Manœuvres militaires : quand la Chine simule un bouclage de Taïwan

Pendant trois jours, la Chine a effectué des manœuvres militaires visant à encercler l'île autonome de Taïwan qu’elle cherche à récupérer depuis sa séparation en 1949. Ces exercices militaires, qui se sont achevés ce 10 avril, ont impliqué 12 navires de guerre et 91 avions et ont été soutenus par le Kremlin.
Image
Capture d'écran CCTV montrant les manoeuvres chinoises autour de Taïwan
Capture d'écran de la télévision chinoise d'état CCTV montrant les manœuvres chinoises autour de Taïwan le 9 avril 2023.
© AP Photo
Partager6 minutes de lecture
Du 8 au 10 avril, le commandement militaire chinois "a accompli avec succès diverses tâches" de préparation militaire "autour de l'île de Taïwan avec l'exercice Joint Sword", déclare l'armée dans un message diffusé sur les réseaux sociaux. Il a "testé de manière approfondie sa capacité de combat" interarmées "en conditions réelles", ajoute le commandement chinois.

(RE)voir : Chine : Pékin poursuit ses manœuvres au large de Taïwan
TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Taïwan et les États-Unis ont dénoncé ces manœuvres et ont appelé à la "retenue" tout en déployant un destroyer dans des eaux revendiquées par Pékin. Taïwan affirme que douze navires de guerre et jusqu'à 91 aéronefs ont été déployés, sans compter le porte-avion chinois Shandong.

Des destroyers, des frégates et un porte-avions chinois

Le Shandong est l'un des deux porte-avions de la Chine, le seul à avoir été entièrement construit dans le pays. Il a été mis en service en décembre 2019.

Selon des communiqués publiés lundi par l'armée, c'est la première fois que le Shandong participe à des essais militaires incluant l'encerclement de Taïwan.

La Chine a également déployé destroyers et frégates en direction de Taïwan, le ministère taïwanais de la Défense disant ce matin avoir détecté onze navires chinois autour de l'île.

L'arsenal comprend des destroyers 052C et des frégates 054A.

Le modèle 054A est destiné au combat antiaérien et est équipé de missiles surface-air à moyenne portée HQ-16 capables de frapper des cibles aériennes à 50 kilomètres de distance, selon Naval Technology, une revue spécialisée dans la défense.

Une frégate 054A chinoise.
Une frégate 054A chinoise.
© Naval news D.R.

Débutées le 8 avril, les manœuvres chinoises visaient à protester contre une rencontre de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen avec le président de la Chambre américaine des représentants, Kevin McCarthy. 

Kevin McCarthy et la présidente de Taïwan Tsai Ing-wen
Le président de l'Assemblée américaine Kevin McCarthy avec la présidente de Taïwan Tsai Ing-wen après une rencontre bilatérale à la Ronald Reagan Presidential Library à Simy Valley, en Californie le 5 avril 2023.
© AP Photo/Ringo H.W. Chiu, File

Le Kremlin a apporté son soutien à la Chine estimant que Pékin était victime de "provocations" de la part des États-Unis qui soutiennent l'île."La Chine a le droit souverain de réagir (aux) actions provocatrices" des États-Unis, "notamment en conduisant des manœuvres", a dit à la presse le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov.

"L'indépendance de Taïwan et la paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan s'excluent mutuellement", a déclaré Wang Wenbin, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères lors d'un briefing régulier, jugeant nécessaire de s'"opposer fermement à toute forme de séparatisme pour l'indépendance de Taïwan".

Lors des manœuvres, des avions de chasse et des navires de guerre ont simulé des bombardements ciblés contre l'île. Objectif ? Simuler un "bouclage" du territoire de 23 millions d'habitants réclamé par Pékin, a expliqué l'armée chinoise. Et notamment un "blocus aérien", selon la télévision d'État CCTV.

Des dizaines d'aéronefs chinois déployés

Pékin a déployé des dizaines d'avions dans l'espace aérien autour de Taïwan dont des avions de chasse J-16 et J-10C.

Les jets J-16, des modèles de pointe conçus par la Shenyang Aircraft Corporation, sont capables de transporter des missiles de combat à courte portée ainsi que des missiles air-air à longue portée, selon le quotidien d'Etat Global Times.

Ils ont déjà été utilisés par le passé lors d'incursions chinoises dans la zone d'identification de défense aérienne (ADIZ) de Taïwan. Les jets J-16 sont les avions de chasse privilégiés par Pékin pour tester la défense anti-aérienne de l'île, avancent les experts.

L'opération déclenchée ce weekend inclut aussi des avions d'alerte précoce et de surveillance KJ-500, qui disposent d'une couverture radar à 360 degrés, selon la société Janes spécialisée dans le renseignement.

Les médias d'Etat ont également signalé le déploiement d'avions Y-8, permettant la détection de sous-marins, un modèle déjà utilisé en patrouille dans la mer de Chine orientale.

Simulation de tirs de précision de missiles

L'armée de Terre chinoise a aussi été mobilisée pour cette opération avec des missiles YJ-12B ciblant les navires dans des tirs simulés contre Taïwan.

Il y a peu d'informations disponibles sur ce modèle, une version terrestre du missile supersonique YJ-12 qui a une portée de 460 kilomètres et peut transporter à la fois des ogives nucléaires et conventionnelles, selon Missile Defense Advocacy Alliance, un organisme basé aux États-Unis.

Les missiles balistiques DF-11 et DF-15, conventionnels et de courte portée, ont aussi été mobilisés dans ces exercices.

Les deux modèles sont utilisés depuis des décennies, le DF-15, plus récent, étant capable de "frapper Taïwan, la péninsule coréenne et le nord de l'Inde depuis la Chine continentale", selon le Centre d'études stratégiques et internationales à Washington.

Les forces armées chinoises ont "simulé des tirs de précision conjoints" sur Taïwan au cours du week-end, selon la télévision d'Etat CCTV.

Intervention américaine et japonaise

Les États-Unis ont semblé eux aussi vouloir faire une démonstration de force : le destroyer américain USS Milius a mené ce 10 avril une "opération de liberté de navigation" dans un secteur de mer de Chine méridionale revendiqué par Pékin. Une "intrusion" immédiatement dénoncée par la Chine.
Le destroyer USS Milius (DDG 69)
Le destroyer USS Milius (DDG 69) effectuant des exercices de routine en Mer de Chine le 24 mars 2023. La Chine a menacé de "conséquences sérieuses" les États-Unis après que le navire ait effectué pour la 2ème fois consécutive des manœuvres autour des îles Paracel, dans les eaux territoriales chinoises.
Mass Communication Specialist 1st Class Greg Johnson/U.S. Navy via AP

Le Japon a fait décoller ces derniers jours des avions de chasse en réponse à ceux ayant décollé et atterri du porte-avion chinois Shandong. 

L'état-major japonais déclare ce 10 avril dans un communiqué avoir observé le Shandong et plusieurs autres bâtiments de guerre chinois dans une zone située entre 230 et 430 km au sud de l'île japonaise de Miyako depuis le 7 avril.

"Environ 120 décollages et atterrissages" ont été confirmés sur le porte-avions Shandong, dont 80 d'avions de combat et 40 d'hélicoptères, selon l'état-major nippon.

Deux groupes d'escorte des forces japonaises ont été mobilisés pour cette mission de surveillance et "des avions de chasse de la force d'autodéfense aérienne ont été déployés" en réponse à l'intense activité des avions de combat chinois, a précisé l'état-major japonais.

Sur une vidéo publiée ce 10 avril sur le compte WeChat du commandement du théâtre d'opérations Est de l'Armée, un pilote chinois dit être "arrivé près de la partie nord de l'île de Taïwan" avec des missiles "verrouillés en place".

Dans une autre vidéo, accompagnée d'une musique dramatique, le coup de sifflet d'un officier fait courir le personnel militaire en position tandis qu'un barrage simulé sur Taïwan apparaît à l'écran.

"Sérieux avertissement"

Le 9 avril, Tsai Ing-wen a dénoncé l'"expansionnisme autoritaire" de la Chine et assuré que Taïwan "continuerait à travailler avec les États-Unis et d'autres pays (...) pour défendre les valeurs de liberté et de démocratie".

(RE)voir : Chine : "résoudre la question de Taïwan, réaliser la réunification complète de la Patrie, est une tâche immuable du Parti"
TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

La Chine voit avec mécontentement le rapprochement ces dernières années entre les autorités taïwanaises et les États-Unis qui, malgré l'absence de relations officielles, fournissent à l'île un soutien militaire substantiel.

Les exercices à tirs réels ce 10 avril étaient prévus dans le détroit de Taïwan à proximité des côtes du Fujian (est), la province qui fait face à l'île, selon les autorités maritimes chinoises locales. 

Les manœuvres "servent de sérieux avertissement contre la collusion entre les forces séparatistes recherchant l'indépendance de Taïwan et les forces extérieures, ainsi que leurs activités provocatrices", a averti un porte-parole de l'armée chinoise, Shi Yi. 

Le dernier déploiement important autour de l'île avait eu lieu en août : la Chine avait engagé des manœuvres militaires sans précédent autour de Taïwan et tiré des missiles en réponse à une visite sur l'île de la démocrate Nancy Pelosi, alors présidente de la Chambre.