Deux ans jour pour jour après la disparition des étudiants d’Ayotzinapa dans le Guerrero, l’Etat mexicain maintient toujours sa version maintes fois démentie et les parents des victimes – soutenus par des experts internationaux - continuent de se mobiliser pour connaître la vérité. Rien n’aurait bougé, ce qui pousse la société civile à s’organiser pour trouver les disparus.
L’affaire des étudiants d’Ayotzinapa, 43 étudiants enlevés la nuit du 26 septembre 2014, a fait l’effet d’une bombe au Mexique. Si ce pays voit disparaître
au moins 11 personnes tous les jours , la jeunesse et la vulnérabilité des victimes a touché une corde sensible.
Quand l’implication du maire, de sa femme et de la police locale commence à se dessiner, les autorités fédérales ne peuvent que se saisir de l’affaire. Au fur et à mesure que l’enquête officielle avance, les parents des étudiants pointent du doigt les irrégularités du dossier présenté par le ministère de l’Intérieur. Celui-ci veut à tout prix faire passer les étudiants pour de violents trafiquants de drogues.
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Relire notre article : Mexique, où sont les étudiants d’Ayotzinapa ?« La vérité historique » du gouvernement Peña Nieto
Profondément agacé par la mobilisation autour de cette disparition et la pression internationale qui s’ensuit, le pouvoir d’Enrique Peña Nieto
présente début 2015 sa « vérité historique » : « Livrés par des agents municipaux corrompus, les étudiants ont été assassinés par les narcos de Guerreros Unidos, puis incinérés dans une déchetterie située à quelques kilomètres du lieu de la disparition. Les restes brûlés ont été jetés dans la rivière qui passe à côté de la déchetterie de Cocula».
Comme cette « vérité historique » ne tient pas la route, interviennent alors des médecins légistes argentins qui, à l’université d’Innsbruck en Autriche, analysent les restes retrouvés à la déchetterie et dans un sac plastique dans cette rivière. Leur rapport publié quelques mois après est accablant : « Il nous a été impossible d’identifier la totalité des restes et d’établir des profils génétiques ».
Cette affaire est loin d’être résolue Jan Jarab (représentant du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme)
Le groupe interdisciplinaire d’experts indépendants d’Ayotzinapa (GIEI) de la
Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH) a fini de clouer le cercueil de la vérité historique. Ce groupe, composé d’experts colombiens, guatémaltèques, espagnols, a repris l’enquête dès le début en signalant avec une précision millimétrique toutes les failles du dossier fédéral. Sa plus grande victoire est d’avoir confirmé sa crédibilité et sa légitimité face à un pouvoir politique et judiciaire inopérants.
Ce qui a profondément déplu au gouvernement qui a voulu entraver les avancés de ce groupe à plusieurs reprises. Après un dur conflit, celle-ci a été autorisée à opérer de nouveau au Mexique cet été et à commencer une toute nouvelle enquête que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme encourage.
« Cette affaire est loin d’être résolue, nous ne savons pas où se trouvent les étudiants et nous ne savons pas si les responsables seront punis » , a déclaré le 21 septembre dernier Jan Jarab , représentant de l’organisation internationale.
Cette nouvelle enquête pourra intégrer le travail indépendant d’un groupe de scientifiques de l’Université de Queensland en Australie. Début septembre 2016,
ils ont publié leurs travaux dans la prestigieuse revue Science .
« Il aurait fallu 27 tonnes de bois pour brûler 43 corps. Et même en faisant brûler tout ce bois, de la matière organique aurait résisté au feu. Il est invraisemblable que les auteurs du crime aient pu se procurer tout ce bois. Si cela avait été le cas, on aurait trouvé des traces d’un feu aussi gigantesque. Ce n’est pas ce qu’on a vu dans cette déchetterie » , explique l’expert en incendies, Jésus Torero, en charge de cette enquête scientifique.
Les charniers peuplent les environs d’Ayotzinapa
A ce jour, un seul étudiant a été identifié. Il s’agit d’Alexander Mora, 19 ans. Mais à l’abri des caméras, d’autres corps ont été identifiés. Quand les étudiants ont disparu, de nombreux membres de la communauté se sont organisés pour les retrouver. A la tête de ce groupe de recherche improvisé : l’Union des peuples et organisation de l’Etat du Guerrero (CUPOEG).
Une association de paysans très pauvres.
« Ils n’avaient pas où dormir, il fallait les nourrir, nous avons organisé toute la logistique pour les soutenir » , raconte – de passage à Paris- la psychologue Xitlali Miranda, qui a également participé aux opérations de recherche.
Dix jours après, ils trouvaient les premiers charniers. Mais ce n’étaient pas les étudiants. Les jours passent, Xitlali Miranda et ceux qui cherchent avec elle se rendent compte que les environs d’Iguala –une petite ville qui se trouve à côté de l’école d’Ayotzinapa- ne sont que charniers. Une épreuve très difficile
« mais nécessaire pour se rendre physiquement conscience de l’horreur. Les autorités n’ont pas réagi » , soupire-t-elle.
Et de poursuivre :
« Nous avons décidé de réunir les familles sur la place centrale d’Iguala pour qu’elles identifient les corps trouvés dans ces charniers. Mais les gens avaient peur. Nous avons essayé les églises mais les prêtres avaient tout aussi peur. Une seule chapelle nous a ouvert ses portes. Les familles s’y sentaient à l’abri et ont commencé à se livrer. On a pu réunir 150 personnes » .
Julia Alonso, directrice de
l’ONG Ciencia Forense ciudadana , est venue leur prêter main forte. Cette organisation propose des tests ADN pour identifier des victimes, ce qui devrait être normalement le travail des autorités. Pourtant, les parents des étudiants disparus refusent de chercher dans ces charniers car ils veulent trouver leurs enfants vivants. Ce groupe de recherche improvisé devient le 8 novembre 2014 un collectif :
« Les autres disparus » .
150 corps retrouvés
A ce jour, Xitlali Miranda, qui habite toujours à Iguala, et le collectif ont trouvé 150 corps, 24 en ont été restitués à leurs familles :
« La disparition des étudiants a crevé l’abcès. Quand quelqu’un disparaissait dans cette ville, les familles ne disaient rien de peur des représailles. C’était un faux havre de paix. On ne voyait un seul corps. Aujourd’hui, il n’y a plus de disparus. La violence est frontale. Les criminels arrivent et tuent en plein jour et ne s’embêtent plus à cacher les corps ».
« Si on dénonce un cas à la police, elle va dire invariablement que c’est une affaire de délinquants, un règlement de comptes, alors que c’est bien plus que cela. A moins que ce soit un cas retentissant lié à des puissants, le gouvernement n’a aucune intention de chercher des disparus », la psychologue regrette que les autorités continuent d’ignorer l’énorme problème qu’est la disparition forcée au Mexique.
Le souhait du collectif « Les autres disparus » est de faire converger l’enquête sur Ayotzinapa avec ses recherches car
« nous sommes convaincus que les responsables de la disparition de ces étudiants sont de mèche avec les responsables de toutes les autres disparitions » .
Mais Xitlali Miranda ne compte pas dessus. Elle ne compte que sur la volonté de la société civile. Depuis la création de son collectif, des dizaines ont vu le jour dans tout le Mexique. Un pays qui déplore
27 659 disparus , selon un rapport officiel.
«La disparition des étudiants d’Ayotzinapa a malheureusement fait avancer la cause des disparus dans le pays », affirme la jeune Mexicaine.
Exiger justice c’est se mettre en danger Xitlali Miranda, les autres disparus d’Iguala
Malgré les constantes menaces et la peur, la jeune psychologue et tous les membres du collectif entendent poursuivre leur quête
« sans jamais exiger justice, cela revient à se mettre en danger et représente une nouvelle violence pour les familles. C’est la violence administrative ». Les membres de l’association aident tout de même les familles des victimes à porter plainte et les accompagnent psychologiquement.
Iguala se trouve au carrefour de la détresse sociale et du trafic de drogues.
« Certaines familles pensent qu’il existe un camp de travail forcé dans les montagnes pour participer à la culture de l’opium. On n’a jamais confirmé ces dires car on ne peut pas s’aventurer dans ce territoire. En revanche, on est persuadés que des militaires sont liés à toutes ces disparitions », ajoute Xitlali Miranda.
Tout comme dans le cas des étudiants d’Ayotzinapa. Des militaires étaient sans doute présents cette nuit fatidique. Si leur implication est avérée, l’affaire prendra une toute autre tournure. Car celle-ci mettra une fois de plus en lumière les agissements abusifs auxquels se livrent ces militaires depuis le début de la « guerre contre le narcos » de Felipe Calderón en 2006 que son successeur n’a fait que poursuivre.
Les disparitions forcées, le fléau ignoré du Mexique
Au vu de l’ampleur de ce fléau dans le pays où on est allé jusqu’à découvrir un camp de disparitions forcées, (la prison de Piedras Negras tenu par le groupe criminel Los Zetas entre 2010 et 2012) le collectif
Paris-Ayotzinapa a décidé de centrer ses activités sur cette problématique.
« Même si une loi a été récemment votée on nie complètement le problème. On parle légalement de personnes ‘absentes’. L’élection présidentielle est prévue pour 2018, de nombreux candidats sont déjà en lise mais aucun ne mentionne ce problème », regrette Esmeralda (elle ne tient pas à communiquer son nom de famille), membre du collectif parisien.
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Relire notre article : Le Mexique et la France scellent leur réconciliation aux dépens des droits de l’Homme« Comme nous l’avons fait pour le cas Ayotzinapa, nous souhaitons que la France prenne conscience de cet aspect du Mexique et que ses les relations diplomatiques entre Paris et Mexico soient conditionnées au respect des droits de l’Homme dans notre pays », ajoute Marco également membre du collectif Paris-Ayotzinapa.
Ce n’est pas gagné pour l’instant. Ce qui est sûr c’est que le pouvoir mexicain campe sur sa position. Deux semaines avant le second anniversaire de la tragédie, le très critiqué responsable de l’enquête d’Ayotzinapa,
Tomás Zerón, a démissionné de son poste de directeur des enquêtes criminelles au sein du ministère. En échange, il a obtenu un prestigieux poste en tant que secrétaire technique du Conseil national de sécurité.
« Une insulte », selon les parents des étudiants.
La combativité des étudiants d’Ayotzinapa
Dans le très pauvre Etat du Guerrero (sud) les « normalistes » sont connus pour leur mobilisation, parfois musclée, quand il s’agit de défendre leur école Isidro Burgos. Celle-ci forme des étudiants très pauvres qui, une fois enseignants, iront transmettre leur savoir dans les écoles rurales les plus reculées.