Fin septembre 2014, 43 élèves et enseignants de l’Ecole normale Ignacio Burgos d’Ayotzinapa dans l’Etat du Guerrero disparaissent. Neuf mois après, leurs parents restent sans réponses et les autorités font toujours blocage à une enquête approfondie. La visite du président mexicain Enrique Peña Nieto à Paris, à l’occasion des célébrations du 14 juillet, devrait braquer à nouveau les projecteurs sur cette affaire qui a mis au jour tous les maux du pays.
« Ils les ont emmenés vivants, vivants nous les voulons. » C’est le leitmotiv des parents des 43 étudiants disparus depuis presque un an à Iguala dans l’Etat du Guerrero, au Mexique. Si l’emballement médiatique international des premiers jours est retombé, tous les collectifs de soutien ainsi que les organisations de défense des droits de l’Homme se rappellent, sans cesse, au bon souvenir des autorités mexicaines. Car cette affaire des 43 étudiants disparus reste l'une des plus sanglantes et des plus révoltantes du pays, depuis 1968. Même si les disparitions forcées et les massacres (
de migrants centraméricains) font partie du quotidien des Mexicains.
Eprouvés psychologiquement et physiquement affaiblis, les parents des étudiants subissent chaque rebondissement. Ils doivent même faire face aux tentatives du gouvernement de les amadouer. Lors d’un récent rassemblement pour marquer les huit mois de la disparition des leurs, ils ont affirmé que ce dernier avait essayé de les diviser en leur proposant de l’argent ou de nouveaux logements.
« Comme le président n’a pas de sentiments il pense que nous allons accepter de baisser les bras. Mais nos enfants n’ont pas de prix »,
s’indigne le professeur Felipe de la Cruz qui ajoute :
« Ils disent nous avoir fait ces propositions pour surmonter la douleur et commencer à oublier ».
Étudiants « anticonformistes »
Mais ces parents n’oublient pas que dans la nuit du 26 au 27 septembre leurs enfants ont été victimes d’une violente attaque. Ils ont été pris pour cible alors qu’ils avaient
« volé » deux bus pour mener à bien leur mobilisation. L’
« emprunt forcé » de véhicules faisait partie de leurs méthodes radicales pour se faire entendre. Car dans l’école Normale Ignacio Burgos, ils apprenaient non seulement à enseigner pour devenir instituteurs dans les zones rurales mais
aussi l’art de la contestation. Cet établissement public,
la bête noire des autorités locales et fédérales, est historiquement un vivier de figures «
anticonformistes qui défendent les intérêts des minorités indigènes» entre autres.
Ce sont des policiers corrompus de Cocula (municipalité située à quelques kilomètres d'Ayotzinapa), sous les ordres de
l’ex-maire d’Iguala en lien étroit avec les trafiquants de drogue du cartel Guerreros Unidos, qui les a criblés de balles. La police les a ensuite livrés à des tueurs du même cartel qui les ont massacrés puis brûlés.
C’est du moins la version officielle basée sur le témoignage d’un seul homme : « el Cepillo » ou « La brosse ». Arrêté en janvier 2015, Felípe Rodríguez Salgado a avoué qu’avec l’aide d’une poignée de complices, il avait tué par balles 15 étudiants et que les autres étaient morts d’asphyxie dans les fourgons dans lesquels ils avaient été transportés. Les ravisseurs les auraient ensuite brûlés puis jeter leurs restes dans une rivière. Au moins, 280 agents de la police municipale d’Iguala, ont été arrêtés, dont 21 formellement inculpés pour leur implication dans ce crime.
Faux aveux
Cet épilogue est loin de convaincre les proches des étudiants d’Ayotzinapa, la société civile et des organismes internationaux. Les faux aveux sont monnaie courante au Mexique. Et pour en arracher un à un suspect, il existe deux moyens : l’accord financier ou la torture.
Tortures au Mexique
Toutes les statistiques concernant les droits de l’Homme au Mexique sont décourageantes. Mais les derniers chiffres publiés par Amnesty international sont accablants. Selon l’ONG, les cas de torture ont connu une augmentation de 600% lors de la dernière décennie. Entre 2005 et 2013 à peine sept personnes ont été condamnées. Les narcos et la torture sont étroitement liés. Pourtant, ce qui inquiète le plus les observateurs internationaux est le recours à la torture pour obtenir des aveux. La police est particulièrement pointée du doigt.
En annonçant le décès des étudiants au mois de janvier, le gouvernement du très critiqué Enrique Peña Nieto espérait clore cet épisode fortement déstabilisant pour son gouvernement. Le ministre de la Justice, Jesús Murillo Karam protagoniste de cette triste saga, a été remplacé au mois de mars par Arely Gómez et l’affaire a mis en danger l’omniprésence du parti au pouvoir, PRI, lors des élections locales du mois de juin. Le mandataire espérait aussi redorer son blason sur la scène internationale en affichant un système policier et judiciaire performants. Raté, l’acharnement des parents, des ONG, et les constantes manifestations au Mexique ont évité que l’affaire ne soit balayée sous le tapis de l’impunité.
Les défenseurs des droits de l’Homme s’accrochent à plusieurs éléments que l’enquête a ignorés. Tout d’abord, le témoignage du père Solalinde. Ce prêtre connu pour son engagement dans la défense des migrants clandestins. Au mois d’octobre dernier, il assurait que des témoins des faits étaient venus le voir pour lui confier que les narcos n’auraient rien à voir avec la disparition des jeunes hommes.
Ces témoins accablent plutôt des agents de l’Etat qui auraient brûlé les étudiants vivants. Trop détériorés, il a été impossible, pour l'instant, d’identifier les restes retrouvés dans un charnier, et encore moins, de déterminer les circonstances de leur décès. Seul
un étudiant disparu a été identifié parmi ces restes dans un laboratoire européen.
Deuxième élément : des militaires étaient présents lors du massacre. Si leur implication était avérée, l’affaire prendrait une toute autre tournure. Car celle-ci mettrait une fois de plus en lumière les agissements abusifs auxquels se livrent les militaires depuis la guerre contre le narco de Felipe Calderón en 2006. Plus de 80 000 personnes sont mortes depuis. Des agissements qui perpétuent une ancienne pratique de répression dans le sud du pays où les faits se sont déroulés.
Gardés à vu torturés
Pour explorer cette piste, une commission indépendante a été mandatée par la Commission interaméricaine des droits de l’Homme. Sauf que les cinq spécialistes chargés de passer au peigne fin toute l’enquête fédérale ne peuvent pas faire leur travail en toute liberté car 47% de l’information nécessaire n’a pas encore été fournie par les autorités,
signale Animal Político.
Il y a trois mois, ils ont demandé d’interroger les militaires qui auraient tout vu, mais
cela n’a pas été possible. En revanche, ils ont pu rencontrer 40 suspects qui avaient été arrêtés. Ils ont tous été assurés avoir été torturés. Ils ne sont pas les seuls. Un des étudiants qui avait été retrouvé mort le jour même de l’attaque avait également été torturé avant sa mort. «
Les preuves scientifiques indiquent que ce corps a subi des sévices », a affirmé un des experts, Carlos Beristain.
Afin de poursuivre leur enquête, les experts de la commission demandent aux autorités mexicaines bien évidemment de cesser de faire obstruction à leur démarche. Ils demandent également les photos satellite que la police du Guerrero a prises. Mais les enquêteurs savent que, quoi qu’il arrive, l’enquête est viciée puisque des pièces à conviction essentielles n’ont pas été préservées. Les bus où la première fusillade s’est produite sont de nouveau en circulation dans les rues d’Iguala, par exemple.
Tous les maux du Mexique concentrés en une affaire
Malgré les nombreuses zones d’ombre des vérités ont pu être établies : le lien entre les autorités locales du Guerrero et les narcos, le lien entre la police locale et la mafia. D’ailleurs, le président Peña Nieto a été dans l’obligation de
mettre en place un plan de lutte contre la corruption au sein de la police municipale. Une autre vérité a éclaté au visage du pouvoir en place : le fléau que représente les
« disparitions forcées ». Depuis 2006, 23 000 personnes sont disparues au Mexique. Enfin, les fouilles menées dans les alentours d’Iguala et de Cocula ont montré que des centaines de corps non identifiés gisaient dans des fosses communes témoignant de ce que les Mexicains appellent les "exécutions extrajudiciaires".
C’est avec ces lourds bagages que le président Enrique Peña Nieto prendra l’avion dans quelques jours pour assister aux commémorations du 14 juillet à Paris. Quelle sera la réponse de François Hollande ? Conscient des
relations houleuses que les deux pays ont récemment entretenues, on peut deviner que tout l’art de la rhétorique diplomatique sera déployé pour ne pas froisser l’invité. Mais ceci ne garantit pas pour autant une visite sans encombres.
Des associations, des personnalités politiques ainsi que des intellectuels mexicains et français viennent de
signer une lettre où ils demandent au président Hollande de condamner publiquement
« les disparitions forcées, la torture et les exécutions extra-judiciares au Mexique ». Ainsi des associations de Mexicains de France ont appelé à manifester pendant cette visite. Des deux côtés de l’Atlantique, la mobilisation ne faiblit pas.