Les haïtiens n’en démordent pas. Ils réclament le départ du leur président, Jovenel Moïse. Vendredi 27 septembre, ils étaient des milliers à protester dans les rues de la capitale Port-au-Prince, pour exprimer une nouvelle fois leur colère. Ces rassemblements ont donné lieu à un regain de violence entre les opposants au pouvoir et les policiers. Retour sur les raisons de la colère des Haïtiens.
Cela fait près de quatre semaines qu’ils font face à une
importante pénurie de carburants. A Port-au-Prince comme dans les villes de province, il faut parfois attendre des heures pour quelques gouttes d’essence, dont le prix a presque doublé. Il dépasserait les 5 dollars dans certaines zones (au lieu de 2,33 dollars avant la pénurie). Une situation invivable pour les Haïtiens dont le revenu moyen est de 65 dollars par mois.
> A lire aussi : Haïti : violentes manifestations suite à une pénurie de carburantAu vue de la situation, de plus en plus de stations-services sont contraintes de fermer, faute de pouvoir s’approvisionner. D’après les informations relayées par l’AFP, la pénurie est liée à un problème de trésorerie.
"L’État haïtien n’a pas assez de moyens économiques pour payer ses dettes auprès des compagnies qui importent l’essence dans le pays. Et nous, quand on n’a pas d’argent, on ne peut pas placer des commandes" affirment une source proche des compagnies pétrolières. S’ajoute à cela l’ouragan Dorian qui a sévi dans les caraïbes et de fait retardé toutes les livraisons pétrolières.
Il faut que nous ayons la possibilité de travailler comme dans tous les pays, il faut que nous ayons la possibilité de manger […] mais aujourd’hui, c’est chaotique.
Evens Paul, partisan de l’opposition
L'instabillité politique du pays n'arrange rien. En seulement deux ans et demi, quatre premiers ministres se sont succédés aux côtés de Jovenel Moïse. Un gouvernement démissionnaire qui est donc privé de budget et vers qui l'aide internationale est de plus en plus rare.
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Cette fois les Haïtiens en ont assez, ils sont une nouvelle fois dans la rue pour exprimer leur colère. Mais comme les fois précédentes, les manifestations ont été ponctuées par des violences. Gaz lacrymogènes, jets de pierres, pneus enflammés, un sénateur à même tiré à balles réelles sur la foule. La tension était palpable entre les manifestants et les forces de l’ordre. "Les policiers ne devraient pas nous museler comme ça : ils ne peuvent pas utiliser l’argent de nos taxes pour acheter des armes et nous tirer dessus", déplore un manifestant à l’AFP. En guise de représailles, un commissariat a été attaqué à Cité Soleil, l’un des quartiers les plus pauvres de la capitale.
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Face à ces violences, Jovenel Moïse — pourtant resté muet depuis le début de la pénurie — a appelé depuis la télévision à une "trêve historique pour entamer les réformes institutionnelles sociales et économiques indispensables au développement national."
On ne quittera pas la rue tant qu'il (Jovenel Moïse) sera là et on va tout casser s'il ne part pas
Manifestant
Des promesses, les Haïtiens n'en veulent plus. En février 2019 déjà — à l’occasion des deux ans du mandat présidentiel de Jovenel Moïse — des manifestations avaient eu lieu, pour réclamer des mesures contre le coût de la vie élevé, la pauvreté et l’inflation. Des promesses non-tenues par le président en place, qui avait promis de mettre "à manger dans toutes les assiettes et de l'argent dans les poches".
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Instabillité économique
Les Haïtiens se sentent aujourd’hui trahis, ils réclament une nouvelle fois la démission de Jouvenel Moïse.
"Il (Jovenel Moïse) veut une trêve ? Moi je veux manger ! Il n’est pas notre président, il doit quitter le pouvoir", clame un manifestant.
Haïti est cristallisé dans une situation économique désastreuse. La majorité pauvre est plongée dans toujours plus de précarité et le coût de la vie y est de plus en plus cher.
"Il faut que nous ayons la possibilité de travailler comme dans tous les pays, il faut que nous ayons la possibilité de manger […] mais aujourd’hui, c’est chaotique", déplore à l’AFP, Evens Paul, partisan de l’opposition.
Principal fléau du pays ? Une inflation qui dépasse les 20%. S’ajoute à cela, la dévaluation de la monnaie nationale, la gourde, face au dollar américain, qui rend inabordables les produits de première nécessité, pour la plupart importés.
Un pays gangréné par la corruption
Outre ses promesses non-tenues, Jovenel Moïse est soupçonné de corruption, un problème qui gangrène le pays. En janvier dernier, la publication d’un rapport de la Cour des comptes accuse le président ainsi qu'une quinzaine d’anciens ministres et des hauts fonctionnaires d’être au cœur d’un scandale de détournement d’argent. C’est justement, le scandale PétroCaribe, du fameux programme d’aide vénézuélien mis en place par Hugo Chavez en 2006. L’argent issu de ce programme aurait dû permettre de financer des projets économiques et sociaux. Selon le rapport il a été dilapidé par le gouvernement. Une malversation qui n'a fait qu'exacerber la colère des Haïtiens.
> A lire aussi : Haïti : troisième journée de manifestations contre la vie chère sur fond de corruptionLe discours des manifestants est donc de plus en plus drastique.
"On ne quittera pas la rue tant qu'il (Jovenel Moïse)
sera là et on va tout casser s'il ne part pas" , clame un manifestant. Un avis que partage la plupart des haïtiens. Pourtant rien ne garantit une sortie victorieuse du conflit social. Les élections locales et législatives prévues fin octobre — qui aurait pu ramener un peu de calme — n'auront finalement pas lieu, faute de vote sur la loi électorale.