Les dirigeants européens se sont réunis à Bruxelles, les 26 et 27 juin, pour parler de la crise des migrants en Méditerranée. Ils n’ont pas réussi à trouver d’accord sur les quotas obligatoires concernant les demandeurs d’asile et ont décidé de durcir les conditions d'accueil des migrants. Explications.
« Ou vous êtes solidaires, ou vous ne nous faites pas perdre notre temps », a lancé le chef du gouvernement italien, Matteo Renzi, jeudi 25 juin, lors du sommet des 28 à Bruxelles. Il réagissait à l’absence de consensus par des Etats membres concernant la proposition de quotas imposés pour la répartition de 40 000 demandeurs d’asile et réfugiés arrivés en Grèce et en Italie ces derniers mois. Les pays de l'UE devaient aussi arriver à l'accueil de 20 000 réfugiés originaires de Syrie et d'Erythrée venus des camps gérés par le Haut commissariat aux réfugiés (HCR).
"L'Europe n'est pas à la hauteur des ambitions qu'elle déclame", a regretté Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne. Ce projet européen des quotas vise à imposer aux Etats de se partager la prise en charge des demandeurs d’asile arrivant de zones de conflits. Le but est de soulager les deux pays les plus exposés aux arrivées de migrants. Ce projet fait suite au plan en dix points présenté par les dirigeants européens lors du sommet extraordinaire sur les migrants en Méditérannée, en avril dernier
(voir notre article). Répartition volontaire
Mais de nombreux pays comme la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie ou la République Tchèque souhaitent que la répartition se fasse sur la base du volontariat de chaque pays.
« Un mécanisme volontaire ne peut être une excuse pour ne rien faire », a averti Donald Tusk, le président du Conseil européen, jeudi 25 juin. Et d’ajouter :
« une solidarité sans sacrifices, c’est de l’hypocrisie ». Aucune obligation ne figurait dans le projet de conclusions soumis aux chefs d’Etats européens, selon l’AFP qui en a obtenu une copie.
« Si vous voulez une base volontaire, si c’est ça votre idée de l’Europe, alors gardez-la pour vous. Nous nous débrouillerons seuls », s’est exclamé Matteo Renzi lors du débat.
Outre ce choix du volontariat, durant ce dernier sommet de Bruxelles, les responsables européens ont décidé de durcir les conditions d'accueil des migrants: création de centres de tri pour réfugiés et accélération des expulsions pour les recalés au droit d'asile. Le tri entre les migrants a été demandé par Paris dans le cadre de la lutte contre l'immigration irrégulière.
"Je suis gêné" par ce durcissement, a confié Martin Schulz, le président du Parlement européen.
Le « plan B » de Matteo Renzi
Sans accord avec ses homologues européens concernant la répartition des demandeurs d’asile, le chef du gouvernement italien pourrait dégainer son
« plan B ». Il consisterait en la délivrance des permis temporaires aux demandeurs d’asile qui pourraient circuler librement à travers l’Europe. Une solution qui pourrait jeter un froid entre l’Italie et les Etats membres.
Quatre questions à...
Jean-François Dubost, responsable des questions d'asile et d'immigration pour Amnesty International France.
- Les Etats membres de l'UE n'ont pas trouvé de consensus concernant la répartition obligatoire des demandeurs d'asile. Qu'est-ce que cela traduit ?
Cela montre qu’il y a un problème de solidarité et que la solidarité contraignante n’existe pas. Si l'on reste sur une base volontaire, cela veut dire que les Etats d’une certaine portion du territoire européen -les plus à l’abri de l’arrivée des migrants- ne se sentent pas suffisamment concernés par les drames qui se jouent aux frontières et le poids qui pèse sur certains pays.
Dans l'idée de la Commission européenne, les personnes qui devaient être accueillies sont, a priori, certaines d'obtenir le statut de réfugiés car elles sont de nationalités syrienne et érythréenne. Ces nationalités sont reconnues comme étant éligibles à une protection internationale.
- Quel est le problème alors ?
Le problème est-ce le nombre de personnes à accueillir ? Je ne pense pas car cela ne représente que quelques milliers de personnes. Je pense que c’est plus un problème de conception et d’idée plutôt que l’aspect opérationnel. C’est comme quand la France dit qu’elle ne veut pas réinstaller des réfugiés syriens sur son territoire. Matériellement et financièrement, c’est faisable. C’est juste un souci de conception, de lien avec l’opinion publique, de questions intérieures, de politique. Mais c’est très décevant.
Cette situation n’est que la continuité de ce qui s’est toujours passé sur ces questions là. La Grèce et l’Italie sont des Etats en première ligne. Il y a rarement eu des signes flagrant de solidarité à leur égard. Même quand les systèmes disfonctionnaient complètement, les autres Etats continuaient à envoyer des demandeurs d’asile en vertu des règles européennes.
Donc ce n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau c’est l'action de la Commission. Si pour certains elle a agi timidement, elle a quand même posé les choses à plat pour montrer clairement qu’il existait des solutions. Ce qui est intéressant, c’est qu’on voit que ce sont les Etats membres et leur souveraineté qui viennent bloquer le système européen.
- Que faire maintenant ? Quelle est la solution au sein de l'UE ?
Je pense qu’il faut attendre les engagements concrets qui doivent être pris d’ici fin juillet par chacun des Etats. Ils vont devoir dire s’ils sont volontaires ou pas pour accueillir ces demandeurs d'asile.
Il n'est pas impossible qu'il y ait une différence de posture entre un non catégorique à la sortie du sommet, ou interprété comme tel, et finalement un accord partiel, d'ici fin juillet, sur le nombre de personnes concernées. Il faut attendre.
Le sujet de la relocalisation (répartition des demandeurs d'asile, ndlr) a concentré beaucoup d’intérêt ces dernières semaines, mais il y a aussi beaucoup d’autres mesures qui sont nécessaires pour les migrants.
Amnesty International reconnait que c’est une des clefs mais ce qui nous importe le plus c’est que l’UE renforce son assistance financière, opérationnelle et technique pour tous les Etats qui sont en première ligne. Nous demandons également une liberté de mouvement pour les personnes qui bénéficient d’une protection.
- Matteo Renzi a tapé du poing sur la table lors du sommet. Pourrait-il mettre en application son "plan B", la délivrance de visa temporaire, et exercer une pression sur les autres Etats membres ?
L’Italie l’a déjà fait au moment des Printemps arabes et de la révolution en Tunisie. Un certain nombre de Tunisiens s’étaient vu remettre un titre de séjour temporaire qui leur permettait de circuler dans l’espace Schengen. Mais c’était à plus petite échelle.
L’Italie fait pression. Est-ce qu’elle ira jusqu’au bout ? Cela dépendra aussi de la situation intérieure du pays. Mais s'il met son plan en application, cela risque d’entraîner ce qui s’était passé à l’époque sous le mandat de Nicolas Sarkozy : la fermeture temporaire des frontières aux points de passage avec l’Italie. Cela avait ensuite entraîné un aménagement des cas dans lesquels on pouvait rétablir le contrôle des frontières dans le cadre de l’espace Schengen. Il y avait eu tout un débat enflammé autour de ces questions là.
Nous sommes un territoire unique -certes, avec 28 Etats membres- mais nous avons des règles communes et une liberté de circulation qui implique la solidarité et la responsabilité partagée. Le monde traverse une crise des réfugiés et c’est quand même triste de voir que pour quelques dizaines de milliers de personnes, les Etats européens n’arrivent pas à se mettre d’accord. C’est stupéfiant.