En dépit de l’hiver et des renforcements de contrôles aux frontières, les migrants ne cessent d’arriver à Calais. Dans la « jungle », femmes, hommes et enfants vivent toujours dans de très mauvaises conditions en attendant de passer vers l’Angleterre.
« Heureusement il ne fait pas excessivement froid mais il pleut beaucoup, et les gens vivent dans la boue », constate Maya Konforti de l’Auberge des migrants. L’association qui travaillait encore avec 10 bénévoles par jour en août dernier, mobilise aujourd’hui entre 50 et 120 personnes par jour. « Des Anglais en majorité venus à Calais pour 3 ou 6 mois afin d’aider les migrants », explique Maya Konforti.
C’est grâce à leur aide que l’Auberge des migrants a pu construire plus de 650 abris ces trois derniers mois et sert plus de 2000 repas jour. « Mais ils ont toujours besoin de chauffage, de lumière car ils s’éclairent avec leurs téléphones portables, davantage d’abris, de la nourriture, des couvertures, des tentes car on a toujours de nouveaux arrivants avec de plus en plus de familles », précise Maya Konforti.
Centres d’accueil
De 6 000 migrants cet été, ils seraient au moins 4 500 à vivre encore dans ce camp de fortune près de Calais. Cette baisse serait due au passage de certains en Angleterre mais aussi au départ de 1 500 demandeurs d’asile et de réfugiés vers des « centres d’accueil et d’orientation » (CAO) ouverts un peu partout en France fin novembre sur demande du gouvernement.
« C’est la première fois qu’un gouvernement propose une mise à l’abri inconditionnelle pour les exilés... Même si ce n’est pas assez et que c’est difficile à organiser », observe Véronique Devise, présidente du Secours catholique Pas-de-Calais. Mais la mise en place de ces CAO est loin d’être une situation pérenne. « A la fin de la trêve hivernale fin mars, que se passera-t-il ? » s’interroge Véronique Devise qui craint un nouvel afflux de migrants au printemps quand la météo sera plus clémente.
Toujours de nouveaux arrivants
Régulièrement de nouveaux migrants continuent d’arriver même en plein hiver. « Beaucoup veulent encore partir en Angleterre, raconte Maya Konforti. Leur famille et amis qui ont payé pour le voyage s’accrochent à ce rêve ou à cette illusion…comme vous voulez. Et c’est difficile d’abandonner un rêve. »
Ils sont souvent Sud Soudanais, Érythréens ou Afghans. Mais ces deux derniers mois, les ONG sur place ont constaté parmi les nouveaux arrivants de plus en plus de familles syriennes, kurdes d’Iran ou d’Irak (Lire en encadré ci-dessous) mais aussi des bédouins du Koweit. « Ces familles sont beaucoup plus vulnérables », s’inquiète Maya Konforti qui a rencontré il y a peu de temps un famille afghane dont la mère était enceinte de 8 mois.
Une autre "jungle"
Près de Dunkerque, le camp de Grande-Synthe a vu sa population considérablement croître ces dernières semaines. D'une cinquantaine cet été, les migrants seraient aujourd'hui au moins 2 600 arrivés après la fermeture mi-novembre du camp voisin de Téteghem. Ils vivent aujourd'hui dans des conditions déplorables, dans le froid et la boue. Les associations sont encore peu nombreuses à intervenir sur ce camp où de nombreuses familles, souvent kurdes, sont livrées à elles-mêmes.
Des passages en groupe vers l'Angleterre
Autre grande inquiétude soulevée par Véronique Devise du Secours catholique : les passages collectifs de la frontière franco-anglaise. « Ils tentent de plus en plus de passer en groupes par le tunnel sous la Manche ou par le port. Cela fait beaucoup de blessés parmi les migrants ».
Ils sont, pour certains, pris en charge par les associations présentes sur place « plus nombreuses qu’avant », souligne Véronique Devise car « beaucoup de citoyens anglais se sont mobilisés par les réseaux sociaux. Médecins sans frontières, Acted et Gyneco sans frontières sont maintenant à Calais, entre autres… C’est une chance mais c’est aussi difficile de se coordonner entre nous. »
Une initiative scolaire : l’école du chemin des Dunes
Parfois les ONG sont aidées des migrants eux-mêmes pour mettre en place des services dans le camp. C’est le cas de l’école laïque du chemin des Dunes créée en juillet 2015. Trois bénévoles donnaient déjà des cours dans la « jungle » de Calais sur le site de Tioxide. Mais après le démantèlement du camp il a fallu tout recommencer dans la « new jungle » sur la zone des Dunes avec l’aide de Zimako, un réfugié nigérian francophone qui construisait sa propre école.
Aujourd’hui, des cours de français et d’anglais sont proposés aux adultes et depuis début novembre également aux enfants. « Nous avons dû nous adapter aux nouveaux arrivants », explique Virginie Tiberghien, bénévole dans l’école. Avec la venue, ces derniers mois, de nombreuses familles, il était nécessaire d’occuper les enfants qui peuvent participer au cours par groupe de 20, et ce, dès l’âge de 3 ans.
« Les classes visent à être mixtes et sont ouvertes à toutes les nationalités, souligne Virginie Tiberghien. Notre but est de rapprocher les gens. » L'école va aussi se doter dans les prochains jours d'une infirmerie.
« Jungle » ou « forum » ?
Unir, rendre une dignité aux migrants qui ne seront peut-être pas seulement de passage en France, c’est l’objectif de Zimako à l'initiative de l’école dans la «new jungle » et qui lance aujourd’hui un appel pour que le nom de « jungle » de Calais soit remplacé par celui de « forum » voire « forum land ».
« Si le mot jungle signifie littéralement un espace de terre en friche, en occident, et particulièrement à Calais, le terme prend une connotation clairement péjorative, exotique, sauvage, malsaine ou dangereuse, du fait de l’ignorance et de l’intolérance, écrit-il dans une sorte de communiqué envoyé à des journalistes. Dans tous les médias, la jungle de Calais est devenue l’incarnation de l’inhumanité invisible et invivable, où règne le chaos. Ici se trouve l’échec politique des gouvernants, même si ces derniers lui préféreraient hypocritement le nom de lande de Calais, Land, nouveau Dysma-land en attendant le rêve Heroïc-land. »
« Le terme de 'lande de Calais' utilisé par le gouvernement et bien trop doucereux alors que la 'jungle' c’est un endroit difficile dont on a du mal à s’extirper et c'est ça ici», souligne quant à elle Maya Konforti. Le mot « jungle » est d’ailleurs utilisé par les migrants eux-mêmes.
Nous ne sommes pas des animaux.
Zimako, réfugié nigérian
Pour Zimako le camp de Calais c'est « la terre des héros qui ont franchi des milliers de kilomètres pour chercher la paix et fuir la terreur des milices et des terroristes. Ce lieu, pile à la frontière, est l’ultime étape de nos rêves de paix et de liberté, n’en déplaise à ceux qui ne veulent l’accepter. »
Changer le nom de ce camp pour Zimako, c'est une manière de demander à être mieux considéré car insiste-t-il : « nous ne sommes pas des animaux » coincés dans cette « jungle ». Véronique Devise du Secours catholique déplore aussi les conditions de vie réservées aux migrants : « Ce sont des femmes, des hommes et des enfants qui espéraient certainement être accueillis autrement à Calais. Pas de cette façon là. »