Migrants : la solidarité venue de Facebook

Depuis quelques semaines, des groupes de jeunes se lancent des défis sur le réseau social afin de préparer et distribuer des repas aux migrants. Cette initiative citoyenne née en banlieue prend de l’ampleur. Reportage à Carrières-sous-Poissy, dans les Yvelines, et place de la Bataille-de-Stalingrad à Paris.
Image
grand défi migrants stalingrad
Distribution de repas aux migrants, place de la Bataille-de-Stalingrad à Paris. Octobre 2016.
©Amélie Revert/TV5MONDE
Partager 5 minutes de lecture
grand défi migrants stalingrad 2
Niclette prépare des beignets dans sa cuisine pour les migrants du camp de Stalingrad. Carrières-sous-Poissy, octobre 2016.
©Amélie Revert/TV5MONDE
L’huile frémit dans les énormes marmites, crépite au contact de la pâte à beignet. Mariette, Candice et Niclette s’activent dans la cuisine de cette dernière depuis midi. Ce soir, avec plusieurs amis, elles distribueront une centaine de repas chauds et complets aux migrants qui s’entassent place de la Bataille-de-Stalingrad, dans le 19e arrondissement.

Au menu, bœuf bourguignon, sandwich au thon, chips, beignets, mandarine, gâteau et eau. De leur côté, dans le salon, Lisa et Laurie trient les vêtements qu’elles ont récoltés. Un tas pour les enfants, un pour les femmes et un autre pour les hommes. La distribution doit être efficace.

« Il est 17 heures. Va chercher la sauce Mohamed, s’il te plaît ! » presse Mariette qui filme en direct sur Facebook les préparatifs. Il faut encore mettre en barquettes individuelles le bœuf bourguignon avant le départ, prévu deux heures plus tard. Si la bande d’amis se décarcasse pour que les migrants aient moins faim et froid ce soir, c’est grâce à Mohamed. Ce dernier connaît Malik Diallo, à l’origine du Grand Défi lancé sur Facebook fin septembre dans les quartiers de Sarcelles. C'est lui qui lui a suggéré de lancer l’initiative à Carrières-sur-Poissy (Yvelines). Un succès. A ce jour, la page Facebook totalise près de 3000 mentions j’aime.

Une évidence humanitaire

Mais Mohamed considère que son action est bien plus qu’un challenge. « Malik Diallo a lancé le Grand Défi, mais j’aurais pu organiser une maraude moi-même. Vous savez, je suis chauffeur-livreur et je passe souvent à Stalingrad. Il y a des sans-abri partout. C’est choquant ! » Il ne pouvait donc pas rester sans rien faire face à l'inertie de l'Etat. « Pour moi c’est normal d’aider les autres. L’instinct de solidarité, soit on l’a, soit on ne l’a pas. Et moi, comme beaucoup de jeunes de banlieue, j’ai grandi dans le partage » confie le Carriérois de 27 ans.

 
grand défi migrants stalingrad 3
Aimé et Inès bouclent les préparatifs avant de partir pour Paris. Carrières-sous-Poissy, octobre 2016.
©Amélie Revert/TV5MONDE
Sans difficulté, il parvient donc à mobiliser ses amis. Ils sont une quinzaine à prendre la route pour Paris, coffres chargés à ras bord de vêtements et de nourriture. Aimé, 26 ans, fait partie de la joyeuse bande : « Tous ceux qui sont là ce soir font l’effort de venir pour aider ceux qui ont encore moins qu’eux. Certains ont ramené des gâteaux, d’autres des vêtements. Quand on dit que c’est ceux qui ont le moins qui donnent le plus, ça prend son sens. » 

Il faut aussi dire que la troupe n’a reçu aucune aide financière. Le combat est citoyen et complètement désintéressé même s’il coûte cher aux amis. « On ne fait pas ça pour s’acheter une bonne conduite, mais pour aider son prochain. On s’est débrouillé à la hauteur de nos petits moyens pour venir en aide aux sans-abris » insiste Aimé. « Nous ce qu’on fait, c’est pour montrer qu’on a du cœur. Je préfère investir 100 euros pour aider ces gens que pour sortir, par exemple » renchérit Mohammed. 

Une distribution chaleureuse

Il est 21 heures. Le convoi approche de Paris. Aimé est lucide, sans appréhension particulière. « Honnêtement, on ne pourra pas aider tout le monde c’est sûr. On sera peut-être déçu mais au moins l’intention est là. Je pars dans l’optique de faire une bonne action. J’essaie de ne voir que le positif. » Mohamed, lui, a envie « de voir des sourires » ce soir.

Les voitures se garent en double-file avenue de Flandre, à proximité de la place de Stalingrad. Aimé, Mohamed, Mariette et leurs amis essaient de trouver un endroit où les migrants n’ont pas reçu l’aide alimentaire d’associations présentes ce soir. La distribution peut commencer. Rapidement, une foule se crée autour d’eux. Sacs repas et vêtements partent en quelques instants. Les migrants ont le sourire aux lèvres. Certains entament même une danse pour remercier la troupe de Carrières-sous-Poissy. 
 
Aimé revient à sa voiture afin de distribuer les derniers repas. Lui qui était confiant en arrivant avoue être dépassé. « Je n’imaginais pas ça comme ça. Il y a énormément de monde. On n’aura pas assez. C’est dérisoire ce qu’on a fait… » La Ville de Paris estime en effet que le camp de Stalingrad compte 2500 migrants au 31 octobre 2016. C’est huit fois plus que ce qu’il imaginait. 

Il est 22h30. Il ne reste plus rien, mais un migrant vient demander de l’aide. Il a faim. Mariette ne peut pas résister à cette détresse et l’emmène au snack du coin. « Tu veux manger du poulet ? Allez viens avec moi. Les autres, attendez-moi, je reviens ! » lance-t-elle à ses camarades. 

Une seconde opération ?

grand défi migrants stalingrad 4
Les migrants dansent pour remercier les amis de Carrières-sous-Poissy. Paris, octobre 2016.
©Amélie Revert/TV5MONDE
Mohamed admet que la journée a été stressante « mais ça fait plaisir de les voir sourire et danser ». Finalement, tout s’est bien passé. « Si tout le monde se donne la main comme ça, on va réussir à faire quelque chose » poursuit-il. Devant le succès de l’opération, le Carriérois est ainsi prêt à réitérer l’expérience. « Il n’y a pas encore de date fixée, mais mes proches me poussent à poursuivre le combat avec les sans-abri », qu'ils soient migrants ou SDF. Son ami Aimé n’exclut d’ailleurs pas une levée de fonds, voire la création d’une association pour pérenniser leur action.

En attendant sa prochaine distribution, Mohamed a, à son tour, invité ses amis des villes de Plaisir, Chanteloup-les-Vignes (Yvelines) et Créteil (Val-de-Marne) à faire de même. La solidarité a encore de beaux jours devant elle.