Fil d'Ariane
Gérald Darmanin l’a confirmé le 20 avril, l’opération Wuambushu (“reprise” en mahorais) aura bien lieu. Le ministre français de l’Intérieur n’a pas donné de date de lancement. Cette opération vise à expulser les migrants illégaux, majoritairement originaires de l'archipel voisin des Comores, installés dans des quartiers particulièrement insalubres, appelés "bangas".
Plusieurs associations de défense des droits humains, dont la Ligue des droits de l'Homme (LDH), se sont inquiétées dans un communiqué commun que "la France place ainsi des mineurs dans des situations de vulnérabilité et de danger intolérables". Le président comorien, Azali Assoumani déclare de son côté espérer "que l'opération sera annulée", reconnaissant "n'avoir pas les moyens de (la) stopper par la force".
Pourtant, à Mayotte, cette opération est très attendue par la population. “Notre position est très claire, nous soutenons cette opération parce que nous sommes des Français, explique Safina Soula Abdallah, présidente du collectif des Citoyens de Mayotte 2018, à l’origine de la forte contestation sociale sur l’île au printemps de cette année-là. L’État veut ramener l’État de droit, nous sommes favorables à cela.”
Le soutien des Mahorais à l’opération Wuambushu peut s’expliquer par le contexte social de l’île. L’historienne et politologue Françoise Vergès rappelle que “80% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, 40% des gens vivent avec seulement 160 euros par mois, le RSA est à 260 euros, contre 564 euros dans l’Hexagone”. De ce fait, la population de Mayotte “fait face à une situation structurelle de pauvreté”, explique-t-elle.
L’État français provoque une situation, participe à la stigmatisation.Françoise Vergès, historienne et politologue
“Ensuite, l’État a contribué à stigmatiser les personnes venant des Comores et d’Afrique centrale comme étant responsables de tous les problèmes, analyse Françoise Vergès. Elle estime que “l’État français provoque une situation, participe à la stigmatisation.” Par exemple, dans une interview au quotidien français Le Figaro publiée le 20 avril, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin explique que “nous allons détruire l’écosystème de ces bandes criminelles, qui utilisent les migrants, et mettre fin aux complicités qui existent au sein même du territoire mahorais.”
Comme il s’agit d’une opération confidentielle, on ne peut pas se prononcer sur si on est pour ou contre, car on n’a pas les tenants et les aboutissants.Mikidaki Abdallah, porte-parole de la France Insoumise à Mayotte
“Il y a des attentes pour que l’on enlève cette violence de Mayotte”, selon Mikidaki Abdallah, porte-parole de la France Insoumise (LFI) à Mayotte. Si l’opération Wuambushu a été condamnée par l’ensemble de son groupe parlementaire (LFI NUPES), le porte-parole mahorais reste modéré dans ses propos. “Comme il s’agit d’une opération confidentielle, on ne peut pas se prononcer sur si on est pour ou contre, car on n’a pas les tenants et les aboutissants”, poursuit-il au micro de la radio Mayotte la 1ère. “C’est au gouvernement d’expliquer aux Mahorais sur ce point-là.” Cependant, il déclare tout de même que “on attend de l’État de satisfaire les demandes de la population Mahoraise, c’est d’éradiquer la violence à Mayotte, reloger ceux qui sont en situation régulière comme ça a été fait.”
“C’est une opération totalement déshumanisante”, estime Françoise Vergès. “C’est quand même une opération militaire, poursuit-elle. Dans une même famille, il peut y avoir des enfants nés à Mayotte, qui sont français. Ils vont être arrachés à leurs parents. La déclaration ne donne pas le détail des situations profondes.” Selon la politologue “ c’est le symptôme d’un État qui choisit la répression pour résoudre des questions sociales, économiques.”
On ne peut pas laisser la situation telle qu’elle est continuer.Safina Soula Abdallah, présidente du collectif des Citoyens de Mayotte 2018
Safina Soula Abdallah note de son côté note qu'“il ne s’agit pas des Comoriens qui vivent à Mayotte depuis plusieurs années et qui sont intégrés. Il s’agit d’une population qui est arrivée ces derniers temps, depuis une quinzaine d’années.” Elle reconnaît que cette opération “aura des conséquences.” Pour la présidente du collectif des Citoyens de Mayotte 2018, “il faut les assumer.” “On ne peut pas laisser la situation telle qu’elle est continuer.”
Pour Mikidaki Abdallah, tout dépend de la manière dont l’opération va être menée. “Surtout, qu’est-ce qu’il va se passer après l’opération ? Si c’est pour que les kwassas kwassas (NDLR : petites embarcations de pêche à moteur utilisées par les passeurs) redoublent de nombre, où est l’utilité de Wuambushu ?”, questionne-t-il. “Personne n’a contesté les reconduites aux frontières. Mais après tout ce qui a été mis en place, l’immigration clandestine ne cesse de monter, déplore-t-il. Peut-être qu’il y a d’autres manières de la faire baisser.”