Fil d'Ariane
Le droit maritime international est très précis : La Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer prévoit qu'un capitaine de navire qui reçoit un message de détresse doit porter secours aux personnes concernées. "Par personne en détresse, on entend toute personne qui risque la noyade et nécessite en urgence un sauvetage en mer", explique Patrick Chaumette, professeur de droit à l'Université de Nantes.
La Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes (1979) précise, elle, les obligations des Etats. "Elle organise tout le maillage des systèmes géographiques. Par cet accord, les Etats sont en charge de zones phares pour la recherche et les secours en mer et doivent installer des centres de coordination ou MRCC - Maritime Rescue Coordination Centers- avec les moyens de surveillance", souligne le professeur. Ce sont les zones de sauvetage bordant la Méditerranée comme le MRCC de Rome, de Malte...
Enfin, une autre convention, celle des Nations Unies sur le droit de la mer (1982) existe mais elle reste "très générale au niveau des principes", selon Patrick Chaumette.
.Finally, @MV_LIFELINE arrived in the port! Donate now for our next rescue missions: https://t.co/CWHWb1pTCv pic.twitter.com/h7Ep9OvTg5
— MISSION LIFELINE (@SEENOTRETTUNG) 27 juin 2018
Le droit maritime international comporte quelques lacunes : il ne définit pas quel Etat doit organiser le débarquement sur son sol. "Sur ce point, il n'y a pas d’obligations spécifiques, les conventions maritimes sont silencieuses en matière d'accueil sur la terre ferme", rapporte Patrick Chaumette.
C'est pourtant la question qui divise aujourd'hui les dirigeants européens. Qui est responsable de l'accueil des naufragés ? Patrick Chaumette résume la situation : "Selon le droit international, on doit les sauver mais on n'est pas obligé de les accueillir."
Mais depuis 2004, des amendements apportés aux deux principales conventions maritimes exigent clairement des Etats de permettre aux capitaines de débarquer les personnes secourues en un lieu sûr et ce, dans un délai raisonnable. "L'Etat dont le centre de coordination de secours (MRCC) a pris en charge et coordonné le sauvetage en a l'obligation", explique Patrick Chaumette. "Malte est le seul pays à ne pas avoir ratifié ces amendements, contrairement à l'Italie", précise-t-il.
Mais qui dit lieu sûr ne dit pas forcément l'un de ses ports. Ce que confirme Céline Schmitt, porte-parole du Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR). Elle précise: "L'Etat a bien l'obligation de secourir les personnes en détresse et de les conduire vers un lieu sûr mais pas de les amener sur son sol. C'est sur ce point sensible qu'il faut trouver des solutions, comme mettre en place des mécanismes prévisibles de débarquement."
Et de s'inquiéter: "Le risque maintenant, c'est que les bateaux commerciaux n'osent plus faire de sauvetage en mer car ils n'ont pas la certitude de pouvoir débarquer les personnes sauvées quelque part."
UPDATE L'#Aquarius s'est vu refuser l'entrée dans les eaux territoriales maltaises et le port de la Valette pour un simple changement d’équipage et pour son réapprovisionnement, sans explications. @SOSMedFrance exprime son incompréhension et sa perplexité face à cette décision. pic.twitter.com/2u5zSg1vlI
— SOS MEDITERRANEE France (@SOSMedFrance) 26 juin 2018
Dans cette crise des migrants, les pays européens se dérobent à leurs obligations et jouent la parade, comme le rappelle Patrick Chaumette : "Il n'y a pas de vérité juridique, tout est question d'interprétation."
Du reste, les Etats ont une obligation de coopération pour trouver un lieu de débarquement en toute sécurité. Le droit international et le droit européen l'exigent.
Le Traité de l'Union européenne oblige de respecter "le principe de non-refoulement" pour "tout ressortissant d’un pays tiers nécessitant une protection internationale". Enfin, quel que soit le port, "il faut porter assistance aux personnes sauvées en mer", explique Céline Schmitt.
Se pose ensuite la question de leur statut : "La Convention de Genève sur les réfugiés s’applique alors aux personnes qui ont besoin de la protection internationale. Il faut qu’elles aient accès à la demande d’asile si elles le souhaitent." Selon le règlement de Dublin, c’est le premier Etat qui enregistre l’arrivée d’un migrant sur le sol européen qui est responsable de cette demande d'asile. Aujourd'hui, l'Italie se retrouve en première ligne.
En théorie, les pays européens ont adopté le principe de se répartir les demandeurs d’asile au prorata de leur population. Mais dans les faits, aucun quota n’a encore été fixé.
La porte-parole du HCR plaide pour davantage de solidarité :"Il faudrait organiser des plateformes de débarquement pour accueillir les migrants... les aider en urgence, évaluer les situations et les répartir vers l'UE... Il faut une véritable coopération entre tous les Etats européens et pas qu'un Etat - ou deux - gère l'accueil des migrants en Méditerranée, comme c'est le cas aujourd'hui."
C'est dans ce sens que semble aller l'accord européen arraché à Bruxelles. Du moins dans ses intentions.