Manifestations en Chine : face à la censure sur les réseaux sociaux, comment protester ?

Un mouvement social inédit agite la Chine, face à l'usure de la politique "zéro covid" depuis vendredi 25 novembre. Une surprise, dans un peuple particulièrement censuré, notamment sur les réseaux sociaux. Retour sur une lutte 2.0.

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Chine - feuilles blanches
Un employé de l'université vérifie l'identité des manifestants lors d'un rassemblement de protestation à l'université de Hong Kong, à Hong Kong, mardi 29 novembre 2022.
© Bertha Wang/ AP
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Des feuilles de papier vierges, format A4, sans aucun message inscrit. Des carrés blancs sur leur profil WeChat. Des messages détournés en ligne pour contourner la censure sur les réseaux sociaux. Majoritairement jeunes, les militants ont recours à d'astucieux stratagèmes pour défier le pouvoir chinois, dans le cadre des mouvements sociaux qui frappent la Chine depuis vendredi 25 novembre. 

Dans les rues de Pékin, Shanghai ou encore Wuhan, une foule a répondu aux appels sur les réseaux sociaux, après un incendie mortel survenu à Urumqi, dans la capitale de la province du Xinjiang. Certains accusent les restrictions sanitaires, encore en place dans le cadre de la stratégie "zéro covid", d'avoir bloqué le travail des secours. Dans l’Empire de Xi Jinping, la mobilisation est sans précédent. 

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En tant que chercheur, je n'arrive pas à comprendre comment les gens se sont réunis, de manière occasionnelle et spontanée.
Zhao Alexandre Huang, maître de conférences en Sciences de l'Information et de la Communication à Université Paris Nanterre.

En tant que chercheur, je n'arrive pas à comprendre ce qu’il s’est passé, comment les gens se sont réunis, de manière occasionnelle et spontanée, ce qui montre que la politique "zéro covid" en Chine a atteint un point critique”, détaille Zhao Alexandre Huang, maître de conférences en Sciences de l'Information et de la Communication à l'Université Paris X-Nanterre. Une censure toujours plus forte du pouvoir en place cible les réseaux sociaux, et empêche les grandes mobilisations depuis le drame du 3 juin 1989, où l'Armée populaire de Chine avait ouvert le feu sur des milliers d'étudiants, à Pékin, sur la place de Tiananmen. 

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Des blogueurs et influenceurs actifs sur les réseaux sociaux 

Les protestations sont souvent confinées à une échelle locale et portent, le plus souvent, sur des problèmes très circonscrits. Les manifestants et militants tentent de s’organiser grâce notamment au réseau social Sina Weibo, considéré comme un Twitter chinois. “Les Chinois commencent largement à utiliser Sina Weibo entre 2010 et 2012. Au début, on pouvait s’y exprimer librement, rappelle Zhao Alexandre Huang. Des leaders d’opinions pouvaient parler de certaines injustices sociales mais sans jamais contester le pouvoir chinois directement", raconte le maître de conférences.

Mais très vite, la Chine durcit un peu plus son contrôle sur le Web et s’attaque à l'anonymat. En décembre 2012, une loi du Comité permanent de l'Assemblée nationale populaire, oblige tout utilisateur à fournir sa véritable identité pour accéder à l'Internet fixe, mobile, mais aussi, à tous les services qui permettent de poster des informations publiquement, y compris le réseau social Sina Weibo. C’est la fin des pseudos.

À l’image de ce durcissement de la surveillance généralisée, le compte de l’artiste dissident chinois, Ai Weiwei, est vite supprimé.

À (re)lire : Ai Weiwei : l’artiste dissident chinois, héritier d’un "prince de la poésie"

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Entretien exclusif avec AI Weiwei sur le plateau de 64Minutes pour TV5MONDE, le 8 février 2022, Paris.

Seulement deux heures après avoir posté ses premiers messages, “Test. Ai Weiwei. 18 mars 2012”, “Le moment est venu. Les cieux ont changé en Chine”, le compte de l’artiste disparaît. Certains crient à la censure. Il avait utilisé son numéro de sécurité sociale pour ouvrir un compte. "Les contrôles sont très forts, déclarait Ai Weiwei à Reuters par téléphone en mars 2012. Ils (le gouvernement) sont très peu sûrs, ils ne sont pas prêts pour tout type de changement." Impossible maintenant pour les dissidents ou militants de créer des comptes anonymes.

Détourner les mécanismes de surveillance” sur les réseaux sociaux 

Le gouvernement commence à sortir des règles internet pour contrôler le contenu des messages diffusés en ligne sur Sina Weibo. À titre d’exemple, en avril 2018, le gouvernement annonce supprimer les bandes dessinées et les vidéos "impliquant de la pornographie, promouvant de la violence sanglante ou liée à l'homosexualité". Après un flot de protestations, le gouvernement décide de se rétracter sur la mention “homosexualité".

Parfois des expressions courantes sont censurées en ligne. Les gens ne savent pas ce qu’ils peuvent dire.Zhao Alexandre Huang, maître de conférences en Sciences de l'Information et de la Communication à Université Paris Nanterre.

Un document publié par une radio américaine, Radio free Asia, recense la liste complète de censure des mots en ligne. “Parfois des expressions courantes sont censurées en ligne. Les gens ne savent pas ce qu’ils peuvent dire”, ajoute Zhao Alexandre Huang.

Alors les Chinois utilisent des stratagèmes de plus en plus subtils. “Ils ont fabriqué différentes expressions afin de détourner les mécanismes de surveillance, explique Zhao Alexandre Huang. Ils créent des expressions socio-médiatiques afin de se référer à certaines scénarios politiques.” 
Par exemple, en 2013, le personnage de Winnie l'ourson est utilisé pour décrire Xi Jinping. 

D’autres utilisent l’expression de “baozi”, beignets à la vapeur, pour parler du dirigeant. “L’expression fait référence au passage de l’Empereur dans un restaurant de beignets chinois à la vapeur, du nom de "qingfeng" baozi pu. Il voulait montrer une image de président proche du peuple, rappelle Zhao Alexandre Huang. Après cette visite, l'expression "l'Empereur Qingfeng" est également devenue un autre surnom du président chinois sur les réseaux sociaux chinois."

La jeunesse à l'origine du mouvement face à la politique “zéro covid”, n'hésite pas non plus à se saisir de ces jeux de mots. Des étudiants de la prestigieuse université Tsinghua sont pris en photo et montre des "équations de Friedmann", du nom d'un physicien. Ils font référence à "freed man" (homme libre) ou "freedom" (liberté) en anglais. D’autres écrivent des articles en ligne faits de combinaisons absurdes, comme "bien bien bien bien bien" ou "bon bon bon". “C’est un peu comme en français, si je n’ai pas vraiment envie de parler avec vous, je vous dis oui : “bravo, bravo, bravo”, rappelle Zhao Alexandre Huang. D'autres brandissent des feuilles blanches A4 vierges en pleine manifestation.

Objectif : trouver un moyen d'exprimer sa colère et contourner les algorithmes de censure de l’État chinois.

Les réseaux sociaux restent la caisse de résonance principale du mécontentement social. (...). Mais ce mécontentement a très peu d'impact sur les prises de décisions de l’État-parti. Chloé Froissart, professeure de sciences politiques au département d'Études chinoises à l’Inalco.

Une influence encore difficile à établir des réseaux sociaux 

Mais la répression contre les activistes en ligne s’amplifie. En juin 2022, le blogueur star, et influenceur beauté chinois Li Jiaqi, ose montrer, en direct, sur Sina Weibo, un gâteau en forme de char, à quelques heures de l’anniversaire du drame de 1989. Son émission est brutalement interrompue, invoquant un problème technique. “Le roi du rouge à lèvres” disparaît, sans laisser de traces, pendant près de trois mois. Une disparition étrange à l’image de celle de joueuse de tennis, Peng Shuai, après un tweet accusant un haut responsable politique chinois d’agression sexuelle. 

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Les réseaux sociaux restent la caisse de résonance principale du mécontentement social, rappelle Chloé Froissart, professeure de sciences politiques au département d'Études chinoises de l’Inalco. Ils permettent à l’État-parti de savoir ce que pense la population et de pouvoir tuer le mécontentement dans l'œuf quand ils le repèrent." 
Les vidéos des manifestations en Chine, contre la politique "zéro covid" ne sont d'ailleurs déjà plus en ligne. "L'information passe très mal. Les gens en Chine savent mal ou peu ce qu'il se passe dans la ville d'à côté, assure la professeure. On est face à des luttes relativement atomisées."

Pour autant, la contestation en Chine a toujours existé. "Mais elle porte souvent sur des questions de subsistance, des questions économiques, rappelle Chloé Froissart. Il y a toujours eu un souci de dialogue avec l'État-parti pour trouver le point de rencontre entre les intérêts du peuple et du pouvoir.” Mais depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping, ce contrat semble de plus en plus fragile."Le mécontentement des internautes a très peu d’impact sur les prises de décisions de l’État-parti. On est face à un régime qui ne répond plus.”