Mali : qu’est ce qui bloque la libération des militaires ivoiriens détenus ?

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soldats ivoiriens
Entraînement de militaires, près du camp de base Loumbila, Jacqueville, Côte d'Ivoire, mercredi 16 février 2022.
AP Photo/Sylvain Cherkaoui
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Depuis la libération de 3 militaires ivoiriennes détenues au Mali le 3 septembre, rien ne semble attester d’un avancement dans les négociations entre Bamako et Abidjan. 46 autres soldats restent prisonniers et sont accusés d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Pourquoi les négociations n’avancent pas ?

De quoi sont accusés les militaires ivoiriens détenus ?

Le 10 juillet 2022, 49 soldats ivoiriens sont arrêtés à l’aéroport de Bamako. Le contingent était en mission sur le territoire malien dans le cadre de la Mission des Nations unies pour la stabilisation du pays.

Créée en 2013, la mission de l’ONU au Mali (MINUSMA) est composée de 13 000 militaires en 2022 selon les Nations unies.

Mi-août, les 49 soldats ivoiriens sont inculpés pour des faits de “crimes d'association de malfaiteurs, d’attentat et complot contre le gouvernement, d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat, de détention, port et transport d’armes de guerre et complicité de ces crimes”.

Pourquoi Bamako les considère comme des mercenaires ?

Au début de l’affaire, la junte malienne au pouvoir considère les soldats ivoiriens comme des “mercenaires”, prêts à agir illégalement sur son sol. De son côté, l’exécutif ivoirien assure que ces hommes étaient en mission pour l’ONU. Les soldats avaient pour ordre de prendre la relève d’un autre contingent déployé au Mali en tant qu’éléments nationaux de soutien (NSE). 

Mais d’après Bamako, les soldats n’avaient “ni l’ordre de mission, ni l’autorisation” pour un tel déplacement dans le pays début juillet. De son côté, la Minusma a reconnu des “dysfonctionnements”"Il apparaît que certaines mesures n’ont pas été suivies et la Mission s’efforce de mieux comprendre comment ces dysfonctionnements ont pu se produire afin d’éviter qu’ils ne se reproduisent à l’avenir. La Minusma note que les éléments ivoiriens ont été déployés à Sénou (Bamako) pour assurer la sécurité à la base des NSE allemands dans cette même localité, au lieu de Tombouctou (nord) où est basé le contingent ivoirien de la Minusma."

Y a-t-il des tensions entre Abidjan et Bamako ?

Ces derniers mois, les relations diplomatiques entre Bamako et Abidjan ont été agitées. Avant la levée des sanctions de la Cédéao en juillet dernier, le Mali avait accusé la Côte d’Ivoire d’avoir incité ses partenaires ouest-africains à durcir les sanctions contre la junte malienne après les deux coups d’Etat qui ont frappé le pays.

L’arrestation des soldats ivoiriens est un épisode supplémentaire dans les tensions entre les deux pays. Les autorités maliennes ont clairement accusé les soldats ivoiriens de vouloir “briser la dynamique de refondation et de sécurisation du Mali”.

(Re)Lire aussi : Mali : Abidjan dénonce la "prise d'otage" de ses 46 soldats détenus

Des accusations fermement rejetées par la Côte d’Ivoire. Alassane Ouattara a alors demandé aux autorités maliennes de libérer “sans délai les militaires ivoiriens injustement arrêtés.” La Côte d’Ivoire mise sur la médiation pour obtenir la libération de ses soldats.

Le sort des soldats ivoiriens pourrait aussi être impacté par les positions diplomatiques du pays. Alors que Bamako s’est rapproché de la Russie pour sécuriser le pays, de son côté, la Côte d’Ivoire a voté, en mars 2022, au Conseil de sécurité des Nations unies la résolution condamnant l’agression de l’Ukraine par la Russie.

(Re)Voir aussi : Mali : négociations autour de la libération des 46 soldats ivoiriens

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Comment a été négocié la libération de trois soldats ivoiriennes ?

Fin juillet, une délégation de diplomates ivoiriens avait pu rencontrer les soldats détenus à l’école de gendarmerie de Bamako. D’après Abidjan, les militaires n’avaient subi aucun mauvais traitement.

Plus de trois semaines après, la Côte d'Ivoire ne pouvait que constater les difficultés à résoudre la crise. Dès le 3 août, le porte-parole du gouvernement ivoirien, Amadou Coulibaly avait évoqué un processus de négociation probablement “long”.

(Re)Lire aussi : Côte d’Ivoire : les négociations pour la libération des soldats emprisonnés au Mali “se poursuivent”

Plusieurs canaux de discussions ont été ouverts pour tenter de libérer les soldats ivoiriens. Le 15 août, Macky Sall, chef d’Etat sénégalais et président de l’Union africaine, avait évoqué la situation des soldats ivoiriens lors de sa visite à Bamako avec Assimi Goïta.

la Côte d’Ivoire demande la libération de ses soldats, elle continue de servir d’asile politique pour certaines personnalités maliennes faisant l’objet de mandats d’arrêt internationaux émis par la justiceAssimi Goïta, président de la transition

Le président togolais, Faure Gnassingbé et des figures religieuses maliennes sont aussi à la manœuvre. Robert Dussey, ministre togolais des Affaires étrangères fait office de médiateur entre les deux parties. Le diplomate entretient des liens privilégiés avec Assimi Goïta.

Le 3 septembre, trois femmes soldats sont libérées. Il s’agit d’un "geste humanitaire du président Assimi Goïta” selon le ministre togolais des Affaires étrangères. Un pas vers la conciliation salué par les observateurs. Le porte-parole du gouvernement ivoirien y voit “un bon signe, un signe que les choses vont dans le bon sens”.

(Re)Voir aussi : Militaires ivoiriens détenus au Mali : libération de trois soldates

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Que demande Bamako ?

Selon plusieurs sources proches du dossier, pour faire avancer les discussions, le Mali demanderait à la Côte d’Ivoire de s’engager à ne pas accueillir sur son sol des opposants au régime de transition.

Au "moment où la Côte d’Ivoire demande la libération de ses soldats, elle continue de servir d’asile politique pour certaines personnalités maliennes faisant l’objet de mandats d’arrêt internationaux émis par la justice" affirme le 9 septembre, le président de la transition, Assimi Goïta.

Karim Keïta, le fils de l’ancien président malien Ibrahim Boubacar Keïta a trouvé refuge dans la capitale ivoirienne après le putsch contre son père. Abidjan ne serait pas prêt à répondre favorablement à cette demande selon des sources proches du dossier.

"C'est une prise d'otage qui ne restera pas sans conséquence. Notre position est claire : ce marché est inacceptable", a confié, dimanche 11 septembre, une source proche de la présidence ivoirienne à l'AFP.

Comment le ton se dégrade entre Abidjan et Bamako ?

La Côte d'Ivoire a également demandé la tenue au plus vite d'un sommet extraordinaire de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao). 

Jeudi 14 septembre, le Premier ministre par intérim du Mali, le colonel Abdoulaye Maïga, a estimé que cette affaire était "purement judiciaire et bilatérale" et critiqué "l'instrumentalisation de la Cédéao par les autorités ivoiriennes"

Il a également accusé le gouvernement ivoirien d'être animé par une "volonté d'adversité" (d'hostilité) et "d'avoir transformé un dossier judiciaire en une crise diplomatique"

Vendredi 16 septembre, la Côte d'Ivoire a accusé le Mali de "manipulation de la vérité" et de chercher "un bouc émissaire" dans l'affaire des 46 soldats ivoiriens détenus à Bamako, dernier épisode d'une joute diplomatique et verbale entre les deux pays. 

Ils ont besoin d'un bouc émissaire, d'un écran de fumée pour éclipser les vrais sujets comme la question de la fin de la transition ou les questions sécuritairesAmadou Coulibaly, porte-parole du gouvernement ivoirien

"On peut s'étonner de leur inconséquence et de la manipulation de la vérité à laquelle ils se livrent", a déclaré à l'AFP le porte-parole du gouvernement ivoirien, Amadou Coulibaly, au sujet de la junte au pouvoir au Mali. 

"Ils ont besoin d'un bouc émissaire, d'un écran de fumée pour éclipser les vrais sujets comme la question de la fin de la transition ou les questions sécuritaires", a-t-il ajouté. 

Le ton est monté ces derniers jours entre les deux pays voisins au sujet de ces 46 soldats détenus depuis deux mois à Bamako. 

Vendredi dernier, le chef de la junte malienne Assimi Goïta avait lié leur libération à l'extradition de personnalités maliennes vivant en Côte d'Ivoire. 

"Un chantage inacceptable" pour Abidjan qui avait qualifié la détention de ses soldats de "prise d'otage".