À quelle date la motion de défiance déposée par Matteo Salvini sera-t-elle soumise au vote ? Le Sénat italien devrait prendra sa décision ce mardi 20 août. Le chef de la Ligue, Matteo Salvini, qui a fait éclater la coalition au pouvoir le 8 août 2019, se lance dans une offensive politique, et multiplie ses derniers mois les clins d'oeil à la figure de Benito Mussolini. Analyse d'une communication politique.
Matteo Salvini a joué un coup de poker en dynamitant son alliance gouvernementale avec le Mouvement Cinq Etoiles (M5S, antisystème) après seulement 14 mois de pouvoir. Misant sur la torpeur du mois d'août et sur sa position dominante dans les sondages (entre 36 et 38% des intentions de vote, 20 points de plus qu'au printemps 2018) l'homme se voit déjà à la tête de son pays après des élections anticipées qu'il réclame pour octobre.
En pleine offensive politique, Matteo Salvini multiplie les clins d'oeil à l'ère mussolinienne, comme ce discours prononcé le 2 mai 2019 sur le même balcon que Mussolini, dans la ville de Forli, en Emilie Romagne, la région natale du Duce. C'est là que Benito Mussolini avait assisté à l'assassinat de jeunes partisans anti-fascistes, pendus aux réverbères, dans les années 1920. Matteo Salvini cultive-t-il sciemment des références à Benito Mussolini ? Analyse de Alberto Alemanno, professeur à HEC en droit public, et spécialiste de l'Italie contemporaine.
TV5MONDE : Matteo Salvini semble multiplier les signes, une démarche, une attitude qui rappellent celles de Benito Mussolini dans ses apparitions publiques. Est-ce délibéré ? Alberto Alemanno : Matteo Salvini est un animal politique. Il n’y a rien d’improvisé. Chaque mot, chaque usage est calculé. Il a pris les rênes d'un parti politique en déclin. Aujourd'hui, son mouvement est à plus de 30% dans les intentions de vote. Tout est pensé, étudié, réfléchi.
Tout comme Mussolini, Matteo Salvini entend parfaire une mythologie, celle de l’homme charismatique issu du peuple qui se rend comme tout bon Italien à la plage, torse nu. Il se rend dans les lieux fréquentés par la classe moyenne, les petits restaurants, les boîtes de nuit. Il use d'un langage direct. Il privilégie des discours courts de 10 minutes lors de ses rassemblements politiques. Dans une Italie où ces mêmes classes moyennes s’appauvrissent, Matteo Salvini ne se montre jamais dans des lieux luxueux. C’est le chef charismatique et populaire qui a les mêmes goûts et les mêmes loisirs que l’Italien moyen.
C’est également intéressant de voir récemment son virage "religieux". Tout comme Benito Mussolini, il n’est pas particulièrement croyant, mais il a fini par comprendre le poids du catholicisme en Italie. Matteo Salvini cherche à séduire les fidèles catholiques, encore fortement présents dans le pays, en mettant en avant des symboles comme la Madonne dans sa communication politique. Salvini a une formidable capacité d'adaption politique. Il a construit une stratégie de communication assez sophistiquée.
Mais comment qualifier son rapport à la figure de Benito Mussolini ?
Il est malin. Il sait très bien que des partis qui se réclament ouvertement de Mussolini avec toute l’iconographie et le folklore fasciste ne font pas recette en Italie. "Fratelli d’Italia" ne dépasse pas les 6% de l'électorat. Vous ne verrez jamais Salvini dans son bureau avec un buste de Mussolini posé derrière lui. Il est plus subtil que cela.
La reprise d’expressions de Mussolini dans ses tweets, par exemple, lui permet de toucher un public nostalgique de cette ère, sans réellement choquer. Son rapport à Mussolini est celui d’une ambiguïté délibérée qui lui permet de parler à plusieurs publics.
Il entend conserver une base électorale pour qui l'héritage mussolinien est important, tout en cherchant à élargir sa base politique. Son objectif est en effet désormais de s’attaquer à une partie des électeurs de gauche déçus par le manque d’ambition sociale du Parti démocrate (ndlr : le principal parti de Gauche en Italie).
Du Mussolini ? Du Salvini ?
Réagissant à la Une du magazine catholique "Famiglia Cristiana"qui titrait "Vade retro Salvini", Salvini répliqua par un tweet, le jour de l'anniversaire de Mussolini, le 29 juillet : "Tanti nemici, tanto onore", "Beaucoup d'ennemis, beaucoup d'honneur".
Une variation du fameux "molti nemici, molto onore" que le "Duce" utilisait, lorsqu'il se sentait encerclé par les démocraties européennes. Cette phrase de Mussolini est devenue un slogan du régime fasciste.
Qu’est-ce qui relève de l’héritage mussolinien dans la stratégie politique de Matteo Salvini ?
C’est tout d’abord le contact direct avec le peuple. Le mouvement 5 étoiles avait pendant un certain temps le monopole de cette relation directe avec le peuple. Le mouvement 5 étoiles se voit un peu comme une plateforme de citoyens faite par, et pour, les citoyens. Le mouvement 5 étoiles reste un mouvement politique très horizontal. Une plateforme web du nom de Rousseau ouverte à tous permettait ainsi de choisir les candidats du Mouvement 5 étoiles.
La Ligue de Salvini, elle, ne connaît pas la démocratie participative. Elle reste sur un fonctionnement très vertical, une tradition dans sa famille politique. C’est cette vieille formule, celle du chef qui n’a pas besoin de corps intermédiaires pour parler directement au peuple. Matteo Salvini, tout comme Benito Mussolini, est en campagne permanente, aimant jouer la provocation et la tension politique.
Il laboure toutes les régions du pays, et met en scène son lien direct avec les Italiens. C'est une culture où le chef est vénéré. Ce culte du chef est une des caractéristiques du fascisme.