Ils étaient jusque là officiellement portés disparus. La justice mexicaine a maintenant la certitude que les 43 étudiants d’Iguala ont été assassinés par un cartel de la drogue. De leur côté, les familles rejettent ce scénario et craignent la clôture du dossier. Elles sont soutenues par des ONG internationales comme Human Rights Watch et Amnesty International.
Une certitude. L’enquête, qui inclut les déclarations de près d’une centaine de détenus ainsi que des éléments matériels
« nous donne la certitude légale que les élèves enseignants ont été tués dans les circonstances décrites » par un groupe criminel, a déclaré le ministre de la justice Jesus Murillo Karam lors d’une conférence de presse. Après avoir perdu la vie, les étudiants
« ont été incinérés » et
« jetés dans la rivière San Juan ». Voici donc, selon le gouvernement mexicain, ce que seraient devenus les 43 étudiants disparus en septembre 2014 à Iguala, dans l’Etat de Guerrero, au sud du Mexique.
Cette affirmation des autorités judiciaires est une première dans cette affaire qui a ébranlé le Mexique. Jusqu’ici, le gouvernement considérait comme disparus les 43 élèves-enseignants de l’école normale d’Ayotzinapa, victimes d’une attaque armée de la part de policiers corrompus d’Iguala, puis remis à des tueurs du cartel de trafiquants de drogue des Guerreros Unidos, à l’instigation de l’ex-maire de la ville.
Manifestations
Pour les parents des victimes, ce scénario n’est pas justifié. « Il y a beaucoup d’incohérences dans la version du ministre », a déclaré à l’AFP Felipe de la Cruz, porte-parole des parents, après la conférence de presse de Jesus Murillo Karam. En effet, pour le moment, les tests ADN des experts du laboratoire autrichien de médecine légale de l’université d’Innsbruck n’ont abouti à l’identification que d’un seul étudiant sur les 43. En novembre, le Mexique avait envoyé 17 restes calcinés, présumés appartenir aux disparus. Mais l’institut a indiqué que « la chaleur excessive a détruit l’ADN des restes ». Pour le directeur de la division Amériques de Human Rights Watch, José Miguel Vivanco, les conclusions de l'enquête officielle présentées par le ministre mexicain de la Justice soulèvent «beaucoup de scepticisme et beaucoup de doutes»parce qu'elles reposent sur des «aveux, des hypothèses et une extrapolation à partir des résultats d'un laboratoire».
Quatre mois après la disparition des étudiants, les familles sont donc toujours dans l’attente et l’incertitude. Elle craignent désormais que le gouvernement ne déclare clos le dossier. Une situation qui émeut tout le pays. Lundi 26 janvier à Mexico, plusieurs milliers de manifestants sont d’ailleurs descendus dans la rue pour manifester leur soutien aux proches des jeunes gens. Plus de 15 000 personnes étaient réunies selon la mairie de la ville. De nombreux parents des étudiants étaient sur place car ils sont convaincus que leurs enfants sont encore vivants, en l’absence de preuves formelles de leur mort. « Je cherche mon fils et je vais le trouver », s’est exclamée Carmelita de la Cruz sous une immense banderole portant les photos des 43 jeunes tandis que retentissait encore le cri de guerre des proches : « Ils les ont emmenés vivants, vivants nous les voulons !
Corruption
Le porte-parole des parents, Felipe de la Cruz, s’est attaqué au gouvernement du président Enrique Pena Nieto et à l’armée accusés de savoir où sont les jeunes. Il a assuré que les parents, les enseignants et les normalistes du Guerrero ne permettraient pas le déroulement des élections locales prévues en juin 2015 pour élire un nouveau gouverneur.
« Non aux élections parce qu’aucun parti ne détient la solution au problème du Mexique. Voter, c’est voter pour le crime organisé », a crié De la Cruz.
29.01.2015
Trois questions à Patrick John Buffe, correspondant de RFI au Mexique
- Comment la justice mexicaine peut-elle avoir la certitude de la mort des 43 étudiants ?
C'est la question que posent les parents des victimes. Le ministère public a fait ses déclarations sur la base d'un faisceau d'indices qui sont les suivants : 99 personnes ont ont été arrêtées, 39 d'entre elles ont confié avoir participé à l'assassinat, et il y a eu tout un nombre de témoins. En plus, il y a des évidences et des preuves qui, selon les autorités, confirment que les étudiants ont été assassinés. Par exemple, l'un des os qui a été analysé par le laboratoire d'Innsbruck a permis l'identification d'un des 43 étudiants. Cela permet de dire qu'effectivement, les étudiants ont été assassinés et incinérés. Mais il n'y a rien de nouveau à cela.
On peut interpréter cette déclaration comme une façon de clore cette affaire qui pourri la situation au Mexique depuis quatre mois et qui ne plait pas au président. Le procureur dit que c'est une sorte de clôture du dossier pour que la justice puisse maintenant condamner les personnes responsables de ces actes.
- Que vont faire les familles des étudiants désormais ?
Les parents des victimes ont dit qu'ils ne croyaient pas à la thèse du ministère public et des autorités car, selon eux, il n'y a pas de preuve scientifique sur ce qu'avance le ministère. Ce qu'ils demandent aujourd'hui, c'est que le dossier ne soit pas clos. Le procureur a annoncé aujourd'hui que l'enquête continue.
Ils demandent également que les militaires soient interrogés car, selon les familles, ils seraient impliqués d'une manière ou d'une autre dans la disparition des étudiants.
La prochaine étape est la visite des casernes de l'armée. Ils veulent se rendre sur place car, selon eux, les jeunes ont été enlevés par les militaires. Et aujourd'hui, les familles imaginent deux options : soit ils sont retenus dans un camp militaire, soit ils ont été assassinés puis brûlés dans des crématoires dont certains se trouvent dans des casernes. Les parents ont obtenu l'autorisation de se rendre à la caserne d'Iguala mais pas ailleurs dans le pays.
Concernant les manifestations, elles vont continuer car l'affaire n'est pas close. Mais elles se tassent un petit peu, ce n'est pas comme en décembre. Il y a une certaine lassitude malgré la volonté des parents et de certains mouvements sociaux. Cela va être difficile de continuer à mobiliser la population qui s'est pourtant beaucoup investie.
- Ce crime a-t-il réellement changé quelque chose dans la société mexicaine ?
Cela est difficile à dire mais je crois que la peur s'est installée. Tout à coup, les gens se sont identifiés aux parents des victimes et ils se sont dit : "ça pourrait être nos enfants".
Je crois qu'il y a eu une sorte de choc, d'électrochoc dans la population de par le nombre d'étudiants et la découverte d'une réalité qui existait déjà : celle des fosses communes. De nombreuses fosses clandestines ont été découvertes près d'Iguala et cela démontre que des gens disparaissent, sont assassinés impunément et mis dans ces fosses. Iguala a été le révélateur de cette réalité que les gens ne connaissaient pas ou ne voulaient pas connaitre.