Fil d'Ariane
Ces trentenaires ont pris la parole sur Internet en 2009, alors que Madagascar traversait une grave crise politique. Depuis, ils continuent de s'exprimer librement sur tous les sujets, même la politique, bien qu’inquiets du nouveau Code de la Communication, considéré comme « liberticide » pour et par les journalistes.
Ils sont quelques-uns à s’être retrouvés en cette fin de semaine au Village de la Francophonie à Antananarivo. Ils participent aux ateliers de Mondoblog un projet de plateforme internationale de blogueurs porté par nos confrères de RFI.
Dans la salle, chacun brandit ou tapote sur son téléphone, sa tablette ou son ordinateur, connectés au wifi dispensé par le stand de l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Pas question de rater ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Parmi ces jeunes, deux trentenaires malgaches qui bloguent depuis 2008 et 2009, une période où Internet restait très très peu accessible dans le pays.
Ils sont alors piqués par l’envie de témoigner, partager ce qu’ils voient autour d’eux, alors que Madagascar traverse une grave crise politique. Le président Marc Ravalomanana renversé, une partie de l'armée mutinée s'empare du palais présidentiel et transmet les pouvoirs à Andry Rajoelina.
> Lire notre article Madagascar en chiffres
Les blogueurs s’emparent alors d’Internet pour raconter ce qui se passe dans leur pays, et surtout dans la capitale. Sans que leurs blogs n’aient le même effet, leur geste n’est pas sans rappeler celui des jeunes du Maghreb et du Moyen Orient, qui se sont appropriés les réseaux sociaux pour partager leurs idées et soulever une révolution dans leurs pays en 2010-2011, comme en Tunisie.
Aujourd’hui, les blogueurs malgaches s’inquiètent de l’adoption d’une loi, un nouveau Code de la Communication jugé « liberticide » par les journalistes du pays comme le journal L’Express de Madagascar le titrait encore le 23 novembre 2016.
Les sanctions indiquées dans ce code sont aussi jugées excessives. Ainsi, « Toute atteinte à la vie privée (...) est punie d'une amende de 1.000.000 à 6.000.000 ariarys » (entre 287 et 1721 euros). Une amende de 3.000.000 à 6.000.000 ariarys (860 à 1721 euros) peut être appliquée pour « toute entrave par quelque moyen que ce soit, au déroulement des fêtes nationales ou toute incitation, par tout support audiovisuel, à s'abstenir d’y participer, que cette incitation ait été ou non suivie d'effet. »
Autant de mesures qui inquiètent aussi les blogueurs, toujours déterminés à partager leurs opinions en ligne.
♦ Andriamialy Ranaivoson, 36 ans, blogueur.
Quand il n’écrit pas sur Internet, il travaille dans une banque.
Comme une majorité de blogueurs malgaches, j’ai commencé à bloguer en 2009, pendant la crise politique et alors que la connexion était encore très limitée en termes de vitesse, d’accessibilité et de prix.
Aujourd’hui, l’accès à Internet progresse, même si les grandes villes comme Antananarivo restent privilégiées. Mais c’est aussi là que les grandes décisions se prennent et que toutes les actions peuvent avoir un impact sur les régions.
En 2009, on devait alors bloguer pour le pays.
Andriamialy Ranaivoson
Les premières victimes de cette crise politique de 2009, c’étaient les médias. Soit leurs locaux ont été saccagés - des journalistes ont même tués - soit ils avaient peur et ne sortaient plus aucune information. En 2009, pour disposer d’informations, pas vérifiées, mais disponibles, il fallait aller sur les blogs, ou dans les forums.
> Lire notre article Madagascar en chiffres.
Les jeunes qui voulaient raconter et montrer en direct ce qui se passait dans la rue ou partager leur opinion ont trouvé que dans les blogs une solution facile et peu risquée, parce qu’on était tous anonymes, au début.
Dès que j’étais témoin d’une scène qui résultait de la crise, je mettais tout sur mon blog et sur Twitter. A cette période, le trafic sur nos blogs était vraiment important.
Les blogs sont-ils toujours autant suivis ?
Aujourd’hui, ce sont davantage des habitués qui nous suivent. Ceux qui font des blogs sur la politique ont certainement plus de lecteurs que sur mon blog, par exemple, sur lequel je parle un peu de tout : faits de sociétés, opinions, un peu d'humour… C’est pour ça que je l’ai appelé « Lay corbeille ». Je cumule plus d’une centaines de lecteurs par jour, c’est assez correct pour Madagascar.
Les blogs restent-ils l’un des moyens d’expression les plus libres aujourd’hui selon vous ?
Je pense que oui. La liberté d’expression est de moins en moins évidente quand on voit le Code de la Communication... Comment il va-t-il être appliqué ? On a pris ça comme une mesure pour cadrer les journalistes incluant les blogueurs. Sera-t-il une menace pour nous? Même si on n’est pas menacés directement, nous devons faire attention. Mais c’est peut-être aussi une preuve indirecte que la politique s’intéresse à ce que font les blogueurs malgaches....
A Madagascar, des accords entre Facebook et les opérateurs de téléphonie permettent aux internautes de se connecter au réseau social américain sans aucun décompte sur leur crédit Internet. Avec cette gratuité, les jeunes se connectent avant tout sur Facebook, et ne s’informent que sur cette plate-forme. "Pour beaucoup de jeunes, ça suffit d’avoir seulement sur leurs téléphones Facebook ou Twitter, sans avoir jamais à aller ailleurs sur le web, explique Andriamialy Ranaivoson. C’est un problème. Etant donné que les pages Facebook sont très actives, nous, blogueurs nous avons aussi notre rôle à jouer en tenant compte du poids que Facebook a, et peut-être à créer aussi des contenus sur Facebook." Pour Lalatiana Rahariniaina, les blogueurs doivent "lutter aussi beaucoup contre la diffusion de rumeurs parce que les gens ne savent plus séparer le vrai du faux."
♦ Lalatiana Rahariniaina, 35 ans.
Quand elle n’écrit pas sur son blog, elle est traductrice et étudiante en deuxième année d’anglais à l’université.
Depuis toujours, je voulais écrire sur Madagascar. Je voyais trop de reportages faits par les étrangers qui ne portent pas le même regard que nous sur notre pays. Je me disais alors qu’en tant que citoyenne, j’avais quelque chose à dire sur notre pays. Je me suis alors mise au blogging en 2008.
Un an après, ça a été la crise. Avec mon mari, également blogueur, on a travaillé en équipe. Il était sur le terrain, il m’appelait. Et par téléphone, j’entendais tout et je tweetais depuis le cybercafé d’où la connexion internet était possible. J’étais pratiquement la seule Malgache à tweeter en direct à ce moment-là. C'était un peu notre heure de gloire...
Ici, les médias traditionnels avaient leur ligne éditoriale à respecter et une grande partie des nouvelles n’étaient pas publiées. Nous, les blogueurs observions ce qui se passait et on n’avait pas les mêmes contraintes. On pouvait dire et partager ce que l’on voulait.
Et aujourd’hui, les blogueurs ont-ils autant d’importance ?
C’est vraiment dans la capitale qu’il y a le plus de blogueurs (plus d’une centaine, ndlr) mais beaucoup vivent aussi hors du pays d'où ils bloguent sur Madagascar. Mais beaucoup ont disparu depuis 2009. Certains ont arrêté…parce ce qu’il faut aussi survivre et le blogging c’est une passion, pas une activité rémunératrice.
Aujourd’hui, on commence à prendre de l’importance. Le fait que l’Etat décide d’ajouter une loi contre la cybercriminalité, signifie que l’on a notre rôle dans l’histoire. On se sent concerné par le Code de la communication mais pour l’instant on ne sent pas inquiétés.
Aujourd'hui, que racontez-vous sur votre blog ?
Je raconte surtout des aspects de notre société malgache dont on ne parle plus trop parce qu’on s’y habitue… comme les gens qui dorment dans la rue. Je m’intéresse aussi beaucoup à la culture parce que nous, les jeunes, on a l’impression d’être envahis par la culture occidentale et on oublie notre propre culture, que je découvre moi-même, et que j’ai le plaisir de partager sur mon blog. J’écris aussi sur le changement climatique, moins sur la politique, mais je ne m’interdis pas d’en parler si quelque chose me frappe.
Est-ce que beaucoup de femmes bloguent ici ?
Mon blog s’appelle « femme qui blog ». A chaque fois que les blogueurs se réunissent, je suis la seule représentante féminine mais je ne suis plus seule à bloguer quand même !