Quelle liberté pour la presse dans le monde ? Reporters sans frontières (RSF) publie son rapport annuel. L’ONG française note une « dégradation globale » du métier d’informer. Les pays en crise, comme le Mali et la Centrafrique, ont perdu des places, tout comme les Etats-Unis. Etat des lieux sur la liberté d’informer avec Lucie Morillon, directrice de recherche à R.S.F.
Pour une partie des pays, notamment en Afrique, « Les conflits ont eu une conséquence directe sur la manière dont les acteurs de l'information et les médias ont pu opérer ou non dans les pays. En temps de guerre ou d'instabilité politique, les médias sont une cible stratégique » explique Lucie Morillon, directrice de la recherche de RSF Parmi les pays qui connaissent un déclassement important selon l’ONG : - le Mali (122ème, - 22 places), l - la Centrafrique (109ème, - 43 places), - le Guatemala (125ème, - 29 places) - les Etats-Unis (46ème, -13 places). La France (39ème, -1 place) ou les Etats-Unis, ont reculé en raison d’une « interprétation trop large et abusive du concept de protection de la sécurité nationale qui a fortement impacté la liberté de l'information ». Aux Etats-Unis, l’affaire Edward Snowden, l’informaticien qui a révelé des documents secrets de l’Agence Nationale de la Sécurité (NSA) ainsi que la condamnation à 35 ans de prison du soldat Bradley Manning pour avoir transmis des documents confidentiels au site Wikileaks, ont participé à la dégradation de la note américaine. « Beaucoup plus d'efforts ont été déployés pour arrêter et faire pression sur ces sources, plutôt que de tenter de réguler le système de surveillance » assure Lucie Morillon. Sous la présidence d’Obama, huit personnes ont été poursuivies au titre de la loi sur l’espionnage (Espionage Act), contre trois sous le gouvernement de Georges Bush. A l’inverse, « on voit un modèle scandinave particulièrement respectueux de la liberté de la presse et des sources des journalistes », observe Lucie Morillon. En effet, pour la quatrième année consécutive, la Finlande est en pole position. Elle est suivie des Pays-Bas et de la Norvège. La Syrie a, pour sa part, intégré le « trio infernal » formé par le Turkménistan (178ème), la Corée du Nord (179ème), et l'Erythrée (180ème), qui devient aussi le pays le plus dangereux pour les journalistes. En 2013, 130 d’entre eux ont été tués.
Reporters sans frontières (RSF) défend la liberté de la presse dans le monde
7 indicateurs pour un classement Comment s’établit un tel classement ? Chaque année, RSF envoie un questionnaire à des experts, des journalistes et des universitaires. Le classement est effectué à partir de leurs réponses et sur la base de sept indicateurs : le pluralisme, l'indépendance des médias, l'environnement, la transparence, le cadre légal, l'infrastructure. RSF se charge d’apporter des chiffres sur les exactions commises à l’encontre des journalistes avant de fixer une note entre 1 et 100.
Petites surprises du classement La France ne perd qu’une place… mais une place importante. « Nous sommes un peu déçus par un certain nombres de choses en terme de liberté de l'information en France » confie Lucie Morillon. Le vote d’une loi par le conseil constitutionnel français qui rend passible de prison la publication du patrimoine de certains élus et l’attente d’une loi de protection du secret des sources annoncée par François Hollande ont été des éléments déterminants pour le classement. Selon RSF, « La justice a privilégié le respect de la vie privée au détriment de la liberté de la presse et du droit au public d'être informé ». La Zambie, elle aussi, est “une petite déception” pour la chercheuse. Le pays a perdu 20 places et cette chute s’explique notamment par la mise en place de la censure, de blocage et de filtrage de sites d'information. « C'est dommage car c'est un pays qui avait pas mal progressé dans les derniers classements » regrette-t-elle. L'Equateur, de son côté, s’est amélioré et gagne 25 rangs. Une position qui « reflète des efforts de dialogues de la part du gouvernement, notamment sur la nouvelle loi sur la communication ».
Deux journalistes en grève à Tunis (Tunisie), le 17 octobre 2012
Perspectives pour 2014 L’Ukraine devrait perdre des places lors de la publication du prochain rapport de RSF, cuvée 2014. En effet, les soulèvements de fin décembre dans le pays n'ont pas été pris en compte dans ce classement de 2013. Pour la Turquie, même chose. « L’arrivée des échéances électorales (élections présidentielles, ndlr) et les négociations en cours avec les rebelles kurdes » risquent de changer la donne. « La Turquie est aujourd'hui une des prisons pour les journalistes avec la Chine et l'Iran ». Et, toujours pour 2014, la communauté internationale travaille déjà sur la question de la protection des journalistes. Pour la première fois, l'Assemblée générale des Nations unies a récemment voté une résolution sur la protection des journalistes en temps de conflit. « Les prochains mois vont être un moment important pour voir à quel point les Etats vont tenter de respecter les obligations de cette nouvelle résolution des Nations unies ». RSF prend également ses dispositions : « Un groupe d'expert va être mis en place pour s'assurer que les Etats respectent leurs obligations ». Il y a urgence. En 2013, 75 journalistes ont perdu la vie dans l’exercice de leur métier, selon le baromètre de la liberté de la presse de RSF.