Médium : "Quelle est votre question, madame ?" (2/5)

Régulièrement, à Paris, des séances publiques sont organisées avec des médiums. Reynald Roussel, médium et conférencier,  est spécialisé dans l'accompagnement  des personnes touchées par un deuil. Anne Tuffigo est également médium. Tous deux ont accepté de parler de leur métier. Le premier par téléphone, la seconde à l'issue d'une séance de médiumnité.
 
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Anne Tuffigo, parmi son public à Paris, dans le local de L'Union Scientifique Francophone pour l'Investigation Psychique et l'Etude de la Survivance (USFIPES).
©Frantz Vaillant (TV5Monde)
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Les médiums ! Comment font-ils, qui les consulte et pourquoi ? Les sites de vidéos en ligne offrent aux curieux matière à satisfaire leurs interrogations. Ils peuvent aussi, à contrario, muscler certains doutes.

Le rituel semble immuable. 
Dans une salle, des personnes se pressent. Parmi le public, quelques personnes tiennent la photo d'un disparu, un collier, une babiole. Toutes attendent un "signe"ou la réponse à des questions qui les taraudent.

Reynald Roussel, homme lucide et même extra-lucide


Reynald Roussel est l'un des médiums les plus respectés sur la place parisienne. Celles et ceux qui le suivent fidèlement publient volontiers en ligne ses démonstrations médiumniques.

Reynald Roussel, joint par téléphone, explique les attentes de son public sans langue de bois : " Je  m'occupe principalement des personnes qui sont dans le deuil.  Je fais des accompagnements. La douleur, chez ces personnes, n'est pas la même selon que la personne est partie il y a 4 ou 40 ans. Je "préfère" m'occuper des deuils récents. Vous savez, je suis le derniers recours après le psychiatre et le psychologue....".
Pour ces personnes dans la peine ou la souffrance, pas de tarif fixe. Il l'assure, celles et ceux qui le consultent laissent ce qu'ils veulent. Une liberté assez étonnante. A Paris, il faut compter entre 80 et 195 euros la séance... et plusieurs mois d'attente.

Mais comment démasquer les charlatans ? "80 % des médiums sont des escrocs ! affirme-t-il d'emblée. Seul le bouche à oreille est valable. Il faut se méfier des sites internet et des téléphones en ligne". Hum, hum... lui-même possède une page Facebook et un site web où l'on trouve son téléphone. Nous le lui faisons remarquer. "Oui, mais je ne prends pas de rendez-vous en ligne, explique-t-il. Je n'accepte une consultation qu'après une rencontre publique, lors de séances de médiumnité."

C'est, en effet, plus prudent. Reynald Roussel dénonce ces consultations de "confrères" via Facebook ou par téléphone. La réaction d'une personne durement éprouvée et à qui le médium annonce des nouvelles du disparu peut être imprévisible. Et si l'envie lui prenait de sauter par la fenêtre, histoire de retrouver le mari ou la femme défunte ? Le médium, autant qu'il lui est possible, doit gérer l'émotion de ses clients avec des mots choisis.

Les questions se bousculent.
Peux-t-il entrer "en contact" avec ses proches disparus ? " Non. Nous ne pouvons pas entrer en "contact" avec des personnes de notre propre famille. Cela, pour nous protéger." Y'a-t-il une obligation de résultat ? "Parfois, les gens sont très déçus. La communication ne se fait pas. Elle peut durer dix minutes ou une heure. "
Est-on médium à vie ? "Oui. Mais moi, j'arrête bientôt les séances publiques. Cela fait 40 ans que cela dure. Je ne veux plus me déplacer, plus traverser la France. Ni train, ni hôtel. 40 ans, je crois que cela suffit."
Son public lui est fidèle. Plus aucune place pour ses conférences à Paris n'est disponible avant janvier prochain.

Anne Tuffigo, vous écoute et vous répond


Anne Tuffigo, elle aussi, affiche complet.
Sur la porte d'entrée, une pancarte : U.S.F.I.P.E.S. pour Union Scientifique Francophone pour l'investigation Psychique et l'Etude de la Survivance. Bigre !
USFIPES
© TV5Monde

La salle, qui peut contenir une bonne cinquantaine de personnes, est pleine. Pour les adhérents, il en coûte 5 euros. Moyenne d'âge ?  Environ cinquante ans. Le public est concentré, quasi studieux. La plupart de ces gens ont déposé une photo du disparu sur le bureau de la médium où trône un buste du médium Allan Kardec. Si les visages sont tendus, Anne Tufigo, elle, est sereine. La dame connaît son métier.
Et c'est parti pour une heure !
La première "révélation" concerne une épineuse affaire de partage de bien.
Après avoir regardé une photo du disparu, la médium déclare à une dame âgée  : " Votre mari me dit : "maintenant, je dois constater le conflit que ma mort va laisser derrière moi. Je parle de matérialité. Je ne sais pas s'il s'agit d'indivision ou de  deux personnes sur un même bien mais cela va être une affaire douloureuse. Deux fils s'affrontent. C'est un peu Abel et Cain !" "Ah, mais il s'agit de deux frères à lui ! "acquiesce la vieille dame.
Anne Tuffigo rebondit : "C'est ça ! Il me dit : "Nous avons été deux frères à nous déchirer." La vieille dame demande, troublée  : " Donc, il voit ce qu'il se passe ? "
Anne Tuffigo, catégorique : "Il me disait qu'il vient précisément pour voir le carnage !"

Anne Tuffigo
Micheline, Martine, Claudine, Daniel sont venus poser leurs questions à la médium. Les thèmes sont larges. Cela concerne une affaire de succession, un problème au travail, une peine de coeur... Chacun est venu chercher sa réponse.
© TV5Monde/Frantz Vaillant


Nous restons songeur.
Au sein de toutes les familles, il est bien rare que les affaires de successions aient lieu de manière apaisée. Venir à une telle séance, c'est déjà faire l'aveu qu'il existe un problème. Mais comment deviner l'existence de deux frères dans cette histoire de partage ?
Mais voici le tour d'Elise.  Elle pense déménager et ajoute qu'elle a connu quelques difficultés relationnelles avec son colocataire, un neveu. " Avec lui, c'était pas une sinécure ! assène Anne Tuffigo. Je vois un garçon complètement désorganisé dans son projet. Mais vous allez trouver, vous,  un nouveau lieu de vie et exercer une nouvelle activité ! En 2007/2008, vous avez déjà eu cette envie de partir. Pour moi, c'est un cycle qui revient. Vous ferez les cartons pour la deuxième fois ! Le neveu qui s'en va et une nouvelle activité !"
Elise, un peu ébranlée, remercie faiblement.

Il faudrait prendre rendez-vous avec Elise dans quelques années pour vérifier la  justesse de ces prédictions.
Daniel, la soixantaine bien sonnée, lève la main. Il vient prendre des nouvelles de Lila, dont il avoue être éperdument amoureux. Mais nous comprenons que le soupirant ne fait que soupirer. Il n'a pas encore oser avouer ses sentiments à la belle. L'avenir se teintera-t-il de rose ?
Dans cette météo du coeur, Anne Ruffigo n'annonce pas, hélas, le plein soleil . "Je suis un peu réservée commence-t-elle doucement. Elle est avec quelqu'un, aujourd'hui,  Lila ?"
"Aujourd'hui, non..." murmure Daniel. "Mais hier, oui  ! affirme la médium. Avec Lila, on n'est pas du tout dans cette même dynamique ! Les bonnes nouvelles, je ne les entends pas comme cela. Elle a besoin de temps pour un successeur. Lila est une femme extrêmement sensible. Elle a besoin de temps pour  l'ouverture et être apprivoisée... J'ai peur d'un renouveau, d'un retour de flamme qui ne vous sera pas positif"
Daniel, assommé, ne dit plus rien.

L'heure consacrée vient de finir. Beaucoup de personnes n'ont pu s'exprimer. "Cela n'est pas grave, soupire une femme qui se lève et enfile son manteau. Je suis surtout venue pour la conférence qui avait lieu avant. Pour mes questions, eh bien, je reviendrai une autre fois." Cependant, tout le monde semble satisfait par la prestation de la médium.

De notre côté, nous restons dubitatifs.
Disons-le, nous n'avons été ni convaincu ni même troublé par les "révélations" de Anne Tuffigo. Toutes les réponses de cette médium attestent, selon nous, d'un solide bon sens, d'une aptitude psychologique solide qui lui permet de déceler les tourments de ceux qui l'interrogent. De plus,  il nous a semblé que cet auditoire était avant tout constitué de personnes fragiles, prêtes à chercher un apaisement à leur tourment et ayant abandonné tout esprit critique en pénétrant dans la salle.
 

Anne Tuffigo
Anne Tuffigo
© TV5Monde/Frantz Vaillant
 Anne Tuffigo, ex professeure de lettres, affirme qu'elle a eu la révélation de ses dons dès son plus jeune âge. Sur un site, elle raconte : " J’ai très vite réalisé que je n’étais pas une petite fille comme les autres. À l’âge de 7 ans, j’ai vécu mes premières manifestations.

Le soir, quand je devais aller me coucher, j’étais apeurée : je voyais des entités (dont ma grand-mère défunte), dans ma chambre. Elles manifestaient leur souffrance, leur besoin de s’exprimer…".
Nous la rencontrons donc à l'issue de cette séance.

Votre public est composé en grande majorité de femmes. Comment l'expliquez-vous ?  

Dans toutes les salles où je vais, il y a 85 % de femmes. Le deuil appartient un peu aux femmes.  Ce que je constate dans toutes les associations où je me rends, c'est qu'il y a une grande  pudeur chez les hommes. Il y a encore beaucoup de barrières sociales à venir dans ce genre de lieu, mais, tout de même, depuis cinq ans, il y a de plus en plus d'hommes qui viennent et qui poussent la porte des centres spirites. Il y a aussi une autre population qui est acheteuse des succès de librairie et qui est désireuse de complètement autre chose. Aujourd'hui, on est sur un art de vivre, sur une spiritualité, sur des questions existentielles.  Au delà du deuil, il y a un autre public qui vient et qui se révèle soucieux d'intégrer la spiritualité dans leur vie.

Ne serait-ce pas un phénomène de crise ? Le présent est inquiétant, le futur incertain et le fait de se raccrocher au passé avec une personne que l'on a aimé, que l'on a connu, c'est un peu une valeur sûre...

Mais il y a toujours eu la crise ! Je pense qu'il y a surtout enfin en Europe des ouvertures avec des pionniers qui sont venus. Je pense au professeur Charbonnier ( médecin anesthésiste réanimateur français, connu pour ses travaux sur la vie après la mort et les expériences de mort imminente  EMI ndlr)  qui ose évoquer des phénomènes inexpliqués par la science. On parle des EMI, des NDE ( near-death experience). Le médium, ce n'est plus la salle obscure avec le foulard de madame Irma !

Mais aujourdhui j'ai eu l'impression d'assister davantage à une séance de voyance que de médium..

Oui, c'est parce que la salle "Psyché" (nom du lieu où a eu lieu la séance ndlr) est particulière. C'est une salle spirite. Ce sont des gens en recherche de spiritualité et d'éclairage de vie. C'est la seule salle où je ne prends que des photos de vivant. Dans les salles d'association d'aide au deuil où je me rends une fois par mois, il n'y a que des défunts sur la table.

Vous enchaînez avec une grande rapidité les réponses aux questions inquiètes du public. Quelle est la part de psychologie dans votre travail ?

La rapidité tend justement à montrer l'absence de psychologie, pour ne pas broder autour de la question. Je donne tout de suite un ressenti, une énergie par rapport à la question.

Mais, pardon, souvent dans votre réponse, vous picorez un peu de la question...

Parce que là, nous sommes sur des questions précises. Sur les vingt premières minutes, on était sur des médiumnités, un disparu, une présence, un tout autre travail..

(Nous nous abstenons de lui faire remarquer que cette réponse, qui ne répond pas à question, est aussi en contradiction avec  l'utilité avouée de cette salle "Psyché")

Que se passe-t-il si vous êtes "en panne" tout d'un coup ?

Cela fait dix ans que je travaille et cela ne m'est jamais arrivé. Si je n'"entends" pas, je dis : "je n'entends pas". Je ne vais pas broder sur quelque chose que je ne sais pas. (...)

Ce n'est pas de la voyance ?

Non. La voyance suppose un support (tarot, carte, pendule..). Là, je ne prends que le nom de la personne et la question. On est sur complètement autre chose. On est en terme de perception, que l'on appelle la "claire-audience", donc une réponse auditive, et la "claire-voyance" dans le cas de la médiumnité est l'apparition d'une entité, c'est à dire ce que l'on voit. Je vois les défunts et je les entends également. Et je réponds aux questions des gens dans le cas de la médiumnité.


Vous pourriez annoncer des choses désagréables ?

Oui. Mais chaque métier suppose une éthique, une déontologie..

Mais c'est des choses que vous "voyez" ?

Oui

Mais parmi les personnes qui étaient là, vous avez perçu des choses..

... plus ou moins plaisantes, oui. On parlait de cette dame dont le mari allait être à la retraite mais qui va continuer à travailler. Je suis très inquiète pour ce monsieur. Je l'ai suggéré. Mais je me pose toujours cette question. Ce que je vais dire à cette homme ou à cette femme va le faire cheminer ou pas ? Suis-je en droit de faire une annonce funeste ?

Quelle est la limite ? Vous pourriez après tout lui sauver la vie à cette personne. Si elle n'a pas un degré d'intelligence ou de perception suffisant pour comprendre la finesse de votre réponse...

Si on sent la personne en face fragile ou pas à même d'entendre quelque chose, on se garde de le faire. Et je me serai bien garder de le faire en public (il y a minimum de confidentialité à garder) et puis vous m'imaginez dire : " je pense très sincèrement que votre mari, dans les deux prochaines années, va faire un infarctus !" et..

C'est ce que vous pensez ?

Oui, c'est ce que je pense. Maintenant, déjà que l'on n'est pas reconnu dans notre métier, si en plus on se paye le droit d'être le prophète ou pas le prophète... Nous n'avons pas cette fonction-là. Tant mieux si on peut faire avancer les choses. Et il m'est arrivé de le faire, d'avertir sur des problèmes médicaux graves. (...) Et puis d'abord, je peux me tromper. Tout le monde est faillible. Imaginez que ce monsieur le fasse vraiment, son infarctus. Mais dans cinq ans et pas dans deux. On va laisser cette femme trois ans encore dans les tergiversations de la santé de son mari ? Il faut faire très attention à cela.

Est-ce que vous percevez des choses en ce moment, alors que nous parlons ?

Vous êtes tellement dans un exercice réthorique, que je suis réthorique avec vous ! Là, je suis dans le question-réponse. Je suis très concentré à vous répondre et à ne glisser sur le peaux de bananes que vous mettez sur le côté ! On n'est que malmené. On a eu la chance d'avoir Stéphane Allix, d'avoir Patrica Darré qui ont fait deux best sellers, donc ca y est, journalistiquement, on est un peu intéressant mais on est vu comment ? (...) Au mieux on alimente les émissions débiles et on est la blonde dans un cimetière ou alors on est décrié, on est des bêtes de foire !

Etre sceptique, c'est être hostile ?

Non. Le septicisme,  pour moi, est signe d'une bonne santé mentale.


Nous voici rassurés.