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Le masculinisme est une idéologie fondée sur l’idée d’une masculinité problématique. “La masculinité y est définie comme une identité qui peut se perdre et donc qu’il faut protéger”, explique Mélanie Gourarier, chercheuse anthropologue rattachée au CNRS. “Vous voyez où cela mène : si la masculinité est constamment menacée, il y a une nécessité de travailler à la renforcer - c’est ça qui conduit à renforcer les inégalités”.
L’idée d’une masculinité en danger ne date pas d’hier. Les chercheurs peinent même à se mettre d’accord sur son origine, mais des prémices de pensée masculiniste ont été retrouvées jusque dans l’Antiquité : Caton l’Ancien évoquait déjà son mécontentement face aux revendications de femmes romaines qui voulaient conduire des chars.
Le masculinisme au sens large prône le “rétablissement d’une société imaginaire qui reposerait sur une dominance totale des valeurs masculines” détaille Mélanie Gourarier. Des valeurs masculines qui vont de la domination de la femme à l’exaltation de la figure du nouveau guerrier en passant par les valeurs familiales et qui se déclinent à travers plusieurs mouvements, qui évoluent aujourd’hui beaucoup sur internet et forment la “manosphère”- une nébuleuse d'hommes qui échangent leurs idées sur des forums en ligne ou des site dédiés.
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Sans doute le mouvement les plus “connu” de la manosphere, les Incels (involuntary celibate en anglais ou célibataires involontaires) sont aussi parmi les plus violents. À l’origine du mouvement incel, il y a pourtant une femme : une étudiante canadienne connue sous le nom d’Alana. En 1997, elle lance un site d’échange et de soutien pour personnes vivant mal leur condition de célibataire, qu’elle baptise “Alana’s involuntary celibacy project”, (le projet d'Alana sur le célibat involontaire en français ndlr). Abréviation : “incel”.
Rapidement, le forum lui échappe et des hommes s’emparent de son projet. Ils développent peu à peu une idéologie selon laquelle leur célibat leur est imposé par les femmes, qu'ils désignent notamment par le prénom féminin “Stacy”. Stacy serait l’archétype de la femme superficielle et vénale dans la terminologie incel, qui n’accepterait de fréquenter que des "Chad" prénom masculin qui désigne lui l’archétype de l’homme parfait, musclé, riche et au sommet de la pyramide sociale. Les deux sont toujours représentés sous les traits de personnes blanches, blondes et aux yeux bleus. Un choix qui n'a rien d'innocent : l’idéologie masculiniste est empreinte de notions racistes.
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En 2000, Alana quitte son propre site, dépassée par la tournure des événements. Les incels sont devenus un groupe d’hommes prônant la haine des femmes, qu’ils considèrent non seulement comme inaccessibles mais comme incapables. Les plus extrêmes d’entre eux, qui se surnomment “Black Pill” en référence au film Matrix, estiment que le système est profondément corrompu et qu’ils n’ont aucune chance d’y trouver une partenaire, ce qui leur laisse le choix entre attendre la mort et se tourner vers la violence pour assouvir leurs désirs - qu’ils soient charnels, ou de destruction.
Des auteurs d’attentats misogyne comme Elliot Rodger, qui a tué sept personnes et blessé 14 autres en 2014 et Alek Minassian, qui a fait 10 morts et 16 blessés dans une attaque à la voiture bélier à Toronto en 2018, se revendiquaient tous les deux du mouvement Incel.
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Les coach en séduction (pick up artists en anglais) fondent aussi leur propos sur la notion de séduction comme un marché concurrentiel. Ils prétendent avoir trouvé LA technique infaillible pour séduire les femmes, et proposent leur services sous la forme de vidéo ou de séminaires en ligne payants. Derrière leurs conseils se cache toute l'idéologie masculiniste. Les femmes sont présentées comme des “proies” que les “mâle alpha” doivent conquérir, leur valeur repose uniquement sur leur apparence physique, leur docilité et leur inexpérience. La notion de “bodycount” c'est-à-dire le nombre de partenaires intimes, est au coeur des valeurs des coach en séduction : plus une femme a eu de partenaires plus sa valeur diminue. Ils reprennent largement les idées du mouvement incel selon lesquelles les femmes sont des créatures stupides et vénales, qui ont besoin d’être dominées.
Le modèle fonctionne si bien qu'il a fait des émules. Les coach et les stages sont toujours plus nombreux : pour apprendre à devenir riche, à avoir confiance en soi, à se reconnecter à sa virilité... Avec à la clé des idéologies dangereuses, pointées du doigt en France par la Miviludes. En novembre 2022, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires mettait en garde contre l'essor du masculinisme dans son rapport d'activité sur l'année 2021. Elle pointait notamment du doigt les stages du ManKind Project, qui promettent aux participants de devenir des "hommes nouveaux" en participant à "l'aventure initiatique des nouveaux guerriers".
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C’est à cette grande famille des coach qu’appartient Andrew Tate. L’ancien kickboxeur a fondé la Hustlers Academy, une formation en ligne qui promet de faire de vous un richissime homme d'affaires : autrement dit un homme irrésistible. Mais ses conseils ne se limitent pas au business. Dans l’une de ses vidéos les plus connues, l’ancien kickboxeur n’hésite pas à encourager ses adeptes à frapper et étrangler leur partenaire pour obtenir un rapport sexuel. Des propos choquants vus et partagés des millions de fois par un public souvent très jeune, qui a découvert l’influenceur sur TikTok. Et qui prennent une tournure encore plus sombre compte tenu des accusations de viol et de trafic d’être humains qui pèsent aujourd’hui contre Andrew Tate.
Mais si le personnage d’Andrew Tate semble particulièrement choquant, Mélanie Gourarier tient à souligner que le danger du masculinisme va beaucoup plus loin que quelques influenceurs marginaux pris dans des “scandales”. “Ces individus là n’ont rien inventé”, rappelle la chercheuse. “Ils sont le reflet d’une pensée de leur époque dont ils peuvent tirer commerce et qu’ils s’approprient. Mais le problème, ce ne sont pas les coachs sur internet. Le problème c’est une société dont les valeurs se masculinisent de plus en plus ! Ça peut être lu à travers d’autres pendants politiques comme le populisme, la montée des extrêmes-droites à l’international, une politique raciste, sexiste, homophobe… Et tout cela crée un climat qui permet à ce type de pensée de s’exprimer. On ne peut pas réduire l’approche à l’individu” avertit-elle.
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Les défenseurs des droits des hommes estiment que la société a dépassé le point de l’égalité et que le monde est aujourd’hui dominé par les femmes - une sorte de matriarcat qui les opprime. C’est dans ce mouvement qu’on retrouve les groupes de défense des pères comme SOS papa ou Jamais sans papa, qui estiment que les hommes sont désavantagés par la justice en cas de divorce. Les pensions alimentaires ou la question de la garde des enfants, qui serait quasi systématiquement accordée à la mère sont parmi leurs principales revendications.
Dans une interview accordé à Marie-Claire en mars 2022, le sociologue Edouard Leport, auteur du livre Les papas en dangers ?, explique que ces revendications "s'appuient sur les vrais chiffres, mais les manipulent. Oui, dans 80% des cas de divorce ou de séparation avec des enfants, ils sont confiés en résidence principale à la mère. Et seuls 12% des enfants de parents séparés ou divorcés sont en résidence alternée. Mais les militants en font une présentation politique, ils s'estiment victimes d'une discrimination anti-pères de la part de la justice". Or, ces chiffres reflètent en réalité largement les demandes des parents : "s'il n'y a pas plus de résidences alternées attribuées, c'est parce que les parents (pères comme mères) ne le demandent pas", ajoute le sociologue.
On retrouve aussi dans le mouvement pour le droit des hommes des groupes de défense des hommes victimes de violences conjugales et/ou sexuelles, dont la parole serait invisibilisée par les femmes. Le site SOS misandrie fait partie de ce courant. Il dénonce un "sexisme d'État" en France et estime que les hommes sont "oubliés" dans la question des violences conjugales car pas nés avec "le bon sexe pour être dignes de la bienveillance de l'État". Derrière les revendications d'égalité et les demandes de mieux financer les associations d'aides aux hommes victimes, on retrouve très rapidement un discours profondément masculiniste. Le site propose également des "articles de fond" qui nient les inégalités hommes-femmes : "Salaires : les fausses différences", "Tâches ménagères, clichés et manipulations", "Harcèlement de rue : des études toutes biaisées"...
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Un discours aux accents complotistes qui ne doit pas surprendre : le masculinisme entretient d'étroites relations avec l'extrême-droite, comme l'explique Mélanie Gourarier : "Le lien idéologique avec l’extrême-droite est évident : la pensée masculiniste est très liée à une pensée raciale et à l'idée d'une société martiale, qui reposerait sur des valeurs militarisantes, axée sur la conquête, la question de l’ordre, des valeurs familiales… tout cela, ce sont des pensées proches des mouvements réactionnaires et d'extrêmes droite".