Fil d'Ariane
Le hameau de Lützerath, situé dans la Ruhr, va être rasé afin d'en exploiter le sous-sol riche en lignite. Pour le gouvernement allemand, c'est une question de sécurité énergétique. Face à l'interruption des livraisons de gaz russe, Berlin juge le retour au charbon, "nécessaire". Explications.
Immobile, souriante, au milieu des deux policiers, l’activiste climatique, mondialement connue, Greta Thunberg est arrêtée par la police mardi 17 janvier, à Lützerath, en Allemagne. Après vérification des papiers, et plusieurs heures de garde à vue, la jeune militante suédoise est finalement relâchée. Elle est venue soutenir les opposants à l'extension de la plus grande mine à ciel ouvert du pays, dans le bassin rhénan. Il doit prochainement engloutir le hameau abandonné de Lützerath.
Des activistes qui luttent pacifiquement pour préserver la vie sur terre VS l'industrie fossile qui la menace.
— CamilleEtienne (@CamilleEtienne_) January 18, 2023
A votre avis qui la violence légitime de l'état protège et qui il arrête ? @GretaThunberg #Luetzerath pic.twitter.com/8aHQ7VnaRo
Les défenseurs du climat voulaient empêcher sa destruction. Après plusieurs jours de lutte, le hameau a finalement été évacué par la police. Ils en ont sorti plusieurs centaines de personnes réfugiées dans des arbres et des fermes abandonnées. Derrière les images impressionnantes de la mobilisation, se cache un nouvel enjeu : le retour du charbon en Allemagne, en lien direct avec les coupures de gaz russe liées à la guerre en Ukraine.
À (re)lire : Climat: la guerre peut-elle être un accélérateur de la transition énergétique pour l'Europe ?
L'Allemagne est particulièrement dépendante du gaz russe, par rapport à ses voisins européens. “Au début du conflit, elle était dépendante à 55 % du gaz russe. À côté, la France était dépendante à quelques 8 %”, explique Eric Vidalenc, expert énergie et spécialiste neutralité carbone à 2050. Elle est donc particulièrement impactée par les coupures de robinets du gaz russe liées à l'invasion ukrainienne.
Elle a choisit de se tourner vers la diversification énergétique, en utilisant plus de charbon allemand et moins de gaz russe dans son système électrique.
Or, le charbon émet deux fois plus de CO2 que le gaz russe. C’est l’une des sources d’électricité qui produit le plus de gaz à effet de serre. Les centrales à charbon génèrent des particules fines, issues de la combustion du charbon, et une pollution atmosphérique qui peut voyager sur des centaines de kilomètres.
L’Allemagne a mobilisé d’autres leviers. Le gouvernement a diversifié l'approvisionnement en gaz naturel liquéfié (GNL) avec des terminaux méthaniers, par exemple. Eric Vidalenc, expert énergie et spécialiste neutralité carbone à 2050.
Mais alors, n’y avait-il pas d’autres énergies vers lesquelles se tourner ? Pour Eric Vidalenc,“beaucoup de choses ont été faites en parallèle. L’Allemagne a mobilisé d’autres leviers. Le gouvernement a diversifié l'approvisionnement en gaz naturel liquéfié (GNL) avec des terminaux méthaniers, par exemple. Il a fait des économies d’énergie à côté, et la sortie du nucleaire a été décalée de quelques mois, assure l’expert. Mais on ne peut pas, selon la dépendance des États au gaz russe, tout faire reposer sur une seule de ces solutions”, détaille-t-il.
Dans le mix énergétique allemand, les mines de charbon ont toujours eu un rôle plus important que dans d’autres pays.
Eric Vidalenc, expert énergie et spécialiste neutralité carbone à 2050.
Le charbon, en Allemagne, est une ressource nationale. “Dans le mix énergétique allemand, les mines de charbon ont toujours eu un rôle plus important que dans d’autres pays, détaille Éric Vidalenc. En France, par exemple, cela fait des années que le charbon n’est plus une ressource nationale.”
“Pour les Allemands, il y a cet enjeu social et territorial, complète l’expert. En France, la plupart de nos énergies fossiles sont importées. Souvent cet extractivisme fossile se passe à l’autre bout du monde, donc on ne le voit pas. Là, il se passe à côté de ceux qui le consomment, ce qui rend le système énergétique et ses impacts visibles.”
Ainsi, l’ONG Greenpeace Allemagne commente la réouverture de centrales à charbon Outre-Rhin, comme “amère, mais inévitable”. Le ministre écologiste de l’Économie, Robert Habeck, admet quant à lui admet un choix difficile mais “nécessaire” au sujet de l'extension de la centrale à charbon à proximité de de Lützerath, selon ses termes. “Bien sûr que c'est un péché vis-à-vis de la politique climatique, et que nous devrions travailler à ce que cela dure le moins de temps possible”, s'est-il justifié.
À (re)voir : Allemagne : l'évacuation de Lützerath a commencé
L’objectif de l’Allemagne reste de diminuer sa consommation de charbon à long terme. “Dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine, elle va en consommer plus, autant qu’en 2018 ou 2019 peut-être, complète l’expert. Mais il y a 10 ans, elle en consommait beaucoup plus, il y a 30 ans, elle en consommait 50% de plus.”
Depuis les années 90, elle a diminué d’un tiers sa production en charbon.
Et les perspectives restent au vert pour la sortie du charbon. “Le gouvernement a accéléré la promesse de sortie du charbon, ils ont avancé leurs objectifs sur 2030 plutôt que sur 2038", rappelle Éric Vidalenc. L’Allemagne mise notamment sur des investissements importants en énergie solaire. Le charbon devrait disparaître en 2030, selon la volonté de l'actuelle coalition composée des Verts, du SPD et des libéraux.
Déjà en 2011, après l'accident nucléaire de Fukushima, au Japon, l'Allemagne promettait des perspectives radicales en matière de transition énergétique, la sortie accélérée du nucléaire d´ici 2022 et la fermeture de 17 centrales. Mi-octobre 2022, le chancelier allemand, Olaf Scholz, a annoncé que le fonctionnement des trois dernières centrales nucléaires du pays serait prolongé jusqu’au printemps 2023, en raison de la crise énergétique. Reste à savoir si l'Allemagne tiendra ses objectifs en matière de sortie du charbon.
À (re)voir : En Allemagne, l'abandon du nucléaire favorise-t-il vraiment le charbon ? [À vrai dire]