bretagne

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Une du journal d'affaires britannique “The Economist“

En Grande-Bretagne (66 % d'abstention en 2009), l'euroscepticisme ne s'est jamais si bien porté et fait même l'objet d'une surenchère teintée de xénophobie anti-continentale, en particulier à droite, où le thème de l'invasion est largement exploité. L'UKIP (United Kingdom Independence Party, parti pour l'indépendance du Royaume Uni), mouvement d'extrême droite partisan de la fermeture des frontières est crédité de 29 % et pourrait devenir – sans avoir aucun député aujourd'hui – le vainqueur de ce scrutin. Tirant argument d'une croissance britannique supérieure à celle de la zone euro, la grande presse alimente largement l'hostilité à l'Union européenne. Suivant le mouvement, le Premier ministre conservateur David Cameron a pour sa part promis un référendum sur l'Europe en 2017.
 

Italie

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Sondage de l'institut Bidimedia

Berceau du Traité de Rome, l'Italie est l'un des pays où l'on a le plus voté en 2009 (35 % d'abstention « seulement ») mais il n'est pas sûr que cette performance soit renouvelée. La campagne n'est pas inexistante mais elle mêle très étroitement – comme souvent – les questions européennes et le sujets proprement italiens, où le gouvernement joue sa survie politique. Au centre : la place de l'Italie dans la zone euro. Parti démocrate (centre gauche) et Forza Italia (de Silvio Berlusconi) se partagent l'électorat qu'ils doivent cependant disputer, cette fois, au Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, ovni radical difficile à classer et qui réclame un référendum sur l'euro. Si les critiques sont innombrables et virulentes dans la société italienne à l'égard de Bruxelles... voire plus encore de Berlin, l'appartenance à l'Union est assez peu remise en question.
 

Espagne

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“Comment l'Europe affecte t-elle les jeunes“ (affiche d'Izquierda Unida)

Les Espagnols (55 % d'abstention en 2009) ont longtemps figuré parmi les enthousiastes de l'Union européenne. Celle-ci le leur a, il est vrai, bien rendu en terme d'aides multiples et souvent aveugles dont beaucoup (financements d'infrastructures inutiles, soutien indirect à la bulle immobilière...) ont contribué à sa catastrophe. Une crise et de multiples plans d'austérité plus tard, il ne reste de cette euphorie qu'un souvenir amer et, selon un sondage récent, 72 % des Espagnols ne font plus « aucune confiance » à l'UE ; 22 % d’entre eux seulement en conservent une image positive. Le poids des grands partis (Parti Populaire de droite au pouvoir, PSOE socialiste) restant dominant, cette défiance ne se retrouvera pas nécessairement dans les urnes mais un progrès des listes contestataires est probable. Izquierda Unida (IU,la Gauche-Unie, coalition radicale incluant le Parti Communiste, créditée de 12 % d'intentions de vote) pourrait en profiter mais aussi des nouveaux venus comme Podemos (« Nous pouvons »), produit du mouvement des indignés. L'extrême-droite demeure inexistante malgré l'adversité.
 

Grèce

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C'est en Grèce, pourtant, que la tempête risque d'être la plus spectaculaire. La profonde crise économique et son traitement brutal imposé par le FMI, Bruxelles et Berlin ont bouleversé le paysage politique traditionnel et généré une profonde défiance à l'égard de l'UE. Avec l'effondrement du PASOK (socialiste), le grand vainqueur pourrait en être Syriza (gauche radicale, apparenté au Front de Gauche français ou l'IU espagnole), crédité par certains sondages de près de 28 % des voix devant la Nouvelle démocratie (droite) au pouvoir. Avec 8 à 9 % des voix escomptées, les néo-nazis de l'Aube Dorée peuvent conserver un pouvoir de nuisance mais n'annoncent pas de nouvelle percée spectaculaire.
 

France

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Second pays de l'Union en terme de siège, la France semble gagnée par un doute grandissant à l'égard d'un ensemble qu'elle a fondé. Selon un sondage, seuls 51% des Français demeurent favorables à l'appartenance de leur pays à l'UE, en nette baisse par rapport à 2004 (67%). Assez abstentionniste en 2009 (à peine plus de 40 % de votants) elle pourrait l'être plus encore le 25 mai prochain. Ce n'a pas toujours été le cas : très mobilisée en 2005, elle avait alors rejeté à près de 60 % et avec une forte participation le projet de Traité européen mais son vote jugé incorrect avait été froidement ignoré par la classe politique. Principal bénéficiaire de la désaffection : l'extrême-droite du Front National que plusieurs sondages donnent en tête du scrutin, devant la droite classique (UMP, elle-même divisée sur l'Europe), le Parti socialiste (au pouvoir), les centristes et écologistes en repli, et le Front de Gauche (gauche radicale) qui ne parvient pas à percer vraiment. Si la formation de Marine Le Pen exploite avant tout une situation nationale de crise économique et de malaise politique, elle capitalise aussi, en l'espèce, une défiance grandissante des Français à l'égard d'une Europe souvent perçue comme facteur de régression sociale et de perte d'identité, anti-démocratique, libérale, lointaine et ... anglophone.


(1) Le différend entre France-Télévision et plusieurs candidats ou partis s'est depuis envenimé
 
L'Union européenne dans l'ombre du doute
Union européenne
 
Capitale
Bruxelles et Strasbourg (siège du Parlement)
Superficie
4 376 780 km2
Population
820 millions d'habitants
 
L'Union européenne dans l'ombre du doute
L'abstention en 2009
 
L'Union européenne dans l'ombre du doute
La confiance dans l'Union européenne en 2012 (source Eurobaromètre)
 
Organisé par l'université de Maastricht et retransmis par la chaîne Euronews, un premier débat a réuni le 28 avril quatre candidats à la présidence de la commission de Bruxelles : le conservateur Jean-Claude Juncker, l'écologiste Ska Keller, le social-démocrate Martin Schulz et le libéral Guy Verhofstadt
Il s'est déroulé entièrement en anglais. Le candidat grec du Parti de la Gauche européenne Alexis Tsipras a refusé d'y participer pour cette raison.