Mercosur – Union européenne : "Si la France se retire, l'accord est caduc"

Les incendies en Amazonie sont à l’origine de l’une des plus graves crises diplomatiques entre la France et le Brésil. Emmanuel Macron accuse Jair Bolsonaro d’avoir « menti » sur ses engagements écologiques, et menace de se retirer de l'accord entre les pays latino-américains du Mercosur et l'Union européenne. Cet accord, en voie d'être signé après une vingtaine d'années d'âpres négociations, est-il voué à l'échec ? Entretien avec Christophe Ventura, directeur de recherches à l'Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS).
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Le président français lors d'une conférence de presse sur le climat au sommet du G7. Biarritz, France, 26 août 2019.
© AP / François Mori, pool
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Emmanuel Macron accuse son homologue brésilien d’avoir tenu des "propos extraordinairement irrespectueux" sur son épouse. Jair Bolsonaro déclare de son côté que le président français prétend « sauver l’Amazonie » comme s’il s’agissait d’une « colonie ».

Des attaques inédites entre Paris et Brasilia, auxquelles s’ajoute cette déclaration d’Emmanuel Macron lundi 26 août : « En l’état, je ne signerai pas le Mercosur ». Cet accord de libre-échange entre l’Union européenne et quatre pays d’Amérique du Sud - Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay –, déplaît aux agriculteurs français. La signature de son protocole d’accord, le 28 juin 2019, avait provoqué des levées de boucliers.

Les déclarations d’Emmanuel Macron enterrent-elles l’accord Mercosur-UE ? Nous avons posé la question à Christophe Ventura. Directeur de recherches à l’IRIS spécialiste de l’Amérique latine, il a rédigé une note sur cet accord en juin 2018, pour l’Agence Française pour le Développement (AFD).


TV5MONDE : Interviewé en direct à la télévision nationale française, Emmanuel Macron a déclaré : « En l’état, je ne signerai pas le Mercosur ». Pourquoi ?

Christophe Ventura : C’est une manière d’envoyer un message clair : la France menace de sortir de l’accord. Le « en l’état » montre toutefois une prudence diplomatique qui laisse la porte ouverte à des négociations.

Emmanuel Macron a rappelé qu’il n’avait pas donné son accord « définitif » à la signature du Mercosur, et qu’il soumettrait ce texte à une expertise juridique pour vérifier qu’il ne contrevient pas aux engagements écologiques et sanitaires d’autres traités.

Emmanuel Macron et Jair Bolsonaro sont deux miroirs inversés d’un certain type de leadership.

Christophe Ventura, directeur de recherches à l'IRIS

Cette prudence a, à mon avis, moins à voir avec Jair Bolsonaro, qu’avec les réactions dans le secteur agricole en France, très hostile à cet accord. La pression du secteur agricole fait qu’Emmanuel Macron ne souhaite pas donner un "oui" définitif à l’accord.
Emmanuel Macron avance donc sur deux terrains : celui des agriculteurs français, mécontents de l’accord, et celui du climat, avec le Brésil.

Les déclarations d'Emmanuel Macron sur le Mercosur vous ont-elles surpris ?

Non, le terrain était propice à cette confrontation. Emmanuel Macron a reçu le cacique Raoni en juillet (ndlr : figure de la lutte pour la préservation de l'Amazonie), ce qui avait rendu Jair Bolsonaro furieux.

Jair Bolsonaro a, quant à lui, humilié Jean-Yves Le Drian en annulant son rendez-vous en juillet dernier, préférant diffuser au même moment une vidéo de lui sur Facebook se faisant couper les cheveux chez le coiffeur.

Emmanuel Macron et Jair Bolsonaro sont deux miroirs inversés d’un certain type de leadership.

L’accord Mercosur – Union Européenne en bref

L’accord Mercosur (Marché commun du Sud) – Union européenne est un traité de libre-échange, en discussions depuis une vingtaine d’années. Il prévoit la suppression de la quasi-totalité des droits de douane, et la protection de plusieurs Appellations d’Origine Contrôlée (AOP). Viande de bœuf, soja, citrons : « Chaque produit fait l’objet d’une négociation au cordeau », souligne Christophe Ventura.

L’accord n’est pas encore entré en vigueur, et n’a pour l’instant été ratifié par aucun Etat. Seul un protocole d’accord a été signé le 28 juin 2019« Ce texte doit être transformé en accord juridique, pour qu’il soit conforme avec les traités relatifs aux engagements des autres Etats », comme l’OMC ou l’Accord de Paris.

Une fois le texte entré en conformité avec ces accords, il sera soumis à la ratification des États. L’accord Mercosur – UE est « programmé pour commencer à entrer en vigueur d’ici deux à trois ans », précise Christophe Ventura.

Avec cette déclaration, qu'espère le président français ?

Les termes du Mercosur (quantités importées et exportées, quotas) ont déjà été discutés. Il n’est pas question de revenir dessus. En revanche, l’accord Mercosur-UE implique que les pays signataires reconnaissent le changement climatique, et adhèrent aux objectifs de la Cop 21.

L’idée d’Emmanuel Macron est d’obtenir un compromis diplomatique, en dépit des vides de l’accord Mercosur-UE.

Christophe Ventura, directeur de recherches à l'IRIS

Ce que le président français demande certainement à Jair Bolsonaro, c’est de réaffirmer son engagement à l’accord de Paris, et de dire plus précisément ce qu’il compte faire en matière de lutte contre la déforestation, l’un des thèmes de l’Accord de Paris.

Le Mercosur ne prévoit strictement aucune sanction commerciale en cas de non-respect des objectifs dans la lutte contre le réchauffement climatique. L’idée d’Emmanuel Macron est d’obtenir un compromis diplomatique, en dépit des vides de l’accord.


Est-ce à dire que la déclaration d’Emmanuel Macron, aussi forte soit-elle, n'enterre en rien l’accord Mercosur – UE ?

La déclaration d’Emmanuel Macron, très forte politiquement, n’est pas un revirement ; il est trop tôt pour le dire. C’est une menace de revirement.
Si cette menace se matérialise en fait, alors oui, l’accord Mercosur – UE est caduc. C’est très clair. Si l’accord n’est pas signé par les 28, il n’existe plus comme accord de l’Union européenne.

De surcroît, le retrait de la France de l’accord serait ingérable sur les plans juridique et politique. Juridiquement, que l’accord soit ratifié à l’unanimité ou à la majorité qualifiée (ndlr, on ne sait pas encore quelle sera la nature juridique du traité), la situation serait compliquée. D’autres pays ont annoncé qu’ils ne voteraient pas l’accord, comme l’Irlande (si le Brésil ne protège pas l’Amazonie). (ndlr : Le Luxembourg veut geler sa signature.)

Par ailleurs, les 28 ne peuvent pas se désolidariser politiquement de la France, principal contributeur à la Politique Agricole Commune (PAC). La France a aussi toujours été le pays le plus opposé à l’accord avec le Mercosur, pour protéger ses agriculteurs. La production agricole française est la première d'Europe en termes de production.


Quels scénarios peut connaître l’accord Mercosur - UE ?

Aujourd’hui, la virulence du conflit entre la France et le Brésil devrait certainement diminuer. La prochaine étape, c’est l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre à New York.

Emmanuel Macron a annoncé qu’il y présenterait un plan pour l’Amazonie. Le Brésil a aussi annoncé la présentation de mesures pour l’Amazonie, avec la Colombie. Cette Assemblée générale pourrait être un moment de reprise des discussions.

Le scénario du pire serait que Jair Bolsonaro se retire de l’accord de Paris, comparant Emmanuel Macron à un « impérialiste » qui a voulu venir en « colon » en Amazonie. Et, c’est fort probable, le Brésil pourrait signer un accord commercial historique avec les États-Unis. C’est d’ailleurs ce qui est en train de se préparer.

Il est beaucoup trop tôt pour savoir ce qui va se passer. Mais une chose est sûre : beaucoup d’intérêts sont en jeu dans l’accord Mercosur - UE, aussi bien en Europe qu’au Brésil.