La voix pâle de Christopher Pierre Louis contraste avec la violence des faits, péniblement relatés. Les tortures dont il est victime se sont déroulées il y a trois ans, en 2019. Elles ont été perpétrées par des policiers, selon Christopher Pierre Louis. Si le Mauricien de 34 ans a décidé de porter plainte pour torture et brutalité policière il y a quelques jours seulement, c’est grâce à la publication d'une vidéo dans laquelle il s'est reconnu. La victime la qualifie de « cadeau amer ». C’est elle qui lui a donné la force de porter plainte et de se savoir cru.
Elle a été diffusée le 28 mai par un activiste de l’île sur les réseaux sociaux. On y voit Christopher Pierre Louis, assis sur une chaise, menotté. Il est entouré de plusieurs hommes. L’un d’eux, armé d’un taser, lui inflige des violences à différents endroits du corps. Christopher Pierre Louis hurle de douleur. En tout, ils sont sept policiers de l’île de la "Central Investigation Division" mis en cause suite à la plainte de la victime. Trois policiers auraient été arrêtés.
Christopher Pierre Louis affirme avoir été contraint de payer des pots-de-vin aux policiers, puis avoir été arrêté et torturé, pour avouer des crimes d'affaires non résolues, dont il n'était pas responsable. Il dit se sentir "abattu" et avoir tenté plusieurs fois de mettre fin à ses jours, depuis cette expérience.
(Re)voir : à l'île Maurice, scandale après des vidéos de violences policières publiées sur les réseaux (contient des images d'une extrême violence)
La vidéo a créé une onde de choc dans l’opinion publique. Elle était accompagnée de deux autres films dans lesquels deux hommes subissaient eux aussi, des actes d’humiliation, de violences et de tortures.
Sur l’une d’elle, on voit un homme, nu, entouré de plusieurs personnes. Elles le forcent à laver un linge devant eux. Il subit railleries et coups. Dans une autre, un homme est mains liées et maintenu immobile dans un pneu, le pantalon baissé aux chevilles. Des hommes lui infligent des coups sur les parties intimes avec ce qui serait un taser. Dans ces trois vidéos, agresseurs, tortionnaires et spectateurs apparaissent à visages découverts.
L’activiste et agent d’une société de sécurité privée, Bruneau Laurette, a mis en ligne les vidéos. Il affirme ne les avoir eues en sa possession que sept jours avant leur publication et met directement en cause le commissaire de police en fonction en 2019. Il aurait reçu les vidéos il y a deux ans, selon Bruneau Laurette. Le Premier ministre aurait aussi été mis au courant, sans que rien ne soit entrepris. L’activiste a donc décidé de porter plainte contre eux.
Interrogé le 1er juin dernier, le commissaire de police Anil Kumar Dip a affirmé qu'une "enquête impartiale sera menée et s’il y a des coupables, ils devront assumer leurs responsabilités". Nous n'avons pas encore eu de réaction de la part du Premier ministre.
Depuis la publication des vidéos, Bruneau Laurette déclare avoir reçu des témoignages de violences et tortures policières de la part de Mauriciens. Une ligue d’avocats défendant pro bono les personnes se déclarant victimes a été créée et nommée les « Avengers », du nom de l’équipe de super-héros évoluant dans l’univers Marvel.
Leur chef de file : Rama Valayden, célèbre avocat et fondateur du nouveau parti d'opposition de centre-gauche, Linion Pep Morisien, co-créé avec l’activiste Bruneau Laurette il y a quelques mois seulement.
Depuis deux semaines, les publications de vidéos de violences policières fleurissent. Dans l’une d’elle, Deepak Jeeool. Selon le journal Le Mauricien, l’homme de 49 ans aurait décidé de porter plainte. Après sa déposition, deux policiers auraient été arrêtés, puis libérés vendredi 10 juin, après avoir versé des cautions de « 10 000 Rs » (environ 215 euros) chacun et « une reconnaissance de dette de 100 000 Rs », toujours selon le même journal.
Preuve que l’affaire prend de l’ampleur, l'Église s’en mêle. L’évêque de Port-Louis, à l’île Maurice, le cardinal Piat, s’est dit dans un communiqué « horrifié » par les vidéos et a réagit sur les enquêtes en cours. « Ici, des policiers enquêtent sur des policiers. Il faudrait avoir un autre système, comme des juges d’instructions ou une institution indépendante de la police qui puisse faire ce genre d’enquête », a-t-il déclaré au service de presse du Conseil pontifical, Vatican News.
Je n’avais pas ces preuves. Je n’avais même pas le courage de raconter ça à ma famille.
Christopher Pierre Louis, plaignant victime de violences et tortures policières
C’est l'une des première fois que des vidéos de violences mettant directement en cause des membres de la police mauricienne sont ainsi dévoilées au grand jour. À Maurice, régulièrement, des citoyens dénoncent des faits. Mais il est généralement impossible de démêler le vrai du faux.
« Si on a pas de preuves, ça ne vaut pas la peine d’aller de l’avant. Je n’avais pas ces preuves. Je n’avais même pas le courage de raconter ça à ma famille », raconte Christopher Pierre Louis.
Dans une vidéo postée sur Youtube et vue plus de 66 000 fois, un média mauricien interroge le père de la victime. « La police a gâché la vie de mon fils », raconte Edley Pierre-Louis.
Malgré le fait que nous disposons d’un laboratoire scientifique, la police préfère l’aveu arraché par la torture.
Erickson Mooneapillay, avocat des droits humains et directeur de l’ONG Droits humains Océan Indien
Erickson Mooneapillay, avocat des droits humains et directeur de l’ONG Droits humains Océan Indien, l’affirme : les tortures policières seraient monnaie courante à Maurice et ces vidéos ne seraient que la partie visible de l’iceberg : « Vous vous rendez compte que l’un des policiers arrêtés récemment a trente années dans la police. On se demande combien d’actes de torture il a pu perpétrer, confie-t-il. Nous avons recensé 68 morts dans nos prisons, depuis 1979. C’est beaucoup. La police n’a pas évolué depuis ce temps-là, malgré le fait que nous disposons d’un laboratoire scientifique. La police préfère l’aveu arraché par la torture. »