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C’est un bâtiment imposant, comme un bloc de béton, dressé dans un quartier populaire non loin de la gare de Marseille. Rien d’accueillant, à première vue, dans cet univers gris et aseptisé, protégé par des barreaux de fer aux étages inférieurs. Mais il suffit de franchir la porte pour découvrir un monde parallèle, un microcosme décrit par le chercheur Vinvent Baggioni en ces mots : “C’est un tout autre monde qui se découvre au visiteur, avec ses codes, ses groupes, ses clans, ses hiérarchies, ses habitudes et ses règles. Une petite société dans la société, une forme d’organisme autonome dont la sève ou le sang serait d’or.”
Quelques jours après la fin du ramadan, le ballet des habitués est un peu plus dense que d’habitude. De l’or entre et sort des locaux, une routine pour certains clients qui se rendent au crédit municipal aussi facilement que certains iraient retirer de l’argent dans un distributeur automatique. Les bijoux représentent 90% des objets gagés par les usagers de cette banque un peu particulière : “Les fêtes ont une influence directe sur nos activités,” explique Frédéric Pin, directeur des ventes aux enchères et des prêts sur gage. “Soit les personnes viennent récupérer leurs bijoux et leurs parures pour les fêtes, soit ils ont besoin de liquidités rapidement et viennent déposer des bijoux”.
En moyenne, 400 clients utilisent les services du crédit municipal chaque jour. Un bijou en or, un tableau, un objet de valeur, estimé puis déposé en échange d’argent liquide, à un taux d'intérêt qui est le plus bas du marché. Parmi les clients, beaucoup de migrants primo-arrivants, qui pratiquent le prêt sur gage, sous différentes formes, dans leur pays d’origine et pour qui il est souvent difficile d’obtenir un crédit bancaire traditionnel, voire une carte bleue. “La vie d’un crédit fluctue par rapport aux vagues de population étrangère qui arrivent sur notre territoire. Quand vous partez d’un pays pour venir ici, vous arrivez avec ce qui est le plus précieux : de l’or,” explique Frédéric Pin.
Ce sont surtout des femmes qui viennent gager leur pactole familial, leur dot ou leur cadeau de mariage : “Mon mari ne sait pas que je suis ici” confie l’une d’elles, tout en discutant avec d’autres habituées, qu’elle croise régulièrement.
Alors, ces femmes vont “chez ma tante”, expression employée par ceux qui ne voulaient pas avouer avoir recours aux monts-de-piété, ancêtre du crédit municipal et qui expliquaient leurs rentrées d’argents par des dons de leurs proches. “Chez ma tante”, là où l’on dépose son trésor, pour faire la transition lors de fins de mois difficiles. Le contrat de prêt sur gage peut être renouvelé tous les six mois, pour une période de deux ans maximum.
Ces clients gardent toujours à l'esprit le risque encouru : celui de voir l’objet perdu et vendu aux enchères. Au Crédit Municipal de Marseille, 95% des prêts sont remboursés. Mais le reste est cédé au plus offrant, lors de ventes qui se déroulent deux fois par mois. Dans le catalogue, des descriptions sommaires, austères : “Lot 10, collier, or gris, diamants, poids : 2,3 grs”. “Lot 61, pendantif, or orn. d’un diamant. Poids : 3,4grs”.
Des ventes impersonnelles, où siègent des marchands d’or bien rôdés à l’exercice. L’histoire, la provenance, l’usage du bijou n’intéressent pas : c’est sa matière première qui est au coeur des disputes. Les professionnels débitent les prix de manière quasi automatique, avec pour unique but la refonte du précieux matériau. Des enchères, parfois entrecoupées par de timides tentatives de curieux ou de particuliers.
Depuis un an, des acheteurs pas comme les autres ont pris place dans la salle des ventes. Un duo d’artistes mandaté pour créer une oeuvre autour de la thématique de l’or, pour l’exposition éponyme au Mucem de Marseille. Gethan&Myles se sont intéressés au système français du crédit municipal, unique en son genre. “On a vraiment été émus par l’humanisme de ce modèle, par rapport à celui du monde anglo-saxon. En Angleterre, en Irlande, aux Etats-Unis, ce sont des individus , et non l’Etat, qui gèrent le prêt sur gage, et c’est très sauvage”, explique le binôme.
Pour ce projet, Gethan&Myles ont racheté une trentaine de ces bijoux puis sont partis à la recherche de leurs propriétaires, souvent discrets. “Ces bijoux ont parfois traversé des générations, traversé le monde… Tout était sur le point d’être anéanti”.
Ils ont ainsi pu retracer le parcours d’une quinzaine de ces trésors. Des histoires de famille, d’héritage et souvent, d’exil : “On voit des gens qui arrivent des Comores, d’Algérie, du Maroc… Il faut s’en souvenir, on est tous des migrants” témoigne le duo d’artistes.
Des histoires d’exil, au travers du crédit municipal de Marseille, porte d’entrée des migrations méditerranéennes. Et des histoires “toujours tristes” de l’aveu des artistes, puisque tous ont dû faire face un jour à la perte de ces bijoux.
Mais pour une quinzaine d’entre eux, la chance va tourner : à la fin de l’exposition, les artistes leur restitueront leurs bijoux. Une dizaine d’entre eux, exposés au Mucem n’ont pas encore retrouvé trace de leurs propriétaires. Ils ont jusqu’au 10 septembre, date de la fin de l’exposition, pour identifier leurs biens.