Mariage civil au Liban : le combat d’un couple

C'est l'histoire d'un couple qui se marie civilement. Pour beaucoup, une démarche anodine, mais pour Kholoud Sukkarieh et Nidal Darwishe un combat : le Liban ne reconnaît pas le mariage civil. Tous deux ont décidé de mettre un terme à cette situation. Ils ont ouvert un véritable débat national.
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Mariage civil au Liban : le combat d’un couple
Kholoud Sukkarieh et Nidal Darwishe se sont mariés en novembre 2012 - Photo AFP
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"Depuis qu’on est jeune, on se demande pourquoi il faut toujours passer par les chefs religieux. Pour se marier, pour trouver du boulot, pour se loger… toute notre vie dépend des leaders des communautés religieuses, raconte Kholoud, nous ne sommes pas les enfants des religions. Nous sommes les enfants du Liban".
Début 2013, le couple sunno-chiite Kholoud et Nidal annonce avoir conclu un accord de mariage civil, "béni" par un notaire sans aucune intervention de pouvoir religieux. Aujourd’hui, ils attendent l’avis du gouvernement pour obtenir leurs papiers familiaux officiels : un "oui" ouvrirait la porte pour la légalisation du mariage civil dans le pays.
De nombreux couples libanais sont déjà mariés civilement. Mais aucun de ces mariages n’a eu lieu sur le sol libanais. Surtout quand il s’agit de mariages interconfessionnels, les couples le font à l’étranger. C’est le seul moyen pour que le gouvernement libanais reconnaisse leur union.
La destination la plus proche, c’est l’île méditerranéenne de Chypre. Des centaines de couples s’y rendent chaque année pour conclure des mariages civils. Des agences de tourisme organisent des voyages destinés exclusivement à ces couples.
Mariage civil au Liban : le combat d’un couple
Publicité pour l'une des agences libanaises spécialisées dans le “tourisme nuptial“ à Chypre.
"Mais pourquoi serais-je obligé de voyager pour me marier alors qu’un tel mariage est reconnu dans mon pays ?!" se demande Nidal. 
Le couple trentenaire fait partie de ces libanais qui ne déclarent pas leurs convictions religieuses auprès de l’État. Selon un expert de droit libanais (voir encadré), cette catégorie aurait le droit de se marier civilement au Liban en se basant sur une loi qui date de l’année 1936, à l’époque de l’occupation française du pays : "On n’a rien inventé. On a juste découvert que ça existe déjà", affirme Nidal.
Les demandes de légalisation du mariage civil dans ce petit pays ne sont pas une nouveauté. Nidal et Kholoud n’ont fait que réveiller le mouvement laïc libanais. Jeunes, les deux participaient à des manifestations demandant l’instauration d’un État civil au Liban, pays qui vit toujours dans la mémoire d’une guerre douloureuse entre les milices de ses communautés religieuses durant la seconde moitié du XXe siècle. "Ça fait 14 ans que je descends dans la rue pour revendiquer mon droit", raconte Nidal.
Relancer le débat
Aujourd’hui, Nidal et son épouse sont "fiers" d’avoir relancé le débat. Des centaines de libanais se mobilisent. Ils demandent la reconnaissance officielle du couple Darwishe-Sukkarieh, mais aussi l’instauration du mariage civil au Liban.
"Je suis contente que nous ayons ouvert ce débat, se félicite Kholoud. Beaucoup de gens avaient perdu l’espoir en se disant que la seule solution était de croire en ce mensonge qu’est la division sectaire". "Les Libanais ont aujourd'hui à nouveau de l’espoir", ajoute Nidal.
Le débat touche tous les échelons de la société libanaise, de l’homme de la rue jusqu’au président Michel Sleiman. Sur Twitter, le chef de l’État a déclaré son soutien au couple.
"Certains hommes politiques s'opposent au mariage civil mais cela ne changera rien à mes convictions et ne m'empêchera pas de mettre le train sur les bons rails"
Mais le soutien du président (chrétien maronite) ne garantit pas une réussite pour les militants du mariage civil. En 1999, l'ancien chef de l'Etat Elias El Hraoui tente de légaliser l’union civil. Mais son premier ministre (musulman sunnite) Rafic Hariri s’y oppose. Le projet ne verra pas le jour. 
L’actuel premier ministre Najib Mikati ne s’y oppose pas entièrement, mais il n’y est pas favorable non plus. Pour lui, le mariage civil n’est pas une priorité en ce moment au Liban. Le pays se trouve au sein d’un Proche-Orient en guerre, des vagues de réfugiés arrivent de la Syrie voisine et la situation économique est difficile. Tout cela s’ajoute à un équilibre politique intérieure extrêmement fragile. 
Le lendemain du tweet du président Sleiman, Mikati répond donc, toujours sur le même réseau social.
"Je pense que le mariage civil est un sujet qui ne peut pas être traité du haut vers le bas"
Kholoud s’indigne : "ce n’est pas parce qu’on est dans une région en guerre qu’on doit déclarer la guerre contre nous-mêmes".
Dans les déclarations de Mikati, certains militants pour le mariage civil voient une tentative de plaire aux clergés sunnites. Ces derniers ont en effet brutalement rejeté toute tentative de légaliser l’union civil au Liban.
"Il y en a qui s’opposent au mariage civil parce qu’ils sont à l’extrême et n’acceptent aucun débat. D’autres ne savent pas ce que c’est exactement, commente Kholoud. Nous, on veut juste que tout le monde ait le choix".
« Rassembler les Libanais »
En fait, Nidal et Kholoud ont fait une cérémonie religieuse. Mais ils ne l’ont pas enregistrée auprès de la cour de charia comme prévu par la loi. 
"C’est pour dire aux gens que le mariage civil ne veut pas forcément dire s’opposer à la religion. On peut effectivement être croyant et se marier civilement", explique la jeune femme. Cela reste quand même difficile à accepter pour beaucoup de libanais. Ils craignent un tel changement pourrait influencer l’équilibre sensible entre les confessions, et donc la stabilité fragile du pays.
Mariage civil au Liban : le combat d’un couple
Voté en 1990, l’accord de Taëf met fin à la guerre civile libanaise. Depuis, les sièges parlementaires, le gouvernement et d’autres institutions de l’État sont partagés entre les communautés religieuses.
Avec le déclenchement du "Printemps arabe" fin 2010, le mouvement civil au Liban a repris de l’ampleur. Encouragés par la réussite des Tunisiens et des Egyptiens, des jeunes libanais sont descendus dans la rue réclamant "la chute du régime sectaire". Mais ce courant n’a pas eu assez de force pour réaliser le changement qu’il désire.
"L’importance du mariage civil n’est pas dans l’idée du mariage, mais dans la volonté de construire un État civil au Liban", affirme Kholoud. 
Mais pour beaucoup, un État civil au Liban, c’est une utopie. Nidal, lui, sait bien que ce rêve n’est pas réalisable toute de suite : " On veut rassembler les Libanais. Ça prendrait une dizaine d’années. Mais je suis sûr que dans dix à quinze ans, personne ne demandera à mon fils sa religion ou sa confession".

Le mariage civil est pourtant déjà légal !

Par T.K.
En creusant dans les textes de loi libanais, le chercheur Talal Husseini a trouvé un extrait d’un règlement qui date de 1936, l’époque de l’occupation française au Liban et en Syrie. « Les Syriens et les Libanais appartenant à une confession de droit commun et ceux qui n’appartiennent à aucune confession sont soumis à la loi civile en ce qui concernent leur affaires civiles », stipule le texte (lien en langue arabe).
Le Liban reconnaît 18 confessions. Depuis la fin de la guerre (1975-1990), elles se partagent le gâteau du pouvoir politique dans le pays. 
Les citoyens libanais, eux, ont la possibilité d’enlever leur confession de la carte d’identité, explique Husseini. Dans ce cas-là, ils choisissent de ne pas déclarer leurs convictions religieuses auprès de l’Etat. Ils sont, donc, inclus dans l’article de loi ci-dessus, toujours selon Husseini (c’est exactement le cas de Kholoud et Nidal).
« Le règlement de 1936 dit que ces personnes-là sont soumises à la loi civile, c’est-à-dire la loi française », puisque le Liban était à l’époque un « protectorat » français, affirme Husseini. « Les clergés n’ont rien à voir avec ce contrat. C’est la justice civile qui règne ici », ajoute Husseini, aussi écrivain et militant pour un Etat civil. 
En tout cas, les leaders religieux « ont le droit de faire appel au Conseil constitutionnel s’ils pensent que les droits de leurs fidèles sont violés », rappelle Husseini.