Fil d'Ariane
"Deux joueurs extraordinaires, deux extraterrestres." Le journaliste Florent Torchut, auteur de la biographie de Messi "Le Roi Leo", aux éditions Solar (2022), pose les termes quand il s'agit de parler de deux légendes du football argentin, Diego Maradona et Lionel Messi.
Deux numéros dix, au centre de l’attention après la victoire de l’Argentine en finale de la Coupe du monde dimanche 18 décembre. L'Albiceleste s'est imposée face à la France aux tirs aux buts (3-3, 2-4 tab).
Après ce triomphe, l’homme aux sept Ballons d'Or, Lionel Messi, est peut-être le meilleur joueur du 21e siècle. Diego Maradona, surnommé "Le gamin en or", avait offert cette même récompense à son pays en 1986, 36 années plus tôt. Il est décédé en 2020.
Maradona était bien plus qu’un simple footballeur, une sorte de rockstar, avec ses travers.Florent Torchut, auteur de la biographie de Messi Le Roi Leo
“Petite taille, pied gauche, dribbleur. On les a sans cesse comparés”, rappelle Florent Torchut. Dernier journaliste à avoir interviewé Diego Maradona, il connaît personnellement Lionel Messi.
Mais "Le roi Leo" accepte difficilement la comparaison. “Messi m’a toujours dit : "Je fais ma carrière, j’essaye d’être le meilleur joueur, explique le journaliste. Mais il répétait : "Je lutte contre moi-même, mais je ne me compare pas aux autres, surtout pas à Diego.” Une comparaison difficile à établir, d'autant plus que les deux hommes ont des parcours de vie bien différents.
Maradona c'est "la rockstar, avec ses travers", "bien plus qu’un simple footballeur", ose Florent Torchut. Avant d'ajouter : "Il avait une extrême confiance en lui, depuis tout jeune.”
Né dans un quartier de Buenos Aires oublié par l'État, le joueur a dû rapidement endosser le rôle de chef de famille. Grâce à lui, ses huit frères et sœurs sont sortis de la misère. “Quand vous commencez votre vie avec ça sur les épaules, ça vous donne le sens des responsabilités. Je dis toujours que Maradona n’a pas eu de jeunesse”, analyse Florent Torchut.
De nature engagé, l'Argentin assume un franc-parler et des idées politiques très marquées.“Je suis blanc ou noir. Je ne serai jamais gris de ma vie", avait-il déclaré. Messi, lui, est beaucoup plus introverti.
La simplicité de Messi par rapport à ce qu'il fait sur le terrain, c'est incroyable.Florent Torchut, auteur de la biographie de Messi Le Roi Leo
Sa vie au quotidien "est presque ennuyeuse", commente le journaliste. "C’est quelqu’un qui aime sa routine, comme il m’avait confié pour le dernier entretien pour le Ballon d’Or. Il aime passer du temps avec sa famille, jouer aux cartes avec ses amis, regarder des dessins animés avec ses enfants."
Un homme simple, menant un vie normale, qui a tout misé sur la performance footballistique. "La simplicité de ce mec par rapport à ce qu’il fait sur le terrain, c’est incroyable, ajoute le Florent Torchut. Mais son experience au fil des compétitions et sa paternité l'ont beaucoup aidé à prendre du recul et à être plus sûr de lui.”
Maradona, lui, a toujours été vu comme un objet politique pour le peuple argentin. Sa carrière a décollé en pleine dictature militaire (1976-1983). “Il était très jeune, très fort, rappelle Alexandre Juillard, journaliste et auteur de "Maradona" (2010) chez Hugo Sport et de "Insubmersible Messi" (2017) aux éditions Solar.
La dictature militaire avait besoin de Maradona pour que tous les dimanches, les gens soient contents de voir un phénomène.Alexandre Juillard, auteur de Maradona et de Insubmersible Messi
"La dictature militaire avait besoin de lui pour que tous les dimanches, les gens soient contents de voir un phénomène, explique le journaliste. Avant d'ajouter : "Il représentait la fierté des Argentins : grâce à lui, l’Argentine pouvait être connue partout dans la planète."
Pourtant, le mythe Maradona ne fait pas forcément l’unanimité au pays. Contrôles antidopage positifs à répétitions (en 1991 à Naples en Italie et en 1994 lors du Mondial américain), dépendance à la cocaïne, insultes verbales... Les déparages de la "rockstar" sont nombreux. “Maradona a passé des périodes très délicates. Des gens disent que c’est quelqu’un d’exceptionnel. D’autres le critiquent beaucoup", nuance Alexandre Juillard.
Le vécu de Messi, lui, est beaucoup moins controversé. À un détail près : il n'a jamais joué en première division argentine.
S'il commence le football dans sa ville natale de Rosario en Argentine, il rejoint rapidement le FC Barcelone, à une époque où la crise sans précédent sévit en Argentine, dans la fin des années 1990. À l'époque, il n'a que 13 ans. “Le jeune joueur est alors le reflet d’une Argentine qui allait mal à un moment donné. Il est parti parce que des agents l’ont amené là-bas, à des fins commerciales”, explique Alexandre Juillard.
On a demandé à Messi tout de suite de gagner aussi bien que ce qu’il gagnait à Barcelone, mais c’était impossible.Alexandre Juillard, auteur de Maradona et de Insubmersible Messi, aux éditions Solar.
Un choix qui n'est pas au goût de tous les Argentins. “Ils ont besoin de s'identifier à des clubs argentins, leurs joueurs en sont le plus souvent issus, rappelle le journaliste. Alors, on lui a demandé tout de suite de gagner aussi bien que ce qu’il gagnait à Barcelone, mais c’était impossible.”
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Malgrès la pression des premières années, l'équipe de Messi remporte successivement les Jeux Olympiques en 2008 et à la Copa America en 2021, deux compétitons que Maradona n'a lui jamais gagné. Les performances de l'attaquant dépassent les attentes du peuple argentin. Une mystique s’est créée autour de l'équipe.
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Arrive la Coupe du monde au Qatar de 2022 et la finale face à la France. L'Albiceste n'a perdu qu'un seul match en deux ans. C’était contre l’Arabie Saoudite (1-2), plus tôt dans dans la compétition, en phase de poule. Messi est particulièrement attendu. "Surtout que pour lui, c’était peut-être sa dernière Coupe du monde, explique Alexandre Juillard. Cette finale, c'était le match le plus important de sa carrière.”
C'est finalement le sacre. L'Argentine s'impose aux tirs aux buts (3-3, 2-4 tab) et rétière l'exploit et la "surprise" de Maradona en 1986, à une époque où "même au pays, on disait que c’était une équipe qui ne pouvait rien faire”, se souvient Florent Torchut. "Rockstar" ou non, Messi est définitivement entré dans le cœur des Argentins ce samedi 18 décembre, à l'instar de son prédecesseur.