Fil d'Ariane
On les appelle les "Enfants de la Creuse", parce qu'ils ont notamment été accueillis dans ce département rural, mais au total ces "ex-mineurs transplantés" ont été envoyés dans "83 départements", selon la commission d'experts, chargée pendant deux ans de faire la lumière sur ces déplacements forcés, a souligné son président, le sociologue Philippe Vitale. Il a remis un rapport de 700 pages à la ministre des Outre-mer Annick Girardin.
Les ex-mineurs ont été déplacés dans l'Hexagone pour résoudre les problèmes de démographie galopante et de grande pauvreté que connaissait alors La Réunion. Certains n'ont jamais remis les pieds dans leur île, ni revu leur famille.
Un tiers ont été "transplantés" avant l'âge de 5 ans, souvent pour être adoptés ; la moitié d'entre eux avaient de 6 à 15 ans et ont été placés en familles d'accueil ou en institution, ceux qui avaient plus de 15 ans (un sur cinq) envoyés en apprentissage ou formation. Certains sont tombés sur des familles qui voyaient en eux une main d'oeuvre gratuite, d'autres ont subi violences et agressions sexuelles.
Leur point commun: "la totale misère au départ de La Réunion".
Cette histoire "révèle les failles de la politique générale de l'Aide sociale à l'enfance (ASE)" en vigueur à l'époque et pas seulement à La Réunion, a ajouté M. Vitale, même si "10.000 km de séparation, une culture et une couleur de peau différente ont ajouté de la souffrance à la souffrance".
Selon lui, 1.800 de ces "enfants de la Creuse" sont encore vivants aujourd'hui, mais "la très grande majorité ne peuvent ou ne veulent se faire connaître".
Préconisant un lieu mémoriel à La Réunion et en métropole, et une date de commémoration, qui pourrait être le 18 février (date de la reconnaissance par l’Assemblée nationale en 2014 de la "responsabilité morale" de l'Etat) ou le 20 novembre (journée internationale des droits de l'enfant), la commission recommande l'intégration de cet épisode dans les manuels scolaires et les travaux de recherche.
Contrairement à une idée répandue, l'ancien député gaulliste de La Réunion Michel Debré "n'est pas à l'origine" de ces "transplantations" même s'il a "donné une impulsion" au dispositif, a souligné M. Vitale. "Expliquer n'est pas excuser, on n'excusera jamais les souffrances", a-t-il poursuivi. Mais pour les experts "il ne s'agit pas de déportation, ni de rafle", comme l'affirment certains ex-mineurs.
"Une faute morale a été commise et cette faute impose des réparations", a reconnu Annick Girardin, invitant les associations d'ex-mineurs à "co-construire" avec elle les mesures à mettre en place.
Le gouvernement va "faciliter la recherche d'informations" concernant les dossiers des transplantés, via des formulaires à remplir sur le site du ministère, a-t-elle annoncé, et "pérenniser" les aides au financement de billets d'avion vers La Réunion et de nuitées d'hébergement, mis en place depuis 2017 pour permettre aux ex-mineurs de retrouver leur île.
Valérie Andanson, 54 ans, de la Fédération des Enfants Déracinés des DROM, déplacée dans la Creuse à 3 ans, avec ses 5 frères et soeurs, dans des familles séparées, s'est félicitée de "l'entrée de notre histoire dans les manuels scolaires" et a salué une proposition du rapport pour permettre aux adoptés d'avoir accès à leur acte de naissance d'origine et de "récupérer leur identité".
"Aujourd'hui je ne sais pas qui je suis. J'ai deux états civils. J'aimerais bien redevenir Marie-Germaine Périgogne, née à la Réunion. (...) je veux redevenir Réunionnaise", dit-elle, réclamant aussi que les billets d'avion pour La Réunion soient proposés tous les ans et non tous les trois ans, et que la cellule psychologique, mise en place en 2017 soit maintenue.
Marie-Thérèse Gasp, 55 ans, envoyée à l'âge de 3 ans dans la Creuse, dénonce le terme de "transplantés", qui "ne reflète pas la souffrance vécue. Nous sommes des enfants volés", dit-elle. Elle n'a retrouvée sa mère qu'à 35 ans. Aujourd'hui, elle envisage des suites judiciaires. "Des billets d'avion, est-ce que ça répare ?".