Trois minutes top chrono. C’est le temps maximum accordé aux doctorants francophones pour expliquer leur sujet de thèse et convaincre le jury du concours Ma thèse en 180 secondes, dont la finale internationale 2015 a eu lieu ce jeudi 1er octobre à Paris.
Les nouvelles stars 2015 ? Les thésards ! C’est dans une ambiance de folie au Grand amphithéâtre de la Sorbonne à Paris ce 1er octobre, que s’est déroulée la finale internationale du concours
Ma thèse en 180 secondes, animée par Mathieu Vidard, de l’émission
La tête au Carré sur France Inter, partenaire de l’événement.
Le concept ? Les candidats ont trois minutes pour présenter, en français, leur sujet de recherche, avec pour seul appui une diapositive, devant un jury composé de scientifiques et d’universitaires. Sans oublier les auditeurs, au complet pour assister à la finale, qui votent pour le prix du public.
Les étudiants n’ont alors d’autre choix que de faire preuve d’un grand talent d’orateur pour arriver à rendre leur sujet passionnant et compréhensible par tous. Exercice difficile surtout avec des intitulés de thèse souvent très… hermétiques.
La Belgique, la France et le Maroc à l’honneur
Né en Australie en 2008, l’initiative a été reprise en langue française au Québec en 2012 à destination de l’ensemble des pays francophones. Dès 2014, le
Centre nationale de la recherche scientifique (CNRS) et la
Conférence des présidents d’université (CPU) co-organisent la première édition du concours dans toute la France.
Pour cette deuxième édition, les seize étudiants francophones ayant déjà franchi les étapes régionales et nationales, sont montés une dernière fois sur scène pour espérer décrocher une place sur le podium. Un défi de taille pour les doctorants.
Après trente minutes de délibérations, le jury, présidé par le mathématicien Cédric Villani, a fini par trancher. Le marocain Abdelkader Meni Mazhoum et
« son histoire de pomme menacée par un ver » a reçu le troisième prix du jury. Le français Alexandre Artaud, amoureux de la physique fondamentale, a réalisé un doublé en obtenant le second prix du jury et le prix du public. Et le premier prix revient au belge Adrien Deliège, doctorant en mathématiques qui dit avoir répété
«150 fois devant son miroir » pour réussir à rendre captivante sa thèse sur les variations du célèbre phénomène climatique
El Nino. Il succède ainsi à la française Noémie Mermet, lauréate de la finale internationale 2014 au Québec et membre du jury cette année (interview ci-dessous).
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Soutenir la recherche et la francophonie
L’autre objectif de ce concours est sans doute de rappeler que la recherche scientifique est essentielle, comme l’a souligné l’un des vainqueurs, Alexandre Artaud, après avoir reçu le second prix du jury :
« N’oublions pas l’importance de la science fondamentale, ni ses besoins ».
Un discours entendu par Najat-Vallaud Belkacem, ministre française de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui s’est, elle aussi, prêtée au jeu des 180 secondes pour clôturer ce concours 100% francophone :
« C’est une merveilleuse image de voir un Marocain, un Français et un Belge sur le podium. C’est formidable pour la francophonie ».
Huit pays francophones étaient représentés lors de cette finale internationale dont, pour la première fois, des candidats originaires du Burkina Faso, Tunisie, Cameroun et Sénégal. La Suisse, grande absente, devrait participer à la prochaine saison.
Noémie Mermet, doctorante française a remporté la finale internationale 2014 au Québec. Membre du jury de l’édition 2015, elle revient sur son expérience en tant que candidate.
Trois ans de recherche en trois minutes de présentation. Comment se prépare-t-on à un tel événement ?
Noémie Mermet : J’ai commencé le concours en première année de thèse, je n’avais donc pas encore beaucoup de résultats à mon actif à expliquer. Je me suis concentrée sur la présentation de ma thématique de recherche. Mais on ne peut pas se contenter de reprendre l’intitulé abrupt de notre thèse, sinon les gens n’y comprennent rien. Il faut donc commencer par synthétiser les points essentiels du sujet, enlever les aspects trop complexes, et trouver des anecdotes connues de tous pour que l’auditoire se sente concerné par nos propos. J’ai testé plusieurs versions auprès de mes proches, avant de valider mon texte final.
Et sur la forme ?
N.M : Je pense qu’il est essentiel de rester soi-même dans ce type d’exercice, et d’éviter de jouer un rôle avec lequel on peut se perdre. Je me compare souvent à
Marie-Charlotte Morin (deuxième prix de la finale internationale en 2014) qui a choisi la carte de l’humour lors de la finale. Un peu à la Florence Foresti (humoriste française) ! C’était une vraie réussite parce qu’elle est aussi très drôle dans la vie quotidienne. Moi je suis plus fleur bleue, émotive. J’ai donc privilégié ces traits de personnalité dans ma présentation. Ce qui par ailleurs correspond très bien à mon sujet de recherche qui traite de douleurs, de contacts.
Lauréate 2014, vous avez su convaincre le jury. Que vous a apporté ce concours dans votre vie professionnelle ?
N.M : Rien d’un point de vue purement scientifique. Aucune offre d’emploi ne m’a été faite pour le moment. Mais il me reste encore un an de thèse. Ce concours m’a surtout apporté une certaine notoriété et m’a ouvert les portes de la vulgarisation scientifique. Un travail qui me tient à coeur, même s’il n’est pas apprécié dans le monde de la recherche, souvent considéré comme une perte de temps. La consécration ultime dans ce domaine ? Ma participation à la
conférence TEDx en France le 17 octobre 2015. Un rêve qui se concrétise.
Ce concours permet-il aussi de changer l’image des thésards ?
N.M : L’un de mes arguments pour justifier de ma participation à ce concours était de rappeler que ma thèse est financée à la fois par l’
Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et par la région Auvergne. Autant dire que je suis rémunérée grâce aux impôts de nos concitoyens. Il était donc important pour moi de rendre des comptes d’une certaine manière et de montrer que les chercheurs ne font pas rien, comme on l’entend trop souvent. Il faut prendre conscience que la recherche, c’est long et compliqué. Les thésards travaillent trois ans sur une thématique pour laquelle ils obtiennent un petit résultat qui apporte une goûte d’eau dans un océan. Mais d’autres doctorants poursuivent le travail jusqu’à obtenir des résultats conséquents. Trouver un vaccin contre le virus du Sida peut effectivement prendre des années. Il est donc essentiel de continuer à financer la recherche fondamentale en l'occurrence, sans quoi il n’y a pas d’avancées, donc pas de traitements. Et si ce concours permet de donner une bonne image des doctorants, c’est une bonne chose.
Cette année, il y a parité parfaite entre les candidats féminins et masculins et une majorité de chercheuses compose le jury, présidé par le mathématicien Cédric Villani. Mais les dernières études statistiques montrent que les sciences restent encore un monde très masculin (un tiers de femmes en 2014). Est-ce que ce type d’événement est un moyen pour les chercheuses de se faire une place et de gagner en visibilité ?
N.M : Je pense que ce concours donne une visibilité aux femmes en sciences qui souffrent plus que les hommes dans le monde de la recherche. Il est plus difficile pour une femme de prendre des décisions ou d’accéder à des postes à responsabilités. J’ai même lu que les chercheuses manqueraient d’ambition ! Dans mon laboratoire, il y a 90% de femmes. Est-ce parce qu’on traite de la douleur, des migraines, qui est peut-être une thématique qui parle plus aux femmes ? Ou parce que notre directeur préfère travailler avec des chercheuses ! Pour l’instant, je ne me sens pas lésée en tant que femme. Mais j’ai conscience que tout peut basculer, comme c’est le cas pour d’autres doctorantes, notamment celles qui ont une vie de famille. Avoir des enfants risque d’entraver ma recherche d’emploi. Mais je ne vais pas m’empêcher de vivre ma vie de femme et de fonder une famille. Si ça ne convient pas, je ferai autre chose de ma vie.