Maroc : une campagne sur les réseaux sociaux contre le Premier ministre face à la hausse du prix des carburants

"#Dégage_Akhannouch". Sur les réseaux sociaux, des centaines de milliers d'internautes marocains réclament le départ du Premier ministre Aziz Akhannouch. L’homme d'affaires ayant fait fortune dans la distribution des carburants est accusé de profiter de la flambée des prix à la pompe.
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PM marocain
Le Premier ministre marocain, Aziz Akhannouch lors du "One Ocean Summit" à Brest, juin 2022.
Ludovic Marin, Pool via AP
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Lancé ces dernières semaines, le "#Dégage_Akhannouch" appelle le chef du gouvernement de 61 ans à démissionner. La campagne regroupe près de 600.000 comptes sur Facebook et est assorti d’une demande de réduction de moitié des prix de l'essence.
Aujourd’hui le litre d’essence coute environ 16 dirhams (soit 1.5 euros) et celui du gazole dépasse les 14 dirhams. Un coût important dans un pays où le salaire minimum mensuel est d'environ 270 euros.
 
Les compagnies pétrolières continuent de piller les Marocains dans le silence et l'impuissance du gouvernement. Confédération démocratique du travail (CDT), syndicat marocain. 
Pour l’heure cette campagne virtuelle ne s'est pas traduite par des manifestations.  Mais elle a déclenché une polémique politico-médiatique alimentée par des syndicats et parlementaires de l'opposition.

"Les compagnies pétrolières continuent de piller les Marocains dans le silence et l'impuissance du gouvernement", fustige cette semaine la Confédération démocratique du travail (CDT). Le syndicat marocain accuse ces compagnies d'"accumuler des profits immoraux".

Aziz Akhannouch accusé de profiter de la situation 

Le Maroc connaît aujourd’hui une croissance au ralenti (+1,5%) et une inflation exceptionnellement élevée. Celle-ci devrait dépasser les 5,3% en 2022, selon les prévisions officielles. 

De son côté le gouvernement justifie la hausse du coût de la vie par un contexte international marqué par la pandémie du Covid-19 d'une part, puis la guerre en Ukraine et une sécheresse inédite affectant l'agriculture du pays d'autre part. 

Les internautes accusent le Premier Ministre Aziz Akhannouch de "profiter" de la situation. L’homme d’Etat, proche du palais, est actionnaire principal d'Afriquia leader du marché marocain des hydrocarbures avec les géants Total et Shell

Le magazine américain Forbes estime à 2 milliards de dollars la fortune personnelle du Premier Ministre. Cette estimation ferait de l’ancien ministre de l'Agriculture l'un des hommes les plus riches du Maroc.

À lire : Maroc : Aziz Akhannouch, milliardaire proche du roi, nommé chef du gouvernement

Pour les initiateurs de cette campagne, Aziz Akhannouch incarne l'alliance de l'argent et du pouvoirMohamed Chakir, politogue marocain. 
"Pour les initiateurs de cette campagne, Aziz Akhannouch incarne l'alliance de l'argent et du pouvoir. Selon eux, il n'apporte pas de solutions, il fait partie du problème", explique à l'AFP le politologue Mohamed Chakir. 

La question d'un conflit d'intérêts entre l'exécutif et les milieux d'affaires est "cruciale et mérite d'être posée", abonde le politologue Ahmed Bouz. Il note "un gros problème de communication pour Akhannouch et son gouvernement". 

Une campagne aux origines incertaines ?   

En avril 2018 déjà, une campagne de boycott cible les produit Danone, Sidi Ali ainsi que l’entreprise du Premier ministre Afriquia. Une enquête publiée par le journal marocain l’économiste affirme alors que 57% des Marocains informés du mouvement le suivent "en tout ou partie". Cette campagne engendre des conséquences économiques et politiques. Le ministre des Affaires générales de l’époque, Lahcen Daoudi doit démissionner après avoir participé à une manifestation contre le boycott.

À lire : Maroc : Danone, cible d'une campagne de boycott

À la veille des législatives de 2021, une nouvelle campagne de boycott vise à nouveau les groupes Danone et Afriquia. Mais cette campagne n’empêche pas Aziz Akhannouch, chef des libéraux du rassemblement national des indépendants (RNI), de remporter la victoire à la suite des élections.

Le Premier ministre élu depuis septembre 2021, reste jusqu’à présent muet face au "#Dégage_Akhannouch". L'ensemble des compagnies pétrolières implantées au Maroc gardent également le silence.

La réaction la plus nette est venue de l'agence de presse officielle MAP. Celle-ci fustige une "campagne tendancieuse" "alimentée par plus de 500 faux comptes créés instantanément par des milieux malveillants inconnus". 

Cet article a provoqué une autre bataille sur les réseaux sociaux. Certains, dont des députés de l'opposition, dénoncent le "parti pris" de la MAP en faveur du Premier Ministre.

Appels pour faire baisser les prix à la pompe

Au Maroc, jusqu’en 2015 le gouvernement subventionnait les carburants. Depuis la libéralisation du marché à cette date, de nombreuses voix réclament le plafonnement des marges "exorbitantes" des distributeurs de carburants et une réduction des taxes gouvernementales sur la vente à la pompe. 

Saisi de l'affaire des marges, le Conseil marocain de la concurrence conclut en juillet 2020 à une entente entre géants pétroliers. Des sanctions sont infligées aux trois leaders du marché : Afriquia, le Français Total et l'anglo-néerlandais Shell. Elles ne sont pourtant pas appliquées.

Face aux appels pour faire baisser les prix à la pompe, le gouvernement a déboursé environ 1,4 milliard de dirhams (environ 130 M EUR) depuis avril pour aider les transporteurs routiers, selon l'AFP. L'exécutif a également doublé la dotation des subventions du gaz, de la farine et du sucre à 32 milliards de dirhams (environ 3 milliards d'euros) pour 2022.

Au moment de la libération du marché des hydrocarbures, le gouvernement dit également vouloir compenser la levée des subventions étatiques par une aide mensuelle directe aux plus démunis. Ce soutien n’a jamais vu le jour, selon les informations délivrées par l’AFP.

Le roi Mohammed VI, dont le Premier ministre est réputé proche, a appelé samedi à la "solidarité nationale" et "à la lutte déterminée et responsable contre les spéculations et la manipulation des prix".