Fil d'Ariane
En mai 68 vous êtes étudiant en histoire à la Sorbonne. Vous avez 20 ans. Qu'est-ce qui vous a poussé à descendre dans la rue ?
Beaucoup de choses comme tous étudiants à l'époque j'ai ressenti un sentiment un besoin de liberté. Mais en fait ce qui nous a fait descendre dans la rue la première semaine, car ensuite le mouvement s'est élargi, c'est contre la répression policière et le fait que 4 étudiants, arrêtés le 3 mai, avaient été condamnés à de la prison ferme.
Le mot d'ordre "libérez nos camarades" a été le ferment de cette révolte étudiante, le détonateur.
Patrick Rotman, auteur
50 ans après on parle encore de mai 68. Tout n'a pas été dit ?
Je pense que 68 est un événement historique très important qui a marqué la société française et pas seulement la société française, il y a un 68 international...
J'ai fait un documentaire 68 qui se passe dans le monde entier. C'est l'année du Vietnam, de la révolte noire aux Etats unis l'année du printemps de Prague. En ce qui concerne la France il y a un après et un avant-68.
68 c'est l'épicentre d'un mouvement de libéralisation, de transformation des mœurs, transformation des relations humaines qui va durer pendant une décennie.
Mai 68, les barricades dans Paris, les pavés qui volent contre les CRS. Quelle image, quel événement vous particulièrement marqué ?
Il y a beaucoup d'événements. Je n'avais même pas 20 ans. Mais il y avait une sorte de mouvement, de mouvement d'exaltation d'être dans la rue, de mouvement fraternel qui flottait dans l'air et le sentiment que cette génération allait changer le monde.
Ce que je raconte dans cette BD, ce ne sont pas mes souvenirs mais les coulisses des manifestants et du pouvoir qui fait au moins la moitié de cette BD. On passe sans cesse de ce qui s'est passé à la Sorbonne, dans la rue avec beaucoup d'anecdotes qui sont vraies et qui sont vécues à ce qui se passe du côté du pouvoir, à l'Elysée ou place Beauvau avec le ministère de l'Intérieur ou alors à la préfecture de police.
Le préfet Grimeau, que j'avais longuement interviewé, m'avait raconté beaucoup de scènes qui s'étaient passées à l'Elysée avec le général De Gaulle.
Alain Peyrefitte m'avait aussi beaucoup parlé et donc j'ai utilisé tout ce matériau brut pour faire un récit, pour raconter un récit historiquement assez exact. Je ne me suis pas permis avec les personnages historiques de leur faire dire des choses qu'ils n'auraient pas pu dire.
Au regard des dialogues et des planches de la BD, les relations entre le Général De Gaulle et Georges Pompidou apparaissent très tendues.
68 marque la rupture entre le général De gaulle et Georges Pompidou, le premier ministre car ils ne sont du tout d'accord sur la stratégie à suivre par rapport à ce mouvement. Les mots que je mets dans la bouche du Général de Gaulle quand il dit au ministre de l'Intérieur.
"Monsieur le ministre il faut savoir faire tirer" ce sont des mots qu'il a vraiment prononcés. Cela m'a été rapporté par Alain Peyrefitte et par le préfet Grimeau. Pompidou n'est pas du tout d'accord avec ça. C'est pour ça qu'il y a beaucoup de scènes qui racontent cette crise au sommet de l'état qui va ouvrir ce divorce entre Georges Pompidou et le général De Gaulle.
Vous avez notamment fréquenté Daniel Cohn Bendit, l'un des leaders de la contestation devenu député européen. Que reste-il aujourd’hui de l'esprit mai 68 ?
C'est très difficile de dire car on se réfère à 68 à chaque fois qu'il se pense quelque chose, une manif étudiante, une grève ouvrière etc...
Vraiment il faut considérer 68 comme un évènement historique terminé, très intéressant à étudier, à raconter, à comprendre ce qui s'est passé c'est ce que j'essaye de faire dans cette BD. Mais je pense qu'il faut cesser de considérer que, un demi-siècle après, ce qui se passe dans la société française voire dans le monde est dépendant de ces années-là.
Regarder la société d'aujourd'hui avec des lunettes de 68 conduit à une cécité absolue.
Patrick Rotman, auteur
Un demi-siècle s'est écoulé on a changé de monde. Le monde des années 60 avec affrontement Est Ouest, monde binaire, on n'est plus du tout dans ce monde dans cette idéologie, dans ce conflit. L'évolution même technologique, l'apparition d'internet, l'individualisation fait que regarder la société d'aujourd'hui avec des lunettes de 68 conduit à une cécité absolue.
Les dessins sont signés Sébastien Vassant. Vous l'avez choisi pour sa connaissance des DB historique ?
Il avait déjà fait des BD historiques. Je lui ai fourni un scénario très découpé avec des dialogues. Encore une fois, comme dans la nuit des barricades du 10 mai, on passe de la rue à la préfecture de police, à l'Elysée je tenais à ce que l'on ait ces différents points de vue sur l'événement et que cela ne soit pas simplement un point de vue. Et Sébastien Vassant a rendu compte grâce à ces dessins.
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