Fil d'Ariane
"Ses parents ne veulent surtout pas de récupération politique". Dans un entretien au journal Le Parisien, le maire de la ville du nord d’où est originaire la famille de Lola évoque "la sidération et l’incompréhension" mais aussi le "refus de haine" exprimé par les parents de la jeune adolescente assassinée. Un message qui n’est, semble-t-il, pas parvenu aux oreilles d’une grande partie de la classe politique française.
Comment le meurtre inexpliqué d’une jeune fille de douze ans s’est-il transformé en mise en accusation de la politique migratoire du gouvernement français ?
L’affaire commence vendredi 14 octobre dans le 19ème arrondissement de Paris. Lola, douze ans, disparaît en rentrant du collège. Son père, gardien de l’immeuble où habite la famille, repère sur l’enregistrement d’une caméra de surveillance une scène intrigante. Au moment où elle rentre dans le hall, la jeune adolescente est interpellée par une femme. Lola semble inquiète. Son corps sera retrouvé dans une boîte en plastique quelques heures plus tard au fond d’une cour d’immeuble. Lola est morte asphyxiée, selon l’autopsie. Elle porte "de multiples autres lésions" sur le corps et au niveau du cou, mais pas "de lésion traumatique de la sphère sexuelle". "Un zéro et un 1 étaient inscrits en rouge sous chaque pied de la victime", est-il enfin précisé.
La police ne tarde pas à arrêter plusieurs suspects, dont notamment la femme qui apparaissait sur la vidéo de surveillance.
Dahbia B. est une marginale de nationalité algérienne. Elle est en situation irrégulière en France. Agée de 24 ans, sa vie est chaotique. Arrivée en France en 2016 légalement, avec un titre de séjour d'étudiant, elle se fait connaître des services de police mais avec le “statut” de victime de violences conjugales. Le 21 août dernier, elle est interpellée dans un aéroport français pour défaut de titre de séjour, elle se voit délivrer une obligation de quitter le territoire, mais elle peut repartir librement.
OQTF, signifie obligation de quitter le territoire français. Voici la définition qu'en donnent les autorités françaises : "La décision d'éloignement ou d'obligation de quitter le territoire français est prise par le préfet, notamment en cas de refus de délivrance de titre de séjour ou de séjour irrégulier : Situation d'un étranger qui ne possède pas les documents l'autorisant à rester en France en France". Il est précisé que, les personnes concernées doivent "quitter la France par leurs propres moyens dans un délai de 30 jours. Dans des situations limitées, elle peut aussi obliger à quitter la France sans délai. Un recours est possible".
Ces OQTF sont au coeur d'un bras de fer diplomatique entre la France et les pays du Maghreb, en premier lieu le Maroc.
Selon les chiffres du ministère français de l'Intérieur, l'Algérie a délivré entre janvier et juillet 2021 un total de 31 laissez-passer consulaires pour 7.731 obligations de quitter la France (OQTF) prononcées, et 22 expulsions réalisées, soit un taux d'exécution de 0,2%. Ce taux est de 2,4% au Maroc et 4% en Tunisie.
Il y a un an, le gouvernement français révélait, par ailleurs, qu'un précédent bras de fer du même ordre, remontant à 2018, avait donné lieu à "une nette augmentation du nombre de laissez-passer consulaires délivrés". Les expulsions avaient alors connu une "progression significative": +65% à destination de l'Algérie en 2019 par rapport à 2017, +57% vers le Maroc et +61% vers la Tunisie sur la même période, observait l'an dernier le gouvernement français.
Il n’en fallait pas davantage pour qu’une partie de la droite et l’extrême-droite voit dans cette affaire un échec de la politique migratoire française.
"La suspecte de cet acte barbare n'aurait pas dû se trouver sur notre territoire", accuse rapidement Marine Le Pen du Rassemblement national. L'eurodéputé et candidat à la présidence du RN Jordan Bardella, dénonce pour sa part dans un tweet "l'ensauvagement et l'immigration" et estime, dans une vidéo publiée mardi, que l’”Etat a failli” dans sa responsabilité".
Nos pensées accompagnent la famille et les proches de Lola, victime d’une indescriptible barbarie.
— Jordan Bardella (@J_Bardella) October 18, 2022
Quand l’État a failli, ce drame ne peut rester sans réponse : notre responsabilité politique est de protéger les Français. pic.twitter.com/F9lX71DtQR
Du côté de Reconquête!, l’ancien candidat à la présidentielle et éditorialiste Éric Zemmour avait brandi dès dimanche son concept de "francocide", déjà employé la veille lors d'une cérémonie pour les deux ans de l'assassinat de Samuel Paty par un jeune radicalisé qui lui reprochait d'avoir montré des caricatures de Mahomet en classe.
En matière d'immigration, le laisser-faire peut tuer.
Bruno Retailleau, sénateur Les républicains (droite)
La droite dite républicaine n’est pas en reste. Mercredi matin, invité sur Radio France Internationale (RFI), le chef de file des sénateurs Les Républicains (LR) Bruno Retailleau revient longuement sur les conditions de la mort de Lola. Estimant qu’il s’agit d’un fait “éminemment politique”, il estime qu’en matière d’immigration “le laisser-faire peut tuer”.
Dans cette même interview, Bruno Retailleau fustige l’attitude du gouvernement qui voudrait que “l’on se taise” sur le sujet.
Mardi après-midi, la mort de la jeune Lola avait en effet donné lieu à un échange violent dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Répondant à une question d’un député LR, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti avait estimé que "faire de la petite politique, de la petite poloche, se servir du cercueil d'un gamine de 12 ans comme on se sert d'un marchepied, c'est une honte". Et le ministre de conclure : "Ne rajoutez pas à l'atrocité la plus absolue le commerce indigne de la démagogie".
Alors que le président Emmanuel Macron recevait mardi après-midi les parents de la victime, “leur présentait ses condoléances et les assurait de toute sa solidarité”, selon les mots de l’Elysée, la Première ministre Elizabeth Borne appelait Marine Le Pen à "un peu de décence, et au respect de la douleur de la famille", estimant que "notre responsabilité à tous, c'est de laisser la justice punir ce crime à la hauteur de ce qu'il mérite".
Une digue très nette entre le gouvernement et la droite dure qui aura finalement en partie cédé ce mercredi matin. A l’issue du Conseil des ministres, l'exécutif a reconnu qu'il devait "faire mieux" sur les expulsions d'immigrés irréguliers, après avoir été mis en cause par la droite et l'extrême droite dans le cadre du meurtre de Lola. "Nous travaillons d'arrache-pied pour faire en sorte que les expulsions" soient "suivies d'effets", mais "nous devons évidemment faire mieux", a déclaré le porte-parole du gouvernement Olivier Véran.