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Le * qui suit le prénom des personnes ayant témoigné signifie que celles-ci ont souhaité garder l'anonymat.
En Belgique, en Angleterre, en Allemagne,en Suisse et même en France. Sur les réseaux sociaux, le nombre de témoignages dénonçant des intoxications dans des milieux festifs explose. Parfois, les victimes de ces intoxications à des drogues comme le GHB (une drogue avec un effet anesthésiant, avec des effets proches de ceux de l'alcool, mais qui à forte dose provoque de la somnolence) se retrouvent dans des situations très graves. En grande majorité il s'agit de jeunes femmes qui parfois sont dépouillées, agressées sexuellement, et même violées. Dans d’autres cas, elles ont plus de chance. Mais tous ces témoignages permettent de mettre en lumière ce phénomène et de créer une réflexion pour y répondre. Faut-il boycotter les milieux festifs ? Comment assurer une meilleure prise en charge des personnes droguées à leur insu ?
Si ces dernières semaines, les témoignages sur les réseaux sociaux ont beaucoup augmenté, les intoxications existent depuis longtemps, partout en Europe. Pour Anna*, c’était il y a environ treize ans, à Ibiza, en Espagne. Elle avait à peine dix-huit ans et était sortie dans une boîte de l’île, alors qu’elle était en vacances dans sa famille. "Je ne me souviens de rien, ce sont mes cousines qui m’ont tout raconté le lendemain", explique-t-elle. Elle raconte qu’elle se serait embrouillée avec un homme qui voulait lui prendre son verre. Selon elle, c’est ainsi qu’elle aurait été intoxiquée.
Il y a sept jeunes filles qui ont été droguées à leur insu et qui ont toutes fini à l’hôpital. Il y en a même deux qui ont été poursuivies et violées.
Anna, victime d’une intoxication
"Au fur et à mesure de la soirée, j’ai commencé à avoir un comportement étrange, poursuit-elle. C’est comme si j’étais ivre, mais en beaucoup plus puissant." Elle est rentrée chez elle avec ses cousines à la fin de la soirée et c’est en écoutant leur récit des événements le lendemain qu’elle s’est rendue compte qu’elle avait été droguée. Anna s’estime toutefois chanceuse, "En en parlant avec des amis, on s’est rendu compte que cet été-là à Ibiza, il y a sept jeunes filles qui ont été droguées à leur insu et qui ont toutes fini à l’hôpital. Il y en a même deux qui ont été poursuivies et violées."
Pour Esther Beaufils, c’était il y a quatre ans à Berlin. Elle était sortie un dimanche en boîte de nuit avec des amis. Au moment où elle s’est rendue aux toilettes, tout est devenu flou pour elle. "Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais lorsque je sors des toilettes, j’ai juste besoin de m’effondrer", se souvient-elle. Elle s’estime toutefois chanceuse, car ses amis ont rapidement compris que quelque chose n’allait pas.
Je suis très prudente en soirée, voire parano, donc je couvre toujours mon vert avec la main.
Louise, victime d'une intoxication
Eïna* est militante au sein du collectif Héro•ïnes 95. Elles se positionnent contre les violences sexistes et sexuelles et soutiennent le mouvement #BalanceTonBar. Elles ont également lancé deux appels à témoins pour des plaintes déposées au commissariat du 18e arrondissement de Paris pour des suspicions d'intoxications au GHB. "Ce qui est inquiétant dans ces intoxications, c’est qu’il n’y absolument aucun contrôle de la personne en fonction de la connaissance de ses propres limites ", déplore-t-elle, avant d'ajouter : "dans certains cas, on peut s’approcher de tentatives de meurtre."
Ce qui est arrivé à Louise* illustre ces propos. Le 23 octobre dernier, elle était dans une brasserie avec deux de ses amis à Fontvieille, dans le sud de la France. "Je suis très prudente en soirée, voire parano, donc je couvre toujours mon vert avec la main", explique la jeune femme. La soirée se passe, les trois amis prennent quelques tournées de shots, mais "entre 22h30 et 22h40, d’un seul coup tous les trois on vacille totalement." Les vidéos qu’elle a prises lors de la soirée l’ont aidée à remettre les faits dans l’ordre. Elle ajoute aussi qu’elle suit un traitement pour l’acné avec lequel il n’est pas recommandé de boire. Comme cela fait un moment qu’elle le suit, elle se permet quelques soirées, mais les effets de la drogue combiné au traitement auraient pu être dramatiques.
C’est comme si j’avais été ivre, alors que je sais que je n’avais rien bu.
Esther Beaufils, victime d'une intoxication
Le collectif Héro•ïnes 95 précise que "c’est difficile de distinguer les symptômes du GHB de ceux d’un abus d’alcool parce qu' au final, ça reste une intoxication." L’expérience d’Esther Beaufils le confirme. "C’est comme si j’avais été ivre, alors que je sais que je n’avais rien bu", affirme-t-elle. Idem pour Maud*, victime d’une intoxication à Paris le même weekend que Louise, qui a "mis ça sur le compte de l’alcool parce que j’avais bu des shots juste avant de partir du bar."
Un autre point mis en avant par Louise et Eina, c’est le mauvais jugement que l’on peut avoir d’une personne qui a été droguée à son insu. "Il y a des hommes qui sont victimes d’intoxications, qui sont parfois plus maltraités que des femmes", avance la membre du collectif Héro•ïnes 95. "On va accepter d’une femme qu’elle soit faible parce qu’elle a trop bu, mais d’un mec non", poursuit-elle. Dans son témoignage, Louise raconte que ses deux amis "ont l’habitude de boire et sont quand même de bons fêtards", mais après cette tournée de shots, "ils étaient vraiment pas biens, assis, livides, en train de vomir."
Le boycott annoncé pour ce vendredi 12 novembre a deux objectifs, expliquent Taeko et Eina du collectif Héro·ïnes 95. D’abord, pour témoigner de la solidarité avec les victimes "et pour ne pas profiter de lieux où l’on ne se sent pas en sécurité", mais aussi pour faire pression sur ces lieux. "L’idée, ce n’est pas de chercher à punir mais de pousser à sensibiliser", explique Eina.
Comment est-ce qu’on peut faire la différence ? En étant à l’écoute des proches de la victime.
Le collectif Héro•ïnes 95
Pour Maud*, victime d’une intoxication à Paris le même weekend que Louise, et qui a répondu à l'appel à témoin d'Héro•ïnes 95, "Il faudrait qu’il y ait plus de vigilance vis à vis des personnes qui peuvent se sentir mal en soirée." Une solution serait de sensibiliser le personnel des milieux festifs : "Au moins avoir les bons réflexes, être formés et sensibilisés à ces sujets-là pour prendre en charge les personnes qui se sentent mal." Eina, du collectif Héro•ïnes 95, “Comment est-ce qu’on peut faire la différence ? En étant à l’écoute des proches de la victime.”
La policière était un peu surprise, car elle ne savait pas comment qualifier la plainte au début parce que c’est la première fois qu’elle avait une plainte pour intoxication uniquement.
Maud, victime d'une intoxication
"C’est dommage que les victimes doivent se protéger de leurs agresseurs, regrette Esther Beaufils. Mais on n’est jamais à l’abri". Pour Héro•ïnes 95, pas question non plus de faire culpabiliser les victimes. "Faire la promotion de capotes pour les verres ou de vernis qui détecte les substances, c’est insulter les victimes", estiment-elles. Pour Esther Beaufils, ces initiatives "sont des solutions d’urgences qui ne doivent en aucun cas devenir la norme."
Ce que tous ces témoignages montrent aussi, c’est que la parole se libère à ce sujet. "Là, on prend le phénomène au sérieux parce qu’il est d’ampleur", estime Taeko*, militante avec Héro•ïnes 95. Comme de plus en plus de personnes sont au courant du phénomène, elles peuvent se montrer plus réceptives aussi. Lorsque Maud est allée porter plainte, "la policière était un peu surprise, car elle ne savait pas comment qualifier la plainte au début parce que c’est la première fois qu’elle avait une plainte pour intoxication uniquement", mais l’enquête suit son cours. Et surtout, cela prouve qu’il y a un réel problème à ce sujet. Il y a quatre ans, Esther Beaufils ne voyait pas son intoxication "comme quelque chose qui valait la peine de raconter" car sur le moment ça ne lui a pas semblé être "quelque chose qu’il fallait dénoncer." "Mais en parler permet d’y accorder une importance."