Fil d'Ariane
Dans sa notification adressée au ministre français de l'Europe, Jean-Yves Le Drian, la Commission européenne commence par rappeler que "l'objectif du projet est conforme à la politique de l'Union européenne visant à lutter contre les contenus illégaux en ligne". Mais le courrier indique immédiatement à la suite que "des textes de loi existent déjà (…) la présidente de la Commission européenne a annoncé une nouvelle législation à venir sur les services numériques (Digital Services Act)". Dit plus franchement, la Commission demande à la France pourquoi cette dernière s'évertue à vouloir créer sa propre législation pour résoudre les problèmes des activités illégales sur Internet, alors que l'Europe y travaille, dans une "approche cohérente", avec la volonté de définir le rôle des plateformes "tout en soutenant la croissance de ces dernières, y compris celle des petits acteurs européens".
Certaines plateformes en ligne répondront à cette obligation en appliquant simplement un filtrage automatique de surveillance des contenus licites et illicitesExtrait des observations de la Commission européenne sur la loi française contre les contenus haineux sur Internet
Et c'est là que le bât blesse, pour la Commission : la loi française visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet est bien trop franco-française tout en pouvant agir sur les entreprises basées ailleurs dans l'Union. Elle permettrait en effet de punir n'importe quels acteurs numériques européens "si leur activité sur le territoire français dépasse des seuils déterminés par décret". La loi imposerait aussi des obligations pour ces acteurs, comme : nommer un représentant en France, avoir un mécanisme de notification spécifique en langue française, mettre à disposition une solution de filtrage pour interdire la remise en ligne des contenus "manifestement haineux", ou encore "l’obligation de respecter les règles édictées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA)". En réalité, toutes ces mesures de la loi Avia vont à l'encontre de la directive sur le commerce électronique qui interdit aux Etats membres de "restreindre la libre circulation des services de la société de l'information en provenance d'un autre État membre".
La République Tchèque est quant à elle venue enfoncer le clou à la suite de la Commission, dans un "avis circonstancié" envoyé à Bruxelles, que s'est procuré le site d'information NexInpact. Dans cet avis, la République Tchèque ne mâche pas ses mots, expliquant que "le texte proposé [par la France] a pour objectif de renverser l'un des principes fondamentaux énoncé dans la directive sur le commerce électronique". Traduit par nos confrères de NexInpact, cela donne : "à savoir : l'absence d'obligation de surveillance généralisée, sans oublier un régime de responsabilité taillé pour protéger la liberté d'expression et la liberté d'entreprendre, tout en permettant juridiquement la lutte contre les contenus illicites."
Cette proposition de loi va au-delà de la directive et peut constituer un obstacle à la libre circulation des services électroniques et ainsi affecter fondamentalement les droits des fournisseurs de services numériques.Extrait de l'avis de la République Tchèque sur la loi française contre les contenus haineux sur Internet
La proposition de loi française n'a visiblement pas été réfléchie au niveau du droit européen, et surtout les législateurs n'ont pas mesuré les impacts que celle-ci pourrait avoir sur l'activité des entreprises européennes du numérique. La République Tchèque semble par contre l'avoir très bien perçu, en concluant son avis sur ces mots : "Nous estimons que cette proposition de loi va au-delà de la directive et peut constituer un obstacle à la libre circulation des services électroniques et ainsi affecter fondamentalement les droits des fournisseurs de services numériques ".
On ne pourrait être plus clair.