La grande conférence "MadeByGoogle" de ce mardi 4 octobre 2016 a révélé la stratégie commerciale très orientée de la multinationale Google, filiale d'Alphabet. Au cœur de cette stratégie, des appareils équipés d'une intelligence artificielle aux capacités surprenantes. Les technologies de science-fiction les plus poussées deviennent-elles réalité, et avec quels bénéfices-risques ?
Google se lance dans la conception et la production de matériels numériques grand public et le fait savoir. Comme toujours avec la firme californienne, les innovations dévoilées sont très importantes et, de fait, ne sont pas sans conséquences sur les usages, voire au-delà, sur les modes de vie.
Google a donc fait découvrir mardi 4 octobre 2016, lors de sa conférence
"MadeByGoogle", un nouveau modèle de smartphone, nommé Pixel. Comme il fallait s'y attendre, Pixel n'est pas un simple smartphone de plus, aux capacités toujours plus grandes. Tout comme l'assistant vocal à domicile "Google Home" n'est pas une simple copie de celui proposé par Amazon. Un casque virtuel, le "Daydream View" et un routeur wifi viennent compléter les appareils connectés de Google, et là encore, la technologie développée par Google et les possibilités qu'elle offre questionnent : dans quelle mesure ces appareils pourraient-ils radicalement changer nos comportements et notre quotidien ?
Au cœur des matériels Google : l'intelligence artificielle
Les voitures sans conducteur développées par Google (les "Google Car" en test depuis quelques années), sont entièrement dépendantes des algorithmes qui pilotent l'ordinateur central de chaque véhicule. Reconnaissance visuelle, capteurs de mouvement, anticipation des autres véhicules, gestion de la vitesse, calcul des trajectoires, des itinéraires : les paramètres qui permettent aux "Google Car" de se déplacer sont innombrables, très complexes et demandent aux logiciels en charge de la conduite d'être en apprentissage permanent.
Ce sont des intelligences artificielles (IA), basées sur le
"deep learning" (des systèmes algorithmiques d'apprentissage profond) et les technologies de type "deep neural networks" (
principes de réseaux de neurones artificels) qui décident à elles seules des actions à effectuer. Ces architectures informatiques, que l'on peut regrouper sous le terme "d'apprentissage automatique", s'améliorent de façon autonome au fur et à mesure du traitement des données nécessaires à la conduite du véhicule.
Ces intelligences artificielles, telles le programme AlphaGo (issu de la technologie DeepMind développée par une filiale de Google) ont battu l'un des meilleurs champions au monde du jeu de Go cette année.
Google a misé, pour son développement, sur l'IA, afin de percer dans le secteur très vaste des technologies numériques — au-delà de son célèbre moteur de recherche qui domine sur Internet (lire notre article : "
Google X Lab : le laboratoire secret qui va changer l'humanité ?"). La sortie de ses appareils domestiques (smartphone, assistant domestique et casque virtuel) est donc entièrement reliée à cet aspect technologique qu'est l'intelligence artificielle. Un nouveau monde s'ouvre — selon Google — avec des possibilités immenses offertes par ces programmes, possibilités que la multinationale veut "au service des humains", et selon la formule consacrée : "pour faire un monde meilleur"…
Un monde d'objets "intelligents" mais googlisé ?
L'assistant "intelligent" intégré au smartphone "Pixel, "Google Assistant", est le cerveau du "Google Home" : cette intelligence artificielle embarquée dans les deux appareils reconnaît la voix humaine, comme l'assistant d'Apple, Siri, mais semble beaucoup plus douée que le majordome numérique de la firme à la pomme.
"Google Assistant" est un logiciel de
deep learning qui s'améliore à mesure qu'on l'utilise, et dans le cas du "Google Home", qui est censé répondre à de nombreuses demande vocales de son maître humain : indiquer la météo, diffuser des morceaux de musique, organiser un rendez-vous, comprendre les intentions de ses utilisateurs par la reconnaissance du langage naturel, répondre à des questions, etc…
Ces assistants logiciels embarqués dans Pixel ou Google Home sont connectés au réseau mondial, et l'entreprise californienne qui les a développés propose donc un routeur wifi pour leur permettre de se connecter le plus facilement possible à travers l'habitation. Ne manque plus que le casque virtuel, pilotable à travers de nombreux smartphone — mais surtout à l'aide de Pixel — et voilà la maison du futur entièrement "googlisée", et son propriétaire assisté par une intelligence évolutive supposément bienveillante.
La vie moderne selon Google
Les matériels telles le Pixel et le Google Home peuvent être interconnectés, sont en perpétuel apprentissage connaissent mieux leur utilisateur que l'utilisateur à propos de lui-même. Cette affirmation tient à plusieurs facteurs, que des spécialistes analysent sous l'angle de la mémoire des algorithmes (et de leurs bases de données), tels ceux qu'utilise le moteur de recherche Google. Un chercheur, spécialiste du droit à l'oubli, Viktor Mayer-Schönberger l'expliquait déjà en 2009 dans cette interview du journal Libération :
Si nous, nous oublions ce que nous avons pensé, dit ou fait dans notre passé mais que d’autres, comme Google, ne l’oublient pas, alors Google a un pouvoir potentiel sur nous. Il vous connaît mieux que vous-même. Le pouvoir de l’information, comme n’importe quel autre pouvoir, sera exercé. Cela pourra désavantager les individus dans leurs négociations et transactions. Si j’ai oublié que j’ai googlé «dépression» il y a quelques mois, Google non, et peut-être qu’un futur employeur pourrait retrouver cette information.
Depuis lors, les technologies ont progressé : la capacité des algorithmes à pouvoir connaître les intentions des utilisateurs, déterminer leurs profils sociologiques, leurs intérêts et toutes sortes de choses qui constituent l'activité humaine est devenue une source de revenus centrale pour les acteurs du numérique, tels Facebook ou Amazon.
L'émergence des IA apprenantes laisse donc envisager que les machines possédées par le plus grand nombre vont être capables de proposer, aider à décider, orienter leurs utilisateurs. Ce changement est important, puisque jusqu'alors l'humain ne pouvait que donner des ordres précis et établis à la machine qui agissait sans aucune possibilité autre que celle décidée par l'humain, alors que désormais, c'est la machine qui répond et soumet à l'humain ses propres choix, voire ses réflexions, intuitions, et autres analyses.
Quelle sécurité face aux machine intelligentes ?
Si les assistants de Google trouvent preneurs, ils seront capables de se connecter aux "objets", au fur et à mesure de leur apparition dans les foyers. Téléviseur connecté, frigidaire, brosse à dent, caméra, pèse-personne, capteurs d'humidité, de température, volets électriques : tous ces objets doivent à terme être connectés et seront par là même "pilotables" ou encore "analysables". L'assistant Google sera donc le meilleur choix pour interagir avec ces objets, et ses concepteurs ont déjà pensé les possibilités offertes : automatisation de tâches quotidiennes comme ouvrir ou fermer des volets, donner des indications de santé aux vues de l'évolution des données du pèse personne, des aliments commandés par Internet, analyse de l'usure des objets, propositions de lecture, de programmes…
S'il était impensable il y a 10 ans de ne pas pouvoir se passer d'un smartphone (qui n'existait pas encore), rien ne laisse penser qu'il n'en sera pas de même avec les intelligences artificielles.
Des problèmes sont tout de même soulevés par ces innovations, et risquent de ne pas être résolus facilement. La sécurité en est le cœur. Plus le nombre de points d'entrées réseau est important, plus les possibilités de piratage augmentent. Plus un grand nombre d'objets peuvent communiquer, plus la complexité de l'ensemble croît, plus il est difficile pour l'humain de s'y retrouver.
Quant à la peur de la prise de pouvoir de l'IA sur l'homme, une sorte de conscience informatique qui pourrait se venger ou vouloir nuire à son propriétaire, cette possibilité n'a pas du tout été écartée par les ingénieurs de Google. Au point d'avoir conçu
un "bouton rouge" d'urgence… de désactivation des intelligences artificielles.
Et quel est le nouveau défi de ces chercheurs ? Savoir empêcher l'IA de comprendre qu'il y a un bouton pour la désactiver, et empêcher l'IA d'annuler ce bouton. Une bonne nouvelle malgré tout : le code informatique de l'assistant Google devrait être accessible à tous en fin d'année : de quoi permettre à un grand nombre d'informaticiens de pouvoir mieux comprendre "la bête". De là à la maîtriser…