Le parquet espagnol a classé vendredi 23 décembre son enquête sur la mort d'au moins 23 migrants africains. Ils avaient tenté de pénétrer fin juin dans l'enclave de Melilla. Le drame avait provoqué l'indignation internationale.
Selon le ministère public, le parquet n'a "
pas identifié de signes de délit dans les agissements des agents des forces de sécurité" espagnoles. D'après son communiqué, "o
n ne peut pas conclure que l'action des agents ait augmenté le risque pesant sur la vie et l'intégrité physique des migrants et on ne peut donc pas les inculper d'homicide involontaire".
S'alignant sur la position défendue depuis des mois par le ministre de l'Intérieur Fernando Grande-Marlaska, le parquet évoque une "
attitude constamment hostile et violente" des migrants "
envers les agents marocains et espagnols".
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Aucun des agents (espagnols)
n'a eu connaissance" de la chute de migrants les uns sur les autres depuis la clôture séparant l'enclave du Maroc "
et de ses conséquences fatales". Ils n'auraient pas su "
qu'il y avait des personnes en situation de risque qui nécessitaient de l'aide".
Il précise toutefois avoir transmis aux responsables des forces de sécurité des éléments pour d'éventuelles poursuites disciplinaires contre des agents suspectés d'avoir jeté des pierres sur des migrants.
(Re)lire : Vendredi noir à Melilla : un "massacre" de migrants à la frontière entre le Maroc et l'Espagne ? Interrogations de députés
Selon
El Pais, premier quotidien généraliste du pays, "c
e classement de l'enquête (...) a
pporte une bouffée d'oxygène au ministre de l'Intérieur". Il était appelé à la démission par l'opposition mais aussi par des formations soutenant le gouvernement du socialiste Pedro Sanchez.
Cette décision du parquet soulève toutefois des interrogations relatives à son indépendance. "
Tout cela a-t-il été une simple simulation pour pouvoir dire qu'une enquête a déjà eu lieu?", s'est interrogé Jon Inarritu, député de Bildu, parti de la gauche séparatiste basque qui soutient l'exécutif au Parlement.
Selon le député, cette conclusion pourrait aussi éviter "
d'indisposer le Maroc", avec qui Madrid a renoué après une grave crise diplomatique.
Ismael Cortes, député de Podemos, allié des socialistes au sein du gouvernement, a jugé que ce classement était "
une occasion perdue" de faire la lumière sur "
la plus grande tragédie de l'histoire ayant eu lieu sur une frontière espagnole".
"Tuerie de masse"
Le 24 juin, près de 2 000 personnes migrant clandestinement, en majorité originaires du Soudan, avaient tenté de pénétrer dans l'enclave de Melilla, située sur la côte nord du Maroc.
Selon les autorités marocaines, au moins 23 migrants sont morts dans cette tragédie. Cela représente le bilan humain le plus lourd jamais enregistré lors des tentatives d'entrées de migrants dans cette enclave ou dans celle de Ceuta. Ceuta et Melilla constituent les deux seules frontières de l'Union européenne sur le continent africain.
(Re)lire : Migrations : comment l'enclave de Melilla est-elle devenue un des principaux points de passage vers l'Europe ? Ce drame avait provoqué l'indignation internationale. L'ONU a dénoncé un "
usage excessif de la force" des autorités marocaines et espagnoles. Amnesty International avait qualifié cette tragédie de "
tuerie de masse" et accusé Rabat et Madrid de vouloir "
couvrir leurs meurtres" en "
dissimulant" la vérité.
"
Certaines actions des agents espagnols et marocains, comme frapper des personnes immobilisées (...),
refuser des soins médicaux d'urgence aux personnes blessées, l'usage répété de gaz lacrymogène contre des personnes se trouvant dans un espace clos dont elles ne pouvaient s'échapper, peuvent constituer une violation du droit à ne pas subir de torture et autres mauvais traitements", avait dénoncé mi-décembre l'ONG.
Amnesty, comme des experts indépendants nommés par le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, évoquent un bilan d'au moins 37 morts.
(Re)voir : Maroc : indignation et colère après la mort d'au moins 23 migrants à Melilla
Deux enquêtes publiées en novembre par la BBC et le consortium européen Lighthouse Reports, auxquelles ont participé les quotidiens
El Pais et
Le Monde, avaient dénoncé la brutalité des forces marocaines et questionné l'action des forces espagnoles. Elles avaient notamment conclu à la mort d'au moins un migrant en territoire espagnol.
Le ministre de l'Intérieur espagnol l'a catégoriquement nié à plusieurs reprises. Le Défenseur des droits espagnol, qui enquête aussi sur ces faits, a toutefois jugé que les explications du ministère de l'Intérieur n'avaient "
pas été suffisantes" jusqu'ici.